En effet, les actions qui versent un dividende permettraient notamment aux clients de mieux compartimenter mentalement leurs finances.

«La préférence pour les dividendes peut en partie être expliquée par le fait que les investisseurs ont besoin de se contrôler eux-mêmes. Ils auront tendance à mettre le gain en capital dans un compte mental et le dividende dans un autre. C’est une façon pour eux de contrôler leurs dépenses», souligne Henriëtte Prast, professeur de finance à l’Université de Tilburg, aux Pays-Bas, dans Investor Psychology: A Behavioural Explanation of Six Finance Puzzles.

Résister à la tentation

Par ailleurs, les investisseurs auraient naturellement tendance à craindre qu’ ils n’épuisent trop rapidement leurs économies lorsqu’ils commenceront à financer leurs dépenses de consommation à partir de leur épargne à la retraite.

Ainsi, en ne dépensant que leurs dividendes, les investisseurs appliquent la «logique des alcooliques» en rémission qui ne consomment pas une goutte d’alcool, comme l’illustre Hersh M. Shefrin, professeur spécialisé en finance comportementale à la Leavy School of Business de la Santa Clara University, dans l’étude «Explaining Investor Preference for Cash Dividends».

« »Pas une seule goutte » est une bonne règle pour les gens qui éprouvent de la difficulté à contrôler leur consommation d’alcool. Pour les mêmes raisons, dépenser les dividendes, mais ne pas toucher au capital est aussi une bonne solution pour les investisseurs qui éprouvent de la difficulté à contrôler leurs propres dépenses.»

Ainsi, le fait d’avoir une règle («Ne pas dépenser autre chose que le dividende») éviterait à l’investisseur de se livrer à une séance d’arbitrage mental lorsqu’il doit choisir de dépenser ou non une somme d’argent.

Bien que ce soit un bon moyen de s’assurer qu’il épargnera, l’investisseur ne prend toutefois pas toujours la décision la plus rationnelle quand il suit ce modèle.

Hersh M. Shefrin cite l’exemple d’un couple qui aurait un programme d’épargne systématique pour financer les études de ses enfants, mais qui utiliserait la carte de crédit pour payer l’achat de biens durables. Le couple s’expose alors au risque d’avoir à payer une pénalité s’il ne réussit pas à rembourser sa carte de crédit à temps, et ce, même si les frais de retard peuvent être très élevés.

Le couple pourrait choisir d’utiliser les sommes mises de côté pour les études des enfants en les remboursant par la suite, pourtant, il choisit d’emprunter de l’argent à un taux d’intérêt élevé.

«Avec ce genre de règle, l’investisseur tente de ne pas succomber à son désir de gratification immédiate en ayant accès au capital. De la même manière, lorsqu’on finance la consommation avec des dividendes au lieu de toucher au capital, le degré de contrôle de soi nécessaire diminue. C’est pour ces mêmes raisons que le parent sera hésitant à « emprunter » au fonds d’épargne études de ses enfants : il s’inquiétera de retirer trop d’argent et de ne pas avoir suffisamment de discipline pour se « rembourser » par la suite», note Hersh M. Shefrin.

Atténuer le regret

Le contrôle de soi n’est pas le seul facteur qui rendrait plus attrayante l’idée de ne dépenser que les dividendes.

Le regret jouerait aussi un rôle.

Selon le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman et son défunt collègue chercheur Amos Tversky, le regret est ressenti «lorsqu’une personne peut imaginer avoir fait quelque chose qui aurait mené à une fin plus désirable».

Ils prennent un exemple simple pour illustrer cette notion.

Ainsi, un premier investisseur dépense normalement le dividende de 1 $ qu’il reçoit, alors qu’un deuxième investisseur, qui ne vend jamais ses actions pour financer sa consommation, décide d’en vendre pour 1 $ afin de pouvoir acheter quelque chose. Tout de suite après que le deuxième investisseur a vendu son action, le prix monte.

«Il est plus facile pour le deuxième investisseur d’imaginer ce qui serait arrivé s’il n’avait pas vendu l’action qu’il ne l’est pour le premier d’imaginer qu’il a réinvesti le dividende dans l’achat de nouvelles actions.

«Le deuxième investisseur ressentira plus de regret puisqu’il se sent responsable de son erreur», écrivaient les deux chercheurs dans leur étude intitulée «The Psychology of Preferences».

Réduire l’incertitude…

En plus de permettre aux investisseurs de compartimenter mentalement et de résister à la tentation, les dividendes agissent comme une garantie.

Dans A Behavioral Theory of the Firm, Richard Cyert et James March expliquent que les dividendes permettent aux investisseurs de réduire l’incertitude, puisque les gestionnaires d’entreprise les fixent en tentant d’éviter les variations trop importantes.

«Autrement dit, les firmes adoptent des règles normalisées qui n’éliminent pas l’incertitude, mais qui permettent un suivi plus facile», écrivent les deux chercheurs.

… et réconforter

Un dernier facteur expliquerait l’attachement des investisseurs aux dividendes : ces derniers sont perçus positivement dans toutes les situations.

D’une part, lorsque les actions versant des dividendes perdent de la valeur, les investisseurs perçoivent ces derniers comme un réconfort.

D’autre part, lorsque les actions gagnent en valeur, le dividende est perçu comme un gain supplémentaire.

De plus, même si une action qui ne verse pas de dividendes rapporte autant d’argent lors de sa vente qu’un titre qui donne un dividende, l’investisseur risque de préférer le titre qui verse un dividende, puisqu’il a l’impression de profiter de deux sources de revenus, soit le gain en capital de l’action et le dividende qu’elle lui verse.

«C’est un peu comme lorsqu’on recommande de ne pas emballer tous nos cadeaux de Noël dans une seule boîte pour éprouver du plaisir en déballant chacun des présents», ajoute Henriëtte Prast.