Laissons le client décider

Plusieurs assureurs, dont le Mouvement Desjardins, jugent que le consommateur est prêt à souscrire de l’assurance par Internet.

La coopérative cite une étude de Morgan Stanley et du Boston Consulting Group selon laquelle «plus de 50 % des répondants mentionnent ne pas être prêts à payer pour les services d’un représentant, et ce, tant en assurance de personnes qu’en assurance de dommages».

«À l’heure actuelle, nous recevons régulièrement des demandes de gens qui souhaitent faire affaire avec nous par voie électronique uniquement», écrit TD Assurance dans son mémoire.

«Faute d’avoir un encadrement susceptible de les aider à s’adapter à un monde en constante évolution, les assureurs cesseront d’être concurrentiels au détriment de leurs clients», ajoute TD Assurance.

Protection adéquate

Selon Desjardins, il est faux de prétendre qu’Internet ne permettra pas aux consommateurs de s’assurer adéquatement en fonction de leurs besoins.

«Les sites Internet sont si bien conçus qu’il est possible pour le consommateur de bénéficier, à l’aide de rubriques, de bulles et de vidéos, entre autres, d’informations de qualité permettant une prise de décision éclairée et une protection adéquate», note Desjardins dans son mémoire.

Quel que soit le canal de distribution, l’assureur n’a aucun avantage à ce que ses clients détiennent des produits d’assurance mal adaptés à leurs besoins, poursuit la coopérative. «Dans un tel cas, les clients ne tarderaient pas à faire connaître leur mécontentement, ce qui affecterait négativement la réputation, la compétitivité, voire la pérennité de l’assureur.»

Pour sa part, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes souligne que ses membres adhèrent au principe selon lequel les personnes qui souscrivent en ligne doivent également être en mesure de prendre une décision éclairée au moment de la souscription.

«Les pratiques actuelles de notre industrie appuient cet objectif : la communication de renseignements au moment de la souscription et l’accès sur demande à une personne physique en font partie intégrante», écrit l’Association.

«À cela s’ajoutent le délai de réflexion accordé après la souscription ainsi que la possibilité d’annuler la police et d’obtenir le remboursement intégral de la prime versée, deux points qui constituent une protection supplémentaire.»

Favorable à la distribution par Internet, l’Industrielle Alliance rappelle «l’utilité des conseils d’un représentant, et qu’en tout temps, la possibilité de négocier par l’entremise d’un représentant soit offerte».

Oui, mais attention !

Pour le conseiller Dany Bergeron, ancien président du conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière (CSF), «la vente d’assurance par Internet est aussi inévitable que la neige en hiver au Québec. Bon nombre ont bien beau détester l’hiver, nous devons vivre avec cette saison froide», dit-il dans son mémoire.

Toutefois, il est très inquiet de la manière dont cette distribution se fera. Il doute qu’un client lise vraiment son contrat en entier, dont les exclusions.

Pour favoriser sa compréhension, le client pourrait devoir, par la suite, passer un examen à choix multiples qui traite des points clés de sa soumission dont les exclusions, les frais, le droit de résolution, les conséquences fiscales et le fonctionnement des garanties, suggère-t-il.

«En obtenant la correction instantanée de ses réponses ainsi qu’une brève explication, le client prendrait davantage conscience du produit qu’il achète», dit-il.

Dany Bergeron reste préoccupé du remplacement d’une éventuelle police souscrite par Internet : «Ne pouvant pas rendre le client responsable d’effectuer un remplacement en bonne et due forme, le conseiller ne serait informé du remplacement que lorsque l’assureur l’aviserait de l’annulation du contrat sous gestion existant, ce qui laisserait un délai extrêmement serré, voire nul, pour contacter le client et lui expliquer les différences entre les deux contrats et ainsi s’assurer qu’il a fait un choix éclairé.»

Selon le Groupe Investors, on devrait exclure certains produits de la distribution sur Internet pour protéger l’investisseur.

«Nous comprenons qu’il est nécessaire de permettre la distribution d’assurance par Internet pour accommoder les investisseurs. Cependant, […] certains produits plus complexes et dont l’impact est plus important pour l’investisseur doivent faire l’objet d’une analyse plus exhaustive», écrit Investors.

Le conseil doit être roi

De leur côté, de nombreux groupes de conseillers opposés à la distribution par Internet plaident que les produits d’assurance sont trop variés et trop complexes pour être vendus sans conseil.

«Devant la multitude de produits rendus disponibles par toutes les compagnies d’assurance de personnes, nous considérons qu’il sera difficile, presque impossible, pour le consommateur, de faire le bon choix», lit-on dans le mémoire de Planifax.

«Cette complexité de produits fait en sorte qu’il serait extrêmement hasardeux que les consommateurs fassent des choix sans obtenir au préalable les conseils d’un professionnel», affirme le Conseil des professionnels en services financiers.

«Souscrire à une assurance sans bien en connaître les modalités peut comporter des risques aux conséquences majeures. Ces produits constituent aussi, très souvent, des engagements à long terme dont il peut être difficile ou très pénalisant de s’affranchir», écrit de son côté Option consommateurs.

Selon Mérici Services Financiers, dans une vente directe dépourvue de conseils «il ne peut y avoir qu’un perdant et plusieurs gagnants, respectivement le consommateur et les assureurs».

«Seul un professionnel adéquatement formé est en mesure, à notre avis, d’aider le consommateur à départager les avantages et les inconvénients des différents produits», ajoute le courtier de Sherbrooke.

Mérici critique d’ailleurs l’approche qui consiste à offrir du conseil seulement à la demande du client : «[Ceci] revient à banaliser la situation et sous-estime la mauvaise évaluation que plusieurs consommateurs risquent de faire de leur situation et de leur niveau de connaissances.»

Mauvais message au client

De plus, rendre accessible sur le Web les produits d’assurance de personnes lance un mauvais message aux consommateurs, soutiennent des représentants de Mica Services financiers.

«En effet, ceci pourrait laisser croire aux consommateurs qu’il est facile de s’assurer convenablement et que les conseils d’un professionnel ne sont ni utiles ni nécessaires, et ce, peu importe la situation particulière du consommateur.»

Les représentants de Mica soulignent également que la réglementation actuelle met l’accent sur une analyse approfondie de la situation et des besoins des clients, ce qui est incompatible avec la souscription de produits d’assurance de personnes sur Internet.

Crédules, les clients

Bon nombre jugent que le client doit être protégé contre lui-même, et ce, dans son intérêt. Surtout qu’on redoute que le client accorde une importance démesurée au prix à payer s’il magasine sur le Web.

«Les sites d’agrégation/comparaison ou la distribution d’assurance par Internet en général pourraient inciter les consommateurs à choisir un produit uniquement en fonction du prix, et non en fonction des couvertures offertes», lit-on dans le mémoire de la CSF.

La CSF cite un jugement de la Cour suprême «qui suggère de considérer le client moyen comme un consommateur moyen, crédule et inexpérimenté, et non comme une personne raisonnablement prudente et diligente».

«Même si la possibilité de magasiner et de conclure son contrat d’assurance en ligne peut sembler attrayante pour le consommateur, elle comporte des risques dont le consommateur n’est pas nécessairement (sinon pleinement) conscient lors de sa prise de décision. Le consommateur ne connaît pas tous les produits sur le marché, ni toutes les conséquences du choix d’un produit par rapport à un autre», explique la CSF.

Le législateur devrait ainsi envisager que la conclusion d’un contrat soit obligatoirement revue par un représentant soumis à des normes déontologiques, propose Option consommateurs.

«Des approches qui s’en remettent trop volontiers à la bonne foi des entreprises ou aux mécanismes du marché ne suffiront pas à bien protéger les consommateurs en ligne», affirme l’organisme.

«Contrairement à ce que suggère le rapport [sur la LDPSF], les consommateurs connaissent des difficultés spécifiques lorsqu’ils négocient en ligne, allant des erreurs de prix aux fausses représentations, en passant par des problèmes de conformité contractuelle ou par des difficultés à faire valoir leurs droits», souligne Option consommateurs.

«En 2006, la Loi sur la protection du consommateur a même été modifiée afin de créer un régime spécifique pour les contrats conclus à distance (en pratique, ce régime couvre principalement les achats par Internet de biens et de services)», ajoute le mémoire de l’organisme.

Épidémie de mauvais produits ?

Enfin, des opposants à la distribution par Internet craignent une multiplication de mauvais produits distribués sur Internet.

L’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) met en garde le législateur contre «de possibles abus de certains assureurs dans la rédaction du libellé des contrats d’assurance vendus par Internet». Par exemple, l’APCSF craint une prolifération de produits «bas de gamme» comme l’assurance vie sans valeur de rachat, non transformable, à prime non garantie ou sans clauses d’exonération de prime en cas d’invalidité.

Et le client aura possiblement beaucoup de difficulté à se défendre en cas de litige avec son assureur. «Les poursuites devant les tribunaux civils pourraient exploser et les clients devront souvent se résigner à abandonner les procédures, faute d’argent, face à un assureur riche et patient», écrit l’APCSF.