La croissance fulgurante de l’intelligence artificielle a suscité des avertissements de la part de certains observateurs quant à l’éclatement imminent d’une « bulle ». Des acteurs du monde technologique estiment toutefois que le secteur ne subira pas le même sort que l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000.
Il existe des différences fondamentales entre l’infrastructure d’IA, encore en construction, et le boum d’internet de la fin des années 1990, selon Kevin Deierling, vice-président senior des réseaux chez Nvidia. À l’époque, tout était à construire et les entreprises n’étaient pas immédiatement prêtes à utiliser cette technologie.
« Il y a eu un décalage », a expliqué Kevin Deierling, s’exprimant le 19 novembre à Toronto en marge de la conférence Cisco Connect, aux côtés d’autres dirigeants du secteur technologique.
« Du jour au lendemain, je disposais d’une immense bande passante pour internet et l’ère des jeunes pousses, mais maintenant, j’ai réellement besoin d’Amazon, d’Uber, de Netflix et de toutes ces autres entreprises », a-t-il souligné.
Bien que ces cas d’usage se soient développés au fil du temps, Kevin Deierling a assuré que l’IA n’a pas à attendre des décennies. Il a rappelé que des applications logicielles basées sur l’intelligence artificielle « existent déjà » et que les entreprises peuvent les exploiter immédiatement.
« À l’époque de la bulle internet, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, on a commencé à observer une accumulation des stocks […] et les entreprises expédiaient des produits qui ne se vendaient pas. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », a-t-il mentionné lors d’une entrevue.
« Ces technologies sont utilisées dès leur conception », a-t-il ajouté.
Ces perspectives encourageantes intervenaient quelques heures seulement avant la publication, mercredi, des résultats trimestriels de l’entreprise, ce qui pourrait apaiser les inquiétudes de certains analystes. L’entreprise a enregistré un bénéfice net de 31,9 milliards de dollars américains (G$ US) au troisième trimestre, contre 19,3 G$ US un an plus tôt, tandis que son chiffre d’affaires a progressé de 62 %.
Les ventes de puces graphiques de Nvidia, utilisées pour l’entraînement de systèmes d’IA performants comme ChatGPT et les générateurs d’images, ont largement dépassé les prévisions des analystes.
Nvidia, la plus grande capitalisation boursière de Wall Street, qui a brièvement dépassé les 5000 G$ US de capitalisation, a connu des difficultés ce mois-ci, perdant plus de 10 % sur l’indice élargi S&P 500 le 18 novembre. L’action affichait une hausse d’environ 6 % le 20 au matin.
Les analystes suivent de près l’évolution du titre, y voyant un indicateur potentiel de la performance future du secteur de l’IA, car d’autres entreprises dépendent des puces Nvidia pour accélérer leurs propres développements dans ce domaine.
Si les actions liées à l’IA connaissent une forte croissance depuis des années, l’inquiétude grandit quant à la rentabilité des investissements massifs dans ce secteur, qui pourraient ne pas être à la hauteur des attentes.
D’autres acteurs du secteur ont également minimisé ces inquiétudes lors de la conférence de mercredi. François Chadwick, directeur financier de la société technologique torontoise Cohere, a comparé la demande en IA à un « battement de tambour constant ».
« Il y a un réel besoin », a soutenu François Chadwick lors d’une entrevue, ajoutant qu’aux débuts d’internet, certaines entreprises technologiques « développaient des choses dont personne n’avait vraiment besoin ni envie ».
« Actuellement, la demande et le besoin sont bien présents. Entreprises, gouvernements, tous réclament cette technologie », a-t-il précisé.
Des gagnants et des perdants
Cependant, cela ne signifie pas que tous les investissements dans l’IA seront forcément fructueux, prévient Tom Gillis, vice-président principal et directeur général de l’infrastructure et de la sécurité chez Cisco.
Avec une telle transformation, il y aura forcément des gagnants et des perdants, croit-il.
« Certains prendront un risque et feront un pari qui s’avérera erroné, a avancé M. Gillis. Mais pensez-vous vraiment qu’il y aura un revirement de situation, du genre : “Finalement, l’IA n’est pas si utile” ? Il suffit d’utiliser une messagerie instantanée pour s’en convaincre. (…) Elle est extrêmement précieuse et justifie donc des investissements importants pour impulser ce changement. »
Seules 8 % des organisations canadiennes sont considérées comme « prêtes pour l’IA », d’après une étude publiée le mois dernier.
Selon l’indice de préparation à l’IA de Cisco, près des trois quarts des entreprises interrogées au Canada prévoient de déployer des agents d’IA et 34 % s’attendent à ce qu’ils travaillent aux côtés de leurs employés d’ici un an. Toutefois, rares sont celles qui disposent de l’infrastructure sécurisée nécessaire pour les soutenir.
Celles qui sont pleinement préparées ont 50 % plus de chances d’en constater les avantages concrets.
Kevin Deierling a décrit le Canada comme étant « en avance sur la recherche, mais en retard sur le déploiement » en matière d’utilisation de l’IA.
« Et je ne comprends pas pourquoi, a-t-il déclaré. Le pays possède les compétences de base, les personnes qui comprennent le sujet. Toutes sortes d’entreprises devraient en bénéficier. Je pense donc que c’est simplement une question de volonté. »
Kevin Deierling a toutefois reconnu que de nombreuses entreprises restent réticentes à l’égard de l’IA. Il a souligné que la clé est de commencer modestement, en se concentrant souvent sur des cas d’utilisation internes, plutôt que de « risquer toute son activité avec une IA dont on ne maîtrise pas forcément la mise en œuvre ».
« Toutes les entreprises sont prêtes à utiliser l’IA, elles l’ignorent simplement, a-t-il affirmé. Le risque n’est pas si élevé. Déployez une solution, commencez à l’utiliser, et vous constaterez des gains de productivité tels que la demande engendrera à elle seule la prochaine génération. »