Plusieurs se plaignent que les règles proposées sont trop précises et prescriptives. «Les projets vont parfois trop loin ou sont mal ciblés, font fi des inconvénients importants qui pourraient être générés pour les clients et les inscrits et sont outrageusement prescriptifs», lit-on dans le mémoire de Mérici Services financiers.

«L’imposition soutenue de nouvelles normes de réglementation met carrément en péril la survie des derniers acteurs indépendants toujours présents sur le marché. Or, nous considérons qu’aucun client ne sortira gagnant d’une baisse de la concurrence dans l’industrie», écrit Groupe Cloutier Investissements dans son mémoire.

«Tous les clients n’ont pas les mêmes besoins, et l’industrie a évolué pour répondre à ces différents besoins. Nous sommes très préoccupés par le fait que ces propositions rendront plus difficile le fait de répondre aux besoins spécifiques du client, car il est impossible pour une seule entité d’être « tout pour tout le monde »», écrit de son côté Martin Gagnon, premier vice-président à la direction, Gestion de patrimoine, à la Banque Nationale et coprésident et cochef de la direction de la Financière Banque Nationale.

Le coût important des réformes ciblées, sans réelle valeur ajoutée, pourrait miner les petites firmes, voire les faire disparaître, selon lui : «Sans ces courtiers indépendants pour aider à la création et à la croissance des entités entrepreneuriales qui ont bien réussi au Canada, nous croyons que l’économie canadienne perdra une partie de son dynamisme en matière d’innovation».

Même la Chambre de la sécurité financière (CSF) souligne le risque que les réformes proposées fassent plus de mal que de bien. «Les réformes ciblées, telles que proposées, pourraient-elles exercer une pression à la hausse sur les coûts liés aux services rendus par les personnes inscrites ou encore avoir un effet négatif sur la disponibilité des services, plus particulièrement pour les petits investisseurs ?» lit-on dans le mémoire écrit par Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF.

Parmi les règles montrées du doigt figurent celles sur la connaissance du produit (voir «Les ACVM veulent-elles des conseillers omniscients ?», en page 10), sur la connaissance du client et la convenance.

Dans l’avis 33-404, les ACVM proposent notamment de nouvelles obligations sur les informations à recueillir pour connaître le client, dont celle de s’assurer qu’à l’ouverture du compte et lors de tout changement important, le formulaire «Connaissance du client» et le profil de risque consignés par écrit sont datés et signés par le client et le représentant et qu’un exemplaire est remis au client.

Les ACVM se demandent même s’ils devraient codifier le formulaire d’ouverture de compte, ce que plusieurs rejettent. «Nous sommes en désaccord avec cette proposition, puisque ceci entraînerait un excès de formalisme et ne favoriserait pas le développement de modèles d’affaire répondant aux différentes clientèles. À titre d’exemple, l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) a déjà soumis un modèle de formulaire à suivre dans le passé, mais l’a retiré depuis en raison de sa difficulté d’application pour tous», écrit le Mouvement Desjardins dans son mémoire.

La CSF n’encourage pas non plus une standardisation de ce formulaire pour des raisons semblables : «La CSF croit qu’il est préférable d’adopter des obligations provenant de principes généraux, favorisant ainsi une culture de conformité, et de laisser le soin aux organismes d’autoréglementation de mettre en place et d’appliquer des règles de déontologie qui permettront d’atteindre les buts visés par les règles des ACVM».

Or, les ACVM devraient imposer un formulaire universel d’ouverture de compte, selon le mémoire de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) : «Une plus grande harmonisation de l’information est de nature à favoriser la comparaison pour le client».

Mise à jour trop fréquente

Les ACVM proposent également d’obliger les conseillers à recueillir davantage d’information sur les objectifs de placement, la situation financière et le profil de risque et de les mettre à jour «au moins une fois tous les 12 mois et plus fréquemment en cas de changement important de situation qui touche le client ou son portefeuille».

Selon Mérici, ces obligations augmenteraient fortement la charge de travail : «Le représentant devra passer beaucoup plus de temps avec chaque client, et ce, plus souvent ; le personnel administratif recevra un plus grand flux de documents et de travail et le service de conformité devra réviser un plus grand nombre d’éléments de mises à jour en plus de s’assurer que la collecte est adéquate, complète et révisée en temps opportun à la fréquence prescrite».

En conséquence, certains représentants et courtiers devront «augmenter leurs honoraires, réduire le nombre de leurs clients ou exiger de ceux-ci un solde minimal plus élevé qu’actuellement pour continuer de leur donner accès aux conseils et aux services», estime Mérici. Le cabinet anticipe un «effet dévastateur sur l’accès aux conseils pour les petits investisseurs».

D’après la CSF, les nouvelles exigences de mise à jour annuelle de l’information du client «ne sauraient être opportunes pour tous les clients dont les besoins peuvent évoluer au fil du temps et en fonction des produits et des stratégies mis en place.»

Une mise à jour tous les 12 mois s’avérerait trop difficile et coûteuse, selon le Groupe Cloutier, qui évalue que la moitié de ses clients sont dans une situation où aucune transaction ou aucune mise à jour des renseignements n’a été effectuée dans ce délai. «L’imposition d’une solution unique à tous les acteurs qui oeuvrent dans un secteur aussi varié que celui des valeurs mobilières n’apporterait pas de protection supplémentaire à nos clients et aurait pour unique conséquence d’augmenter le fardeau administratif», lit-on dans leur mémoire.

La Banque Nationale est sensiblement du même avis. «Les clients ayant des fonds d’investissement dans des comptes moins actifs peuvent ne pas vouloir communiquer avec leurs représentants chaque année (et à juste titre, si aucun changement dans leur situation n’a eu lieu).»

Ce n’est pas toute l’information qui nécessite une mise à jour annuelle, estime quant à lui Dan Hallett, vice-président et associé, gestion d’actif, chez HighView Financial Group. Selon lui, l’information sur la retraite devrait être mise à jour chaque année si le client approche de la retraite, mais pas s’il en est loin.

Le Mouvement Desjardins affirme que la mise à jour annuelle «serait indûment exigeante pour une majorité de clients et de conseillers» et recommande plutôt de la faire «chaque fois qu’un changement important se produit dans la situation [du client]».

Le Consumers Council of Canada (CCC) et FAIR Canada sont généralement favorables aux nouvelles obligations de convenance et de connaissance du client, ainsi qu’à leur mise à jour tous les 12 mois.

Dans leur mémoire, Raymonde Crête, professeure associée et avocate, directrice du Groupe de recherche en droit des services financiers de l’Université Laval, tout comme sa collègue Cinthia Duclos, professeure assistante et avocate, sont «dans l’ensemble, d’accord avec ces projets de réformes ciblées».

Les universitaires émettent cependant des réserves quant à l’effet de la collecte étendue d’information. Celle-ci risque «de susciter des attentes particulières de la part du client, lesquelles ne pourront pas être comblées en raison de la portée limitée des services offerts». Par exemple, même si le représentant ne détient pas de certification en planification financière, le client pourrait croire à tort que les divulgations permettront au représentant d’analyser l’ensemble de sa situation financière en vue de proposer une planification financière globale.

«Pour éviter toute méprise à ce sujet, il serait important que le représentant explique au client la portée limitée de ses services et, selon les besoins de ce dernier, qu’il lui suggère de faire appel à un planificateur financier» ou à un conseiller en placement qui offre des produits mixtes ou non exclusifs.