L’assurance de personnes traverse actuellement la fin d’une époque, celle où l’action se déroulait principalement à l’extérieur de l’agitation tumultueuse du Web. «Un jour, un Google ou un Yahoo! pourraient surgir et vendre leurs propres polices d’assurance de personnes sur le Web», prévient Bruno Michaud, vice-président principal, administration et ventes chez iA Groupe financier (autrefois Industrielle Alliance).
En publiant un document d’orientation sur la vente de produits d’assurance sur Internet, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a entrouvert la porte à de futurs Uber et autres Google qui voudraient tenter leur chance dans l’industrie de l’assurance de personnes.
Dans ce document, l’AMF a évoqué la possibilité de distribuer sur Internet des produits d’assurance complexes comme la vie permanente sans l’intervention obligatoire d’un représentant (http://tinyurl.com/n5oarlw) (voir l’encadré pour plus de détails).
«Un très gros verrou vient de sauter. Les nouveaux acteurs en assurance de personnes, aux États-Unis ou ailleurs, n’auront plus à franchir cet immense obstacle qui consiste à entrer dans des réseaux de distribution établis ou à s’en créer un de toutes pièces. C’est majeur, et c’est la première fois de ma carrière que je suis aussi surpris de la prise de position d’un régulateur !» dit Robert Landry, consultant et ancien vice-président exécutif d’AXA Canada.
Irréversible…
Le mouvement vers Internet est qualifié d’irréversible par les praticiens de l’industrie interviewés par Finance et Investissement.
«Les gens accèdent à de plus en plus d’information. Les générations montantes veulent acheter en ligne», constate Jean-François Chalifoux.
«Il faut en arriver là. Une partie du pouvoir d’achat des consommateurs se déplace sur le Web. En valeurs mobilières, on peut négocier soi-même. Grâce à la vente sur le Web, serions-nous si loin de ces assureurs qui promettent dans leurs publicités télévisées qu’aucun agent n’ira chez vous ?», dit Bruno Michaud.
… mais pas pour demain
Cependant, la vente en ligne de produits d’assurance de personnes complexes comme les polices de vie permanente ou de maladies graves n’est pas pour demain.
Jean-François Chalifoux dit qu’il a acquis «beaucoup d’expertise» dans la vente directe d’assurance voyage sur Internet. Toutefois, il ajoute que la situation n’est évidemment pas la même en ce qui concerne les produits d’assurance de personnes complexes.
«Quels produits pourraient être vendus entièrement sur Internet ? Nous n’avons pas encore fait notre analyse afin d’y répondre. Et nous n’avons pas encore déterminé les processus selon lesquels ces ventes pourraient se faire. Il faudra mesurer l’appétit des clients pour les transactions en ligne. Mais nous devrons nous adapter à la réalité de façon à les accompagner partout où ils se trouvent. Si on ne s’adapte pas, d’autres le feront», dit Jean-François Chalifoux.
Pour leur part, les dirigeants d’iA Groupe financier observent de façon proactive l’évolution de la demande sur le Web.
«On étudie et on fait des tests. Jusqu’à présent, les résultats de ces tests ne sont pas très concluants. On sait que le fait d’attirer les clients sur un site transactionnel représente un défi. On sait aussi qu’il faut ensuite retenir ces clients suffisamment longtemps pour qu’ils terminent leur transaction. Or, dès que c’est compliqué, les clients abandonnent. Et l’assurance de personnes, c’est compliqué», explique Bruno Michaud.
Objectif : simplicité et rapidité
En effet, c’est le défi majeur auquel les assureurs de personnes désireux de vendre sur Internet font face : simplifier des produits qui sont par définition complexes. À commencer par le vocabulaire, puisque la terminologie varie d’un assureur à l’autre.
«En assurance de dommages, tous les contrats sont standardisés, d’un assureur à l’autre, y compris les avenants. Mais en assurance de personnes, mis à part les définitions d’invalidité, où se trouve la standardisation ?» demande Dany Bergeron, président du cabinet Financière Radisson et ancien président du conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière (CSF).
D’après le consultant Robert Landry, les assureurs qui voudront vendre sur Internet devront mettre beaucoup d’énergie à rendre moins complexe, à simplifier et à automatiser tout ce qui pourra l’être. «C’est ainsi qu’ils pourront gagner la bataille de la rapidité, puisque c’est sur ce terrain que tout se jouera», dit-il.
C’est pourquoi Robert Landry pense qu’ultimement, un certain nombre de tarificateurs perdront leurs emplois, en raison des progrès inéluctables de l’automatisation.
Est-ce aussi le sort qui attend les conseillers ? «Il sera impossible d’uniformiser et de simplifier la totalité des produits afin qu’ils répondent aux besoins de tous. Dès que les consommateurs ont des avoirs significatifs, des héritages ou des entreprises, les conseillers deviennent nécessaires», dit-il.
Mais gare aux conseillers spécialistes des temporaires, ajoute-t-il.
Par ailleurs, les cabinets sont-ils désavantagés devant les futures avancées des assureurs sur le Web ? Oui, affirme le président de l’agent général Pro Vie assurances, Christian Laroche.
«Les réseaux traditionnels de courtage sont en net désavantage, car les plateformes transactionnelles Web représentent des dépenses énormes. C’est rentable, mais c’est très coûteux. Les institutions financières bénéficient de poches profondes», dit-il.