
«Il y a une préoccupation dans toute l’industrie des valeurs mobilières au sujet de cette clientèle», note Marylène Royer, directrice, conformité, distribution, assurance de personnes et épargne, Est-du-Canada chez Desjardins Sécurité financière Investissements.
Cette préoccupation se reflète dans les contrôles effectués par les services de la conformité des cabinets.
«Au cours des dernières années, toutefois, et particulièrement durant la dernière année, nous ciblons vraiment la clientèle vulnérable dans notre base d’échantillons», constate-t-elle.
«Nous venons justement de donner une formation à nos représentants sur la clientèle vulnérable, mais aussi sur toute la relation avec le fondé de pouvoir (mandataire), et d’autres suivront», indique quant à lui Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques et chef de la conformité chez Mica Capital.
«Nous serons confrontés à des cas de plus en plus nombreux de personnes toujours vivantes, mais qui ne sont pas en état de gérer leurs propres affaires. Le nombre de mandataires impliqués ira donc croissant», ajoute-t-il.
Ainsi, pour éviter tout problème potentiel dans la gestion des affaires de ces clients, le conseiller doit travailler en amont, selon Marylène Royer.
Bases solides
Les tribunaux ont généralement une présomption favorable aux investisseurs, a indiqué Éric Azran, avocat associé chez Stikeman Elliott, lors du 8e colloque de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) tenu en mars dernier.
Cette présomption accentue l’obligation qui incombe au conseiller de bien connaître son client, surtout quand il travaille avec un client vulnérable, constate Éric Azran.
Pour dresser un portrait valable de ce client, le conseiller doit colliger des informations comme son âge, son niveau de scolarité, sa situation financière, son statut professionnel et son expérience en matière de placement.
Il doit également évaluer sa tolérance au risque. «Ces informations influenceront directement la façon dont je vais conseiller mon client et le niveau de mon discours», explique Éric Azran.
C’est au conseiller qu’il revient de poser un diagnostic quant à la tolérance au risque d’un client, selon lui.
«Votre diagnostic doit être rédigé noir sur blanc, sur papier, ajoute Éric Azran, parce que plus tard, si l’investisseur qui a perdu de l’argent vous blâme, vous devrez avoir des notes à montrer à votre firme, à votre patron, aux autorités de réglementation, aux enquêteurs, au tribunal, à l’avocat et à l’expert, pour prouver que vous avez fait le travail en bonne et due forme.»
D’après Éric Azran, les tribunaux considèrent que c’est au conseiller qu’il revient de prendre le contrôle de la relation. Il doit s’assurer que le client comprend les conseils donnés et que ceux-ci seront mis en oeuvre pour protéger le client contre lui-même s’il le faut, dit l’avocat.
De plus, il faut rafraîchir chaque année au minimum les renseignements personnels, insiste Éric Azran. «Parce que si le client n’est pas vulnérable aujourd’hui, il peut le devenir demain. Si vous ratez le bateau sur ce plan, vous en paierez le prix ultimement», dit-il. Le conseiller doit également réviser périodiquement les objectifs du client.
Composer avec les mandataires
On incite donc les conseillers à mieux connaître leurs clients vieillissants et à s’informer de l’existence d’un mandat en cas d’inaptitude ou d’une procuration.
«Le cas échéant, cela implique qu’on sache en qui ces clients ont confiance dans leur entourage, et éventuellement, à bâtir une relation qui intègre des pairs dans le processus, dans le respect de la protection des renseignements personnels», illustre Marylène Royer.
Ainsi, lorsqu’un mandat en cas d’inaptitude est homologué, le mandataire du client est déjà au fait du dossier. Le représentant réduit d’autant son risque de différend avec le mandataire.
Lorsque le conseiller constate qu’il est en présence d’une tierce partie, il doit savoir en vertu de quoi cet individu est autorisé à agir au nom du client. «Il faut avoir en main le document qui établira la relation. On parle ici du jugement d’homologation d’un mandat en cas d’inaptitude, ou encore de la procuration», souligne Yvan Morin.
Éric Azran fait une mise en garde pour le cas où il y a présence d’un mandataire. «N’oubliez jamais que le client est le titulaire du compte. Même si c’est au mandataire que vous parlez, celui-ci agit pour le compte de votre client. Il n’est pas votre client.»
Le conseiller doit être particulièrement attentif au pourcentage de placements spéculatifs qui figurent dans le portefeuille du client, ainsi qu’à son contrôle face aux ordres de retraits du compte du client, indique l’avocat.
Il existe différentes pratiques pour éviter le détournement de fonds potentiel au profit d’un mandataire, signale Marylène Royer. Par exemple, aucun chèque ne sera émis, et aucun transfert de fonds ne sera effectué à l’intention d’une personne autre que le client.
Lorsque le conseiller reçoit un ordre de transaction, il doit toujours se demander si l’instruction donnée respecte réellement l’intérêt du client.
«Si vous avez un doute, téléphonez aux affaires juridiques du cabinet pour valider certains éléments, suggère Yvan Morin. Le principe général qui s’applique à tout tiers qui administre les biens d’une personne est prévu dans le Code civil du Québec, c’est la règle des placements présumés sûrs. Le mandataire doit donc se conformer à cette règle, et le représentant est là pour le guider également.»
Vrai cauchemar
Lorsque la transaction n’est pas dans l’intérêt ultime du client, le conseiller a l’obligation de la refuser, souligne Éric Azran. «Maintenant, ce n’est pas aussi facile dans la réalité. C’est difficile à justifier devant un tribunal et vous vous exposez à des recours si vous le faites», confirme-t-il.
Recevoir un ordre de transaction qui ne respecte pas l’intérêt du client, «c’est un vrai cauchemar», lance Marylène Royer.
La première action à entreprendre, selon elle : négocier avec le mandataire et tenter de démontrer que cet ordre n’est pas cohérent avec le profil du client. Si le client vulnérable est compétent, il faut en discuter avec lui.
Toutefois, si le client est inapte, c’est son intérêt ultime qui compte. «Mais cela peut être difficile, parce que légalement, le mandataire a le pouvoir de donner l’ordre de transaction. La relation de confiance est donc extrêmement importante», explique Marylène Royer.
«Nous sommes un exécutant. Nous avons un devoir de recommandation, mais si nous avons un ordre de transaction, en fin de compte, ce sera peut-être au client qu’il reviendra de considérer des recours contre le mandataire», ajoute Marylène Royer.
«Le cas échéant, il faudra démontrer à la cour que vous avez fait preuve d’inspection diligente, évoque Éric Azran. Au minimum, il faut poser des questions et obtenir une réponse plausible qui justifie la transaction dans les circonstances.»