À qui la faute ? Quelques conseillers critiquent les assureurs, qui ne les reconnaîtraient pas à leur juste valeur. Un conseiller estime ainsi qu’il «faudrait démontrer aux compagnies d’assurance que nous sommes importants et que nous avons nous aussi notre place».
D’autres poussent la critique plus loin, suggérant que les assureurs pourraient vouloir se passer d’eux en favorisant la vente sur Internet sans représentant. Un conseiller redoute que «les assureurs négocient directement avec les clients sans passer par les conseillers».
L’Autorité des marchés financiers (AMF) est une autre cible des conseillers inquiets de la vente de produits d’assurance sur Internet sans leur intervention obligatoire.
Ainsi, un conseiller avance le scénario catastrophe suivant : «Si l’AMF autorise la vente sur Internet, les représentants vont disparaître», écrit-il. Un autre évoque la possibilité que l’AMF en vienne à «réglementer la vente sur Internet au profit des assureurs, qui n’auraient pas les mêmes obligations que les conseillers indépendants en sécurité financière».
Un troisième reproche à l’organisme québécois de réglementation sa politique de «deux poids, deux mesures» par rapport au secteur des valeurs mobilières, parce que dans la vente de placements en ligne, l’intervention de représentants est généralement requise.
L’AMF tente d’apaiser les inquiétudes
Surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’AMF, Éric Stevenson s’élève contre l’idée selon laquelle il existerait une politique de «deux poids deux mesures» qui s’exercerait aux dépens des conseillers en sécurité financière.
«Il n’y a pas de contradiction entre les positions des autorités de réglementation sur l’assurance de personnes et celles sur les valeurs mobilières. Il n’y a pas de politique de deux poids deux mesures. Depuis plusieurs années, le courtage par escompte permet de faire soi-même des transactions en valeurs mobilières. Et ça a commencé avec le téléphone !» dit-il.
Éric Stevenson évoque le développement récent des robots-conseillers. «La nouveauté réside dans la mise à la disposition d’outils de gestion algorithmiques à faibles coûts directement aux investisseurs», dit-il.
Dans ce contexte, il est important «d’avoir des mécanismes permettant de s’assurer de la connaissance du client et de la convenance du produit à ses besoins. Quand il y a une interaction en ligne, il faut quand même s’assurer du respect de ces obligations», ajoute-t-il.
L’évolution constante des modèles d’affaires et des technologies est inévitable, poursuit Éric Stevenson. «On comprend les craintes des conseillers. Il faut composer avec ces évolutions. Notre mission consiste d’abord à protéger les consommateurs tout en assurant la mise en place d’un cadre réglementaire efficace qui favorise le développement du secteur financier».
Le dirigeant de l’AMF dit «anticiper positivement» les prochaines révisions législatives du gouvernement du Québec.
En effet, c’est sur ce terrain où tout se jouera. Que décidera le gouvernement libéral de Philippe Couillard dans le cadre de la révision de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF) ? Et plus spécifiquement encore, pour la vente d’assurance par Internet ?
Or, le «Rapport sur l’application de la LDPSF du gouvernement» publié en mai 2015 indique que le gouvernement souhaite «s’inspirer des recomman dations du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) pour mettre en place un cadre législatif souple qui permettra aux assureurs d’offrir leurs produits sur Internet».
Les réseaux captifs, grands gagnants ?
Selon Robert Landry, ancien vice-président exécutif d’AXA Canada et observateur de l’industrie, le gouvernement du Québec «évolue, lentement mais sûrement, vers l’acceptation des nouvelles technologies. Les consommateurs veulent Uber. Les consommateurs veulent aussi acheter des produits d’assurance sur Internet».
En scrutant l’évolution du débat public, en considérant les déclarations publiques et en tenant compte des publications de l’AMF et du ministère des Finances, Robert Landry estime probable que les «petites polices avec des petits montants» seront éventuellement vendues sur Internet.
«Ces transactions exigeront la participation des représentants jusqu’à un certain point. Je crois toutefois que les assureurs seront les mieux placés pour rafler ces parts de marché. Les conseillers indépendants qui n’ont pas les moyens de créer un site transactionnel en sortiront perdants. Au final, les réseaux captifs des assureurs en sortiront gagnants», dit-il.
À son avis, «les conseillers indépendants devront délaisser les petites polices qui représentent de petits montants. Ils devront concentrer leurs efforts sur les polices plus importantes… qui représentent des montants plus élevés !»
Voilà qui rejoint jusqu’à un certain point une conviction manifestée par certains répondants au sondage du Baromètre. «Nous allons nous adapter», disent certains. Car la vente sur Internet suscite aussi des espoirs de renouvellement, comme l’illustre ce commentaire d’un conseiller anonyme : «Dans les années 2000, les conseillers en valeurs mobilières se sont inquiétés des possibilités de placement en ligne pour les particuliers. Mais comme on le voit, les conseillers en valeurs mobilières sont toujours là».