Rappelons que le litige découle du refus de la CIBC de fournir à la syndique de la CSF des documents liés aux congédiements de neuf représentants en épargne collective alors à son emploi et survenus entre le 30 octobre 2009 et le 5 janvier 2012.

Selon la CIBC, les fautes ayant mené aux congédiements auraient été commises dans le cadre d’activités bancaires au détail et non dans le cadre de leur fonction de représentant en épargne collective.

Face à ce refus, la CSF a déposé contre elle et sa filiale, Placements CIBC, les défenderesses dans ce dossier, une requête introductive d’instance en injonction permanente.

«Adopter l’interprétation suggérée par les défenderesses équivaudrait à amputer le pouvoir de la syndique d’enquêter en « sectorisant » la probité selon le champ d’activité du courtier. Cela priverait la loi de son effet, au détriment des personnes qui doivent être protégées», lit-on dans le jugement.

Le juge a aussi défait l’argument de la CIBC selon lequel elle ne saurait transmettre à la syndique des documents sans violer ses propres obligations de protection de renseignements personnels.

Selon lui, le client donne à la CIBC son consentement tacite quant à l’utilisation des renseignements personnels dans certaines circonstances «notamment en matière de détection et enquête relatives à la fraude», lit-on dans la «Politique de la Banque CIBC sur la protection des renseignements personnels».

«Cette décision reconnaît clairement la capacité d’agir de la syndique en matière de protection des investisseurs et rassure le public, puisqu’elle confirme qu’au Québec, la CSF a des pouvoirs de surveillance et d’enquête efficaces», souligne dans un communiqué Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction par intérim de la CSF.

Rappelant à quel point la sensibilité est grande au Québec face aux enjeux de juridiction, Louis Morisset, le président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers (AMF), considère le jugement «intéressant sous le front de la juridiction», bien qu’il n’en eût pas encore pris connaissance en détail au moment de sa conversation avec Finance et Investissement.

«Des décisions qui affirment la juridiction québécoise, je vois toujours cela d’un très bon oeil», avance-t-il notamment.

Tous égaux

Ce jugement constitue un arrêt de principe qui permettra de régir des cas analogues futurs, et le principe est clair : il est essentiel que la syndique ait les pouvoirs inhérents à sa charge pour pouvoir protéger le public, estime Maxime Gauthier, avocat, chef de la conformité chez Mérici services financiers.

Ce jugement devrait ainsi rayonner sur d’autres litiges qui opposent la CSF à des banques à charte. D’après le jugement, en date de l’audience, 33 dossiers sont en suspens vu le différend qui oppose la syndique de la CSF aux banques, parmi lesquels les neuf dossiers en litige.

Selon un rappel des faits dans le jugement, «d’autres sociétés de placement, filiales de banques à charte, font l’objet de demandes d’enquête de la part de la Syndique. Dans ce contexte, Jacques Hébert, alors directeur du Québec, de l’Association des banquiers canadiens (ABC), est sensibilisé par ses membres au contentieux qui émerge et suggère une rencontre de représentants de l’ABC avec la Syndique».

La rencontre se déroule le 7 juin 2011, mais «les attentes de la Syndique ne sont pas satisfaites», lit-on dans le document. Les procédures sont donc intentées par la CSF en novembre 2011.

Appelée à commenter la décision rendue par la Cour supérieure, l’ABC répond par courriel qu’elle «n’est pas impliquée dans ce litige et n’émettra pas de commentaires».

Pour Maxime Gauthier toutefois, «ce jugement vient confirmer qu’il n’y a pas deux catégories de courtiers en matière de réglementation disciplinaire et que nous jouons tous dans un même carré de sable. Que vous soyez la filiale d’une banque ou un courtier indépendant, la syndique a le droit de faire son travail et il n’y a pas d’avantages concurrentiels pouvant être tirés d’une banque. Je trouve cette position très rassurante».

En ce qui concerne la dualité juridique entre la CIBC et sa filiale Placements CIBC, la Cour conclut effectivement que cette dernière «n’est ni plus ni moins qu’un simple véhicule, nécessaire pour que soient respectées les obligations réglementaires, dont celle de l’inscription. Elle n’a pas d’employé. Tous les RCEC (représentants de courtier en épargne collective) sont embauchés et congédiés par la Banque».

D’après le juge Louis Lacoursière, il est très difficile en pratique de ne pas confondre les activités de la CIBC et celles de sa filiale Placements CIBC. «Ce portrait suffit à peine à convaincre que [Placements CIBC] est, dans les faits plutôt qu’en théorie, une entité distincte de la Banque», écrit-il.

Selon Maxime Gauthier, un appel de ce jugement n’aurait pas beaucoup de force. «Tous les arguments invoqués par la banque ont été démontés par le juge et ont été invalidés.»

«J’ai beaucoup de difficulté à voir sur quel motif un appel pourrait être interjeté et j’ai encore plus de difficulté à voir comment la Cour d’appel du Québec pourrait accueillir un pourvoi qui renverserait ce jugement», signale Maxime Gauthier.

Il reste difficile pour le moment de présumer de la position de la CIBC quant aux suites du dossier.

«L’objectif de la CIBC dans cette affaire a toujours été de savoir avec certitude quelles informations elle peut légalement fournir à la CSF sans empiéter sur le droit à la vie privée de ses clients bancaires qui ne négocient pas de valeurs mobilières par son intermédiaire, sans pour autant porter atteinte au droit à la vie privée de ses anciens employés», explique Kevin Dove, chef des communications externes et des relations avec les médias de CIBC.

Avant de mettre sous presse, ce dernier confirmait que la CIBC analyse la décision «afin de voir si nous devons obtenir davantage de clarté sur cette question».