En raison de la crise financière, des pertes de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), de l’implantation du règlement 31-103 et de la saga du passeport et du projet de commission unique des valeurs mobilières, son passage comme ministre des Finances n’a pas été de tout repos.

«La protection du public doit être assurée tout en conservant la fluidité du secteur, c’est important d’équilibrer ces deux choses.»

Contre la commission unique

Pour assurer cet équilibre, Monique Jérôme-Forget s’est battue pour l’adoption du système de passeport, n’hésitant pas à se présenter et à défendre sa position à Toronto lors d’un événement tenu par l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) en 2007, devant plusieurs centaines de personnes.

«Je suis allée leur dire qu’ils se trompaient tous, il fallait avoir du front pour faire ça, se souvient-elle. Ils ont été polis, ils m’ont écoutée. Cette fois-là, le Globe and Mail avait refusé de publier une lettre d’opinion que je leur avais fait parvenir au sujet du passeport. Au lieu de ça, ils avaient publié la position de l’Association des banquiers canadiens (ABC). Alors, devant près de 1 000 personnes, j’ai blâmé publiquement ce journal. Évidemment, j’ai créé tout un émoi dans cette salle de bien-pensants, ça n’a pas été très bien reçu !»

Celle qui travaille maintenant comme conseillère spéciale au cabinet d’avocats Osler, à Montréal, dit que ce n’est pas par «patriotisme québécois» qu’elle a pris la défense du passeport, mais plutôt par conviction qu’un régulateur proche de son marché était plus efficace. Citant différents exemples de fraude aux États-Unis, de Madoff à Enron, l’ancienne ministre souligne l’importance d’un régulateur local.

«C’était la commission des valeurs mobilières de l’État qui a mis au jour Enron, pas la U.S. Securities and Exchange Commission (SEC), indique-t-elle. Même chose pour l’affaire Madoff, la SEC avait été informée à plusieurs reprises que quelque chose de louche se passait, pourtant personne n’a agi. Je maintiens que c’est un dossier que les gens comprennent mal, parce que sur le plan logique, ça a du sens d’avoir une seule commission des valeurs mobilières.»

Pour le régulateur, la proximité est vitale, selon elle : «Dans ce secteur (financier), tout le monde se connaît et c’est une petite communauté tricotée serrée. Les gens se parlent et l’avantage d’avoir une commission des valeurs mobilières proche de son industrie, c’est qu’elle sera à même de mieux entendre les commérages».

Selon elle, le débat qui entoure la commission unique, maintenant connue sous son appellation de «Régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux», est plus politique qu’économique.

«Toronto et son secteur financier ont toujours souhaité avoir une commission unique chez eux, soutient Monique Jérôme-Forget. On ne peut pas le sous-estimer, mais ce n’est pas la présence d’une commission unique à Toronto qui fera qu’il y aura moins de fraudes.»

Ministre des Finances du Québec de 2007 à 2009, Monique Jérôme-Forget était d’ailleurs aux premières loges lors des différents scandales qui ont secoué le Québec et la jeune Autorité des marchés financiers (AMF), qui venait d’être créée en 2004.

«Un jour, à l’Assemblée nationale, j’ai fait une déclaration qui m’a valu quelques réprimandes de la part des avocats. J’avais dit quelque chose comme : « J’espère qu’il y aura une punition à la hauteur de l’acte commis ». Je ne devais pas dire ça parce que le législatif doit être séparé de l’exécutif et du juridique. Moi, ça ne me dérangeait pas, j’ai dit ce que j’avais à dire et j’étais fière de ma déclaration», dit-elle.

Monique Jérôme-Forget réitère sa confiance envers l’ancien président-directeur général de l’AMF de l’époque, Jean St-Gelais, tant en ce qui concerne le traitement des scandales financiers qu’en ce qui touche aux réformes législatives mises en place durant son mandat, comme lors de tous les débats entourant la réforme 31-103.

«C’était un homme d’une grande intégrité. Si [les gens ont fait] front contre ce qu’il faisait, il a dû se réajuster. Ce n’est pas facile d’être un chien de garde. Vous ne voulez pas nuire au secteur, mais vous ne voulez pas priver les citoyens de la protection dont ils ont besoin», dit-elle.

La Caisse et la crise

Lorsque, un matin de 2007, le président du conseil de la CDPQ, Pierre Brunet, demande à la rencontrer personnellement dans son bureau, Monique Jérôme-Forget sait tout de suite qu’il se passe quelque chose d’important.

«Lorsque le président du conseil de la Caisse vous appelle et vous dit « Madame la ministre, il faut que nous vous voyions ce matin », vous annulez tout à votre agenda et vous les recevez immédiatement», se souvient Monique Jérôme-Forget en soutenant que, comme la loi l’exigeait, elle n’avait jamais interféré dans les affaires de la CDPQ.

Dans sa biographie publiée aux éditions Libre Expression, Monique Jérôme-Forget raconte qu’Henri-Paul Rousseau, alors président-directeur général de la CDPQ, lui explique qu’une «tempête parfaite» s’annonce. Une «rare conjoncture de paramètres et d’événements économiques […] risquaient de créer des dégâts sans précédent à l’échelle de la planète».

«Je les ai reçus, ils m’ont expliqué ce qui se passait et j’ai appelé le gouverneur de la Banque du Canada de l’époque, David Dodge. Ce dernier m’a dit : « Envoie-les tout de suite à Ottawa, je veux les voir », rapporte-t-elle. Je leur ai dit : « Messieurs, prenez vos beaux corps et partez pour Ottawa ».»

Durant les mois qui suivront, Monique Jérôme-Forget choisira de soutenir la CDPQ et ses dirigeants.

«Dans le reste du Canada, la Caisse n’avait pas nécessairement une bonne image. Les gens disaient que c’étaient des cow-boys qui travaillaient à la Caisse, qu’ils n’étaient pas très bons en finance et que c’était une bunch of no-good, dit-elle. J’aurais pu me désolidariser, blâmer la Caisse et Henri-Paul Rousseau, remercier le président du conseil et le président-directeur général, mais ce n’est pas ce que j’ai fait.»

À cette époque, durant les 45 minutes de la période des questions à l’Assemblée nationale, la ministre des Finances pouvait en passer au moins 30 à répondre aux questions sur la Caisse et sur la crise. En chambre, François Legault, porte-parole officiel de l’opposition en matière de finances, lui faisait face.

«Lorsque ça va bien, le gouvernement doit être prudent, mais lorsque ça ne va pas bien il doit répondre « présent » et agir. Il y avait la Caisse, mais aussi tout le problème de la liquidité dans l’économie. Les banques se prêtaient à l’heure, et les entreprises avaient des carnets de commandes pleins, mais pas d’argent pour payer leurs employés ! J’ai réagi durant cette période extrêmement difficile en mettant notamment 1 G$ de liquidités chez Investissement Québec.»

Sa gestion de la crise financière est de son propre aveu la période la plus difficile de sa carrière politique, mais également sa plus grande fierté. À cette époque, pendant plusieurs mois, elle tiendra tous les lundis à 7 h 30 des réunions avec les principales institutions financières québécoises, notamment le Mouvement Desjardins et la Banque Nationale (BN).

Durant la gestion de la crise, Monique Jérôme-Forget pourra compter sur l’appui d’acteurs clés de l’industrie financière, entre autres, Louis Vachon de la BN, Jim Flaherty, le ministre fédéral des Finances de l’époque, Paul Desmarais de Power Corporation et Mark Carney de la Banque du Canada.

«Au début, certains ont estimé que le problème des papiers commerciaux était un phénomène québécois et non pas canadien, mais ils se sont rapidement rendu compte, notamment lorsque des fonds de pension américains ont perdu près de 25 % de leurs avoirs, que cette crise dépassait les frontières du Québec», avance-t-elle.

Place aux femmes

Après les départs d’Henri-Paul Rousseau et de Richard Guay, Monique Jérôme-Forget attirera Michael Sabia à la tête de la CDPQ, un autre exploit dont elle est très fière : «C’est quelqu’un de très brillant qui a notamment collaboré à l’élaboration de la taxe sur les produits et services (TPS). C’est aussi un bourreau de travail qui peut exiger beaucoup des autres parce qu’il exige déjà beaucoup de lui-même. Il est très intègre et ne recherche ni le prestige ni l’attention des médias. Il est rigoureux, et c’était la personne idéale pour occuper ce poste.»

Depuis la fin de sa carrière politique, en 2009, Monique Jérôme-Forget, qui détient un doctorat en psychologie de l’Université McGill, est très active dans la promotion de la place des femmes à la haute direction des entreprises et dans les conseils d’administration (CA). Elle siège d’ailleurs au CA de la Banque du Canada.

«Il y a environ de 4 à 5 % de femmes à la tête des entreprises et elles représentent près de 14 % des gens qui siègent à des CA. Je blâme autant les femmes que les hommes. Souvent, elles diront qu’elles ne sont pas prêtes à accepter une promotion, alors que durant toute ma carrière, je n’ai jamais entendu un homme dire la même chose !»

Ambitieuse, le seul regret de Monique Jérôme-Forget est d’être entrée tard en politique : «J’ai eu des postes très intéressants durant ma carrière, mais je me rends compte aujourd’hui que je suis un animal politique. Pierre-Elliot Trudeau, Brian Mulroney et Robert Bourassa m’ont tous demandé d’entrer en politique, mais je ne me sentais pas prête. J’ai l’air d’une femme audacieuse, mais dans le fond, je ne le suis pas tant que ça.»