Quatre silhouettes de personnes.
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L’industrie financière et les conseillers ne réussissent pas à rejoindre la majorité des Canadiens, selon un récent sondage de BlackRock mené auprès de 27 000 personnes dans 13 pays, dont le Canada et les États-Unis.

À l’échelle mondiale, 57 % des répondants n’investissent ni dans les actions ni dans les obligations, révèle le sondage.

Au Canada, 57 % des non-investisseurs affirment ne pas avoir suffisamment d’argent pour commencer à investir. Fait étonnant, 61 % des Canadiens qui n’ont pas de placements jugent l’information en matière d’investissement trop difficile à comprendre (64 % à l’échelle mondiale). Cette proportion n’est que de 20 % au Japon, mais atteint 52 % en Chine. On note aussi certaines différences selon les générations : 55 % des baby-boomers se plaignent de ne pas comprendre les finances, une proportion qui grimpe à 59 % chez la génération X et à 63 % chez les milléniaux.

Ces non-investisseurs ne sont toutefois pas perdus à jamais. Au Canada, 74 % d’entre eux reconnaissent que leurs perspectives seraient meilleures s’ils commençaient à investir dès maintenant. De plus, 25 % des non-investisseurs canadiens aimeraient avoir l’occasion de se faire la main en investissant une somme d’argent modeste.

Par ailleurs, trois quarts (76 %) des répondants internationaux et canadiens qui ont recours à un conseiller disent éprouver un sentiment de bien-être. Parmi les répondants internationaux qui investissent, 43 % sont plus confiants dans leur avenir financier.

Autres types d’épargne

Ces résultats n’étonnent pas les spécialistes à qui Finance et Investissement a parlé. Toutefois, certains chiffres gagneraient à être mis en perspective.

Par exemple, affirmer que 57 % des gens n’investissent pas «me semble élevé, car bon nombre le font probablement indirectement par l’entremise des régimes de retraite», observe Stéphane Chrétien, professeur de finance et titulaire de la Chaire Groupe Investors en planification financière de l’Université Laval.

De plus, de nombreuses personnes qui n’investissent pas dans les marchés financiers possèdent une maison ou un immeuble à revenus, ce qui constitue une autre forme d’épargne-retraite, ajoute-t-il. «Ne pas investir ne veut pas nécessairement dire que les gens sont mal en point pour leur retraite.»

Si 57 % des Canadiens affirment ne pas avoir les moyens d’investir, il faut faire la part entre ceux qui n’en ont vraiment pas les moyens et ceux qui ne se donnent pas les moyens nécessaires. Entre ces deux groupes, la frontière est floue, car «il y a beaucoup d’études sur les habitudes de consommation et sur les revenus des gens, mais bien peu qui associent ces deux aspects», fait remarquer Chuck Grace, professeur de finance et directeur de programme à la Richard Ivey School of Business de l’Université Western Ontario.

RBC a publié en 2016 l’une de ces rares études couvrant à la fois les dépenses et les revenus des ménages canadiens, de 2010 à 2014. En 2013, avec un revenu médian de 76 550 $, un ménage canadien dépensait en moyenne 79 098 $, de sorte que son budget était déficitaire de 2 548 $. Cependant, ces chiffres tiennent compte de versements de 3 531 $ à des régimes de retraite.

Par ailleurs, l’endettement des ménages canadiens équivalait à 178,5 % de leur revenu annuel au dernier trimestre de 2018, selon Statistique Canada, le service de la dette représentant 14,9 % du revenu.

Mieux communiquer

Selon Chuck Grace, l’industrie financière pourrait rejoindre un segment important de ces ménages, soit celui des personnes qui ne savent pas épargner. «C’est un problème très réel, dit l’universitaire. Bien des gens ont simplement perdu de vue combien ils dépensent. Le crédit se distribue comme du bonbon.»

Larry Bates, auteur du livre Beat the Bank, n’est pas surpris que 61 % des Canadiens non- investisseurs trouvent l’information financière trop difficile à comprendre. «Investir peut être très simple, mais l’industrie fait paraître cela très compliqué», affirme-t-il, en évoquant des publicités sur l’investissement factoriel qu’il a vues récemment.

C’est un phénomène que ne dément pas Katie Walmsley, présidente de l’Association des gestionnaires de portefeuille du Canada. Toutefois, insiste-t-elle, force est de constater «qu’il y a eu de l’amélioration dans la communication à propos des produits et des services. Les régulateurs ont aidé l’industrie à être plus explicite et d’approche plus facile pour l’investisseur».

Nous n’en sommes cependant pas à un paradoxe près, souligne Chuck Grace. La plus grande transparence et la tendance vers une rémunération à honoraires qu’elle engendre «pourrait amener l’industrie à délaisser les petits épargnants au profit des personnes plus fortunées», indique-t-il. C’est dire que les résultats mis en avant dans le sondage de BlackRock pourraient ne pas s’améliorer.

Miser sur la technologie

Comment les conseillers peuvent-ils rejoindre un plus grand nombre de personnes, voire recruter davantage de clients ? Outre le travail déjà amorcé sur les frais de gestion et sur la rémunération du conseil, deux grandes voies se dessinent.

La première consiste à décloisonner les services trop souvent découpés en catégories rigides : investissement, assurance, hypothèque, fiscalité, etc. La deuxième est celle que privilégie Chuck Grace : la technologie.

Tous nos intervenants ont noté l’émergence des robots-conseillers. «L’accroissement du bassin de clientèle passera probablement par là. C’est un outil dont les conseillers doivent se doter», dit Stéphane Chrétien.

Cependant, la technologie ne se limite pas aux robots, insiste Chuck Grace : «Il faut rejoindre les gens et rendre le conseil accessible par le téléphone intelligent et Internet. Si on continue à travailler dans un monde de rendez-vous en personne, on va perdre la partie», soutient-il.