
Peu de temps après, il accède à la haute direction de l’assureur à titre de vice-président principal et d’économiste en chef. Depuis, il relève le troisième grand défi de sa vie professionnelle, après l’analyse économique et la politique. «C’est fascinant sur le plan intellectuel. Ça combine mon expérience de lecture d’économiste et le côté gestion du risque», remarque-t-il, enthousiaste.
En plus de son rôle actuel, Clément Gignac, 58 ans, est le gestionnaire principal de portefeuille pour le Fonds iA Clarington équilibré à revenu mensuel. Il préside également le comité répartition d’actifs d’iA Groupe financier. «Lorsque je regarde un modèle comme Jean-Guy Desjardins, président de Fiera Capital, qui a 70 ans, ou un mentor comme Jean Turmel, avec qui j’ai travaillé à la Banque Nationale, et qui à 72 ans fait encore de la gestion de portefeuille (NDLR, Jean Turmel a fondé en 2005 Perseus Capital, une société de gestion de fonds), je me dis que j’ai plusieurs belles années devant moi.»
Bien qu’il ait géré des portefeuilles modèles lorsqu’il était à la Banque Nationale, c’est la première fois que Clément Gignac gère de l’argent. Il gère un actif d’environ 3,5 G$, notamment quatre fonds distincts qui représentent un actif cumulatif de 3,2 G$ et un fonds commun. «Il faut donc que les bottines suivent les babines, car je suis imputable, et ça, c’est nouveau.»
Sur trois ans, au 2 octobre 2015, les cinq fonds avaient progressé davantage que leurs catégories respectives, obtenant un rendement annualisé variant de 6,0 à 8,7 %.
Clément Gignac estime qu’une portion très importante des ventes brutes d’iA sont attribuables aux solutions gérées et aux fonds distincts. Selon lui, le désir de la population de protéger son capital tout en restant investi en actions afin de contrer la faiblesse des taux d’intérêt stimulera les ventes de fonds distincts.
Au 30 juin 2015, iA comptait près de 113 G$ d’actif sous gestion et administration et plus de 25 000 conseillers.
Clément Gignac pense que la gestion de patrimoine est une des principales occasions de croissance au Québec et ailleurs au Canada. Ce secteur représente environ le tiers des profits d’iA.
Toutefois, à la vue des récentes acquisitions effectuées par iA, ainsi que de l’expertise qui se développe sans cesse à l’interne, il est «convaincu que la gestion de patrimoine générera de 45 à 50 % des profits d’iA sur un horizon de cinq à dix ans», les acquisitions étant le moteur de cette croissance.
iA a d’ailleurs acquis plusieurs sociétés ces dernières années. La plus récente acquisition, qui remonte au 18 septembre, est celle de FIN-XO Valeurs mobilières, de Montréal, qui a ajouté 700 M$ d’actif sous administration.
Clément Gignac croit que «la divulgation des frais et la réglementation de plus en plus sévère vont forcer une consolidation du secteur de la gestion de patrimoine».
Interrogé sur la mise en oeuvre de la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2), Clément Gignac croit que c’est aux autorités de réglementation qu’il revient de décider des règles du jeu.
«Nous n’avons jamais craint la réglementation. Est-ce que nous nous dirigeons vers une harmonisation qui comprendra les fonds distincts ? Poser la question, c’est un peu y répondre, mais il existe des raisons pour lesquelles ces fonds n’y sont pas soumis, et les compagnies d’assurance font actuellement valoir leur point.»
Clément Gignac estime que le marché canadien constitue un vecteur de croissance important et selon lui, «le changement de branding, dans cette perspective, n’est pas anecdotique, car l’ancien nom, Industrielle Alliance, n’était pas toujours clair lorsqu’il était utilisé en anglais».
iA réalise pour l’instant 40 % de ses revenus au Québec, et 30 % en Ontario, selon son site Internet. Également présente aux États-Unis, iA a tiré de ses deux filiales américaines environ 3 % de ses revenus au deuxième trimestre de 2015. Ces filiales mènent des activités dans le marché de l’assurance vie individuelle vendue par des agents indépendants. Ces résultats représentent une hausse de 35 % par rapport à l’an dernier à pareille date. Il s’agit d’une croissance trois fois plus élevée que celle obtenue au Canada pour la même période.
De la ferme au G20
Récemment célébré par l’Association des diplômés de l’Université Laval, Clément Gignac a reçu la médaille Gloire de l’Escolle, qui honore un diplômé qui s’est illustré par ses activités professionnelles et sa contribution à la société.
Pour Clément Gignac, «ce type d’hommage qu’il faut prendre avec modestie est particulièrement touchant, et ce fut la même chose lorsque j’ai présidé l’Association des économistes québécois (ASDEQ) en 2008, car ce sont vos pairs qui vous choisissent», dit celui qui se souvient de ses racines.
Fils de cultivateur, Clément Gignac évoque le fait qu’il a eu droit aux prêts et bourses durant toutes ses études «parce que nous n’étions pas très riches» : «J’étais le dernier de la famille, et mes parents ont travaillé fort pour me faire instruire.» Clément Gignac a fait ses études au Petit Séminaire de Québec, avant d’obtenir un baccalauréat (1978), puis une maîtrise en économie (1982) de l’Université Laval.
«Si quelqu’un m’avait dit que je deviendrais un jour économiste en chef de la Banque Nationale, puis président du comité sur la compétitivité du G20, ministre, et ensuite que je gérerais plus de 3 G$, je ne l’aurais jamais cru», lance-t-il.
Il ajoute : «J’estime avoir toujours été chanceux, mais il n’y a pas de grand secret : il faut travailler fort, être à l’écoute des autres, mais en fin de compte, il faut aussi avoir confiance en soi.»
Clément Gignac a commencé sa carrière en 1980 comme économiste au sein de la Confédération des caisses Desjardins. Il entre quatre ans plus tard au ministère des Finances du Québec, puis à la Financière Banque Nationale en 1988, à titre d’économiste principal.
Après un passage chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne, il est revenu en 2002 dans le giron de la Banque Nationale à titre de vice-président, stratège et économiste en chef. Durant cinq années consécutives, le groupe qu’il dirige se classe parmi les trois meilleures équipes d’économistes du pays, selon le sondage annuel de la firme Brendan Wood International.
Clément Gignac est alors reconnu comme un des meilleurs stratèges économiques du pays.
Faire son service public
En décembre 2008, Clément Gignac quitte la Banque Nationale pour le secteur public, à Ottawa. Il devient conseiller spécial au ministère des Finances du Canada et représentant officiel du Canada dans un des quatre groupes de travail du G20, soit celui de la coopération internationale.
«Lorsque j’arrive au ministère des Finances, nous sommes au coeur de la pire crise financière que les pays industrialisés aient traversée depuis 60 ans. J’accompagne alors le ministre Jim Flaherty à titre d’expert en finance notamment pour tenter d’éviter la levée du protectionnisme et la fermeture des frontières, bref pour éviter une autre crise comme celle des années 1930. Aujourd’hui, cette expérience fait en sorte que je suis beaucoup plus serein, même face à de grandes responsabilités», explique-t-il.
Alors qu’il croyait accomplir un mandat de cinq à sept ans, Clément Gignac fait plutôt un détour imprévu par la politique. Le premier ministre du Québec, Jean Charest, le sollicite afin qu’il se présente lors d’une élection partielle, à la suite du départ de Monique Jérôme-Forget. «Il a fallu que je devienne membre du Parti libéral du Québec, ce qui m’a coûté 10 $», dit-il en riant.
Le fait d’avoir vu travailler Jim Flaherty et d’avoir constaté à quel point il était bien entouré, tant par son personnel politique que par ses fonctionnaires, avait réduit son aversion au risque face à la politique, estime Clément Gignac. «J’avais beaucoup d’admiration pour monsieur Flaherty, et quelles que soient nos convictions politiques, il faut reconnaître tout ce qu’il parvenait à faire», explique-t-il.
Un soir, en compagnie de son épouse, Clément Gignac a donc fait une grande promenade qui les a menés tous deux devant le Parlement du Québec.
«Je lui ai dit que je devais prendre une décision importante, à savoir si je voulais faire partie, moi aussi, des gens qui ont travaillé et siégé dans cet édifice. Elle m’a répondu : « À 75 ans, risques-tu davantage de regretter d’avoir fait cette expérience que de ne pas l’avoir vécue ? »» raconte-t-il avec émotion.
Élu député en 2009, Clément Gignac a d’abord été nommé ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, puis ministre des Ressources naturelles et de la Faune. Il a été notamment responsable du Plan Nord. Sa défaite au scrutin de 2012 a mis un terme à sa carrière politique.
«Je ne suis pas un politicien de carrière, je suis un spécialiste. Il y avait une crise financière, madame Jérôme-Forget quittait la politique, et monsieur Charest m’a approché avec un défi au sein d’un ministère à vocation économique. Il arrive aussi un moment où l’on nourrit un besoin d’accomplissement, alors j’ai choisi de mettre l’épaule à la roue le temps que ça a duré», évoque Clément Gignac.
Il ne regrette pas l’expérience. «Je suis curieux sur le plan intellectuel et c’est ce qui m’a amené à travailler au G20, à Ottawa, et à accepter de faire le saut en politique. Il y en a qui font leur service militaire, moi, j’ai fait mon service public», lance-t-il.
Heureux d’évoquer ses 37 ans de mariage, ses trois enfants et ses quatre petits-enfants, Clément Gignac s’intéresse à la philanthropie. Il est notamment membre du Comité des donateurs majeurs de Centraide.
«Nous autres qui évoluons dans le secteur du placement, nous sommes des privilégiés, et il faut redonner à la société lorsqu’on a beaucoup reçu», ajoute-t-il.