Ce sont toutefois les emplois d’été de Rémy Therrien dans des «magasins d’ordinateurs en Gaspésie» qui servent d’amorce à l’aventure. L’occasion de développer des systèmes de comptabilité et d’inventaire pour un concessionnaire automobile se présente à lui.
Sa réalisation attire l’attention. On lui présente Carol Jean, conseiller chez Lévesque Beaubien Geoffrion (aujourd’hui Financière Banque Nationale).
«À l’époque, les institutions financières étaient très mal équipées en solutions logicielles, explique Rémy Therrien. À titre de conseiller, Carol Jean faisait beaucoup de route en région et devait se promener avec les états de comptes de ses clients dans le coffre de sa voiture. C’était très primitif. Il avait besoin d’un système de gestion de la clientèle.»
Rémy Thérien développe alors un logiciel dans lequel Carol Jean peut consigner les titres détenus par ses clients et qui lui permet d’imprimer des rapports. «Ce logiciel développé en 1986-1987, c’est un peu les bases de celui que nous utilisons encore aujourd’hui», confirme-t-il.
C’est en 1987 que Rémy Therrien fonde Croesus (alors Unigiciel). L’entreprise connaît d’abord une période dormante au cours de laquelle Rémy Therrien termine ses études et se trouve un emploi dans la région de Montréal. Puis un matin, au début des années 1990, Carol Jean l’appelle. Lévesque Beaubien Geoffrion est à la recherche d’une solution client qui sera déployée auprès de l’ensemble des conseillers.
«J’ai ramassé toutes mes machines et mon code source, car à cette époque on n’avait pas encore de portable, puis je suis allé au siège social de Lévesque Beaubien Geoffrion pour y faire une présentation. C’est de là que tout est parti et ça continue depuis 25 ans. Ce fut un succès immédiat», souligne Rémy Therrien.
La conception du projet-pilote prend plus de deux ans. «Nous avions nos emplois le jour et nous travaillions le soir et la nuit sur le projet Croesus», évoque Rémy Therrien. Il se consacre finalement au projet à temps plein à compter de 1991.
«Nous avons alors eu plusieurs nouveaux clients, mais ce n’est pas en raison du marketing. On le devait au bouche à oreille et au roulement de personnel qui marquait le milieu financier. Par exemple, lorsque Richard Dorval a fondé Option Retraite, il a choisi Croesus, car il l’avait utilisé à la Banque Nationale.» C’est également de cette manière que Croesus a fait son entrée chez Valeurs mobilières Desjardins.
Du développement agile
C’est pour les besoins d’une présentation qu’on nomme finalement le logiciel. «C’est mon père qui est arrivé avec le nom Croesus, raconte Rémy Therrien. Il y a toute une mythologie liée à ce nom. On connaît bien sûr la fortune colossale de Crésus, le dernier roi de Lydie (NDLR, 560-540 av. J.-C.), mais il faut savoir qu’il est le premier à avoir mis en circulation des pièces entièrement frappées d’or.»
La simplicité du processus qui a mené au choix du nom Croesus reflète bien celle qui est propre à la gestion de l’entreprise elle-même.
«Nous avons toujours cherché à simplifier les choses, explique Rémy Therrien. Dès le départ, nous faisions ce qu’on appelle maintenant du développement agile. On livrait le logiciel, on recevait les commentaires du client, on apportait les ajustements, puis on renvoyait le logiciel. C’est comme ça que nous avons réussi à développer une application très près des besoins de l’utilisateur.»
«Nous avons toujours investi dans le produit, nous n’avons jamais eu peur de nous engager avec les nouvelles technologies. Notre programme a été réécrit plusieurs fois», précise-t-il. De fait, 50 % des revenus annuels sont investis dans la R-D.
Pour Rémy Therrien, cette façon de faire compte pour beaucoup dans la réussite de l’application Croesus. Le nom du logiciel s’impose alors, et en 2000, l’entreprise change de nom et devient Croesus.
«Lorsque nous nous comparons à la concurrence, notre solution est progressive. Habituellement, plus le nombre de clients augmente, plus c’est lourd à soutenir. On constate alors un ralentissement sur le plan de l’évolution de l’application, ce qui n’est pas notre cas», avance Rémy Therrien.
Croesus compte aujourd’hui près de 10 000 utilisateurs, et en moyenne, près de 5 500 utilisateurs simultanément. Chaque jour, 500 000 transactions sont traitées et 50 000 rapports clients sont générés.
Plus de 100 employés
L’entreprise, dont le siège social est établi à Laval, a récemment passé le cap des 100 employés.
«La réussite, c’est un beau concept, mais la façon d’y arriver, c’est en ayant des clients satisfaits, et surtout, des employés heureux, dit Rémy Therrien. Notre richesse la plus importante, c’est nos employés, et c’est pourquoi j’ai toujours investi dans le capital humain.»
Le président, qui a conclu voilà quelques années le rachat de tous les actionnaires, est aujourd’hui actionnaire principal de Croesus. L’entreprise a un programme de participation de ses employés clés. Rémi Therrien évoque par ailleurs le taux de roulement très faible du personnel.
«Nos concurrents sont les Ubisoft et CGI de ce monde. Il faut donc avoir quelque chose à offrir à ses employés. Au-delà des espaces physiques intéressants, il faut offrir un travail stimulant et des possibilités d’avancement au sein de l’entreprise. Lorsque l’entreprise est plus petite, c’est plus difficile, mais nous sommes une entreprise privée, donc nous n’avons pas de contraintes liées aux actionnaires. Toutes les décisions sont prises en fonction de nos clients et de nos employés.»
Au défi lancé par la forte croissance enregistrée par Croesus dans les dernières années, Rémy Therrien avance que l’intégration passe par la communication.
«Il est important de transmettre nos valeurs, car il existe un risque réel de diluer la culture de l’entreprise. Il faut donc que tout le monde comprenne comment nous faisons des affaires et pourquoi nous le faisons.»
En croissance continue
«Depuis 25 ans, notre idée a toujours été d’offrir aux conseillers les outils pour faciliter leur tâche, de manière à ce qu’ils puissent donner le meilleur service à leurs clients», résume Rémy Therrien.
Grâce à des clients tels que CIBC Wood Gundy, Financière Banque Nationale, Banque TD et Valeurs mobilières Desjardins, pour n’en nommer que quelques-uns, Croesus est bien établie sur le marché canadien.
«Nous voulons être reconnus comme un fleuron québécois et être une entreprise de Fin Tech avec laquelle les institutions financières veulent travailler et pour laquelle les gens veulent travailler», confie Rémy Terrien. L’entrepreneur veut doubler l’actif client en cinq ans, et vise le cap du billion de dollars.
L’entreprise cible aussi le marché américain, où elle a récemment ouvert une succursale.
«Le développement du marché américain se fait tranquillement. Nous avons effectué plusieurs essais au fil des ans, mais cette fois-ci c’est la bonne», lance Rémy Therrien.
Croesus s’intéresse surtout au marché des conseillers indépendants. «Nous agissons ainsi afin de nous assurer de l’adéquation de notre produit avec le besoin», explique le président.
L’entreprise entend d’abord attirer une masse critique d’utilisateurs parmi les conseillers indépendants. Une fois cet objectif atteint, elle sollicitera des firmes un peu plus grandes, des independent broker-dealers, soit l’équivalent des firmes de courtage.
«Le développement du marché américain, c’est bien, mais nous voulons le faire correctement et en parallèle. Nous avons des projets avec nos clients actuels et plusieurs autres occasions d’affaires. Ce n’est pas comme si nous manquions de travail», dit Rémy Therrien.
Place à MRCC 2
La mise en oeuvre du modèle de relation client-conseiller (MRCC 2) constitue l’une des occasions auxquelles Rémy Therrien fait référence.
«Le MRCC 2 exige une transparence accrue et cela modifiera probablement la relation que certains conseillers ont avec leurs clients. Ils devront mieux expliquer les services qu’ils offrent, notamment la valeur de leurs services. C’est là que Croesus entre en jeu, car il s’agit d’un outil qui facilite cette tâche», explique Rémy Therrien.
Les firmes de courtage et les institutions financières, y compris les lignes d’affaires de courtage direct, seront quant à elles tenues de fournir différents rapports de performance.
«Nous traitons des millions de données par jour et ce traitement ne consiste pas seulement à insérer des transactions dans notre système. Il s’agit ici de calculs de performance, ce qui signifie que nous maintenons les performances quotidiennes dans le système, explique Rémy Therrien. Il y a peu d’acteurs capables de le faire avec des volumes importants.»
Pour Rémy Therrien, cette capacité propre à Croesus de répondre aux besoins du marché est un des principaux atouts du logiciel, «puisqu’il a été développé avec l’aide de conseillers et non par des technologues.»