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Les employeurs ont l’obligation d’assurer la santé et la sécurité de leurs télétravailleurs, ce qui inclut aussi les cas de violence conjugale.

Avec l’adoption du projet de loi 59, en octobre 2021, la Loi sur la santé et la sécurité du travail a été modifiée. Depuis, de nouvelles dispositions obligent l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection d’un travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou sexuelle, rappelle Marie-Hélène Jolicoeur, avocate spécialisée en droit du travail et associée chez Lavery.

Ce genre de situations était couvert, du moins en partie, par les dispositions pour protéger les travailleurs du harcèlement psychologique de la Loi sur les normes du travail, qui incluaient aussi les gestes posés par un tiers. Or, ces changements viennent clarifier le tout, estime l’avocate. « Le législateur lance ainsi un message, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une question de société qui concerne tout le monde, y compris les employeurs. Un peu comme les enseignants à l’école, ils sont bien placés pour détecter les signaux de détresse qui sont liés à ce type de violence. » C’est d’autant plus vrai que ces personnes se retrouvent souvent isolées et que le travail peut devenir l’un de leurs seuls liens avec le monde extérieur.

Ainsi, l’employeur doit prendre les moyens pour prévenir ce genre de situations et mettre en place des mesures lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le salarié est exposé à une situation de violence conjugale. « L’employeur a une obligation de moyens, et non de résultats », précise toutefois Marie-Hélène Jolicoeur.

L’adoption d’une politique de prévention fait partie des moyens qu’il est possible d’instaurer, une obligation classique en matière de prévention. « Cette politique doit être révisée régulièrement, diffusée et portée à la connaissance des salariés. Les personnes devraient aussi être formées en matière de violence et plus spécifiquement sur la violence conjugale. Cette politique devrait aussi inclure un processus de déclaration », explique-t-elle.

Comme les employeurs sont déjà tenus par la loi d’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique ou sexuel et de traitement des plaintes, ils pourraient tout simplement ajouter un volet concernant les violences familiales, conjugales et sexuelles, suggère aussi Marie-Hélène Jolicoeur.

Des actions concrètes peuvent également s’ajouter, comme le fait de former une personne aux ressources humaines pour qu’elle puisse détecter les signaux de violence, poursuit-elle. « Il est aussi possible de créer des partenariats avec des intervenants spécialisés, dans les maisons d’hébergement pour victimes de violence conjugale par exemple, qui connaissent toutes les ressources disponibles, qui peuvent proposer une référence pour offrir de la formation en entreprise, préparer des capsules de sensibilisation, etc. »

La loi protège aussi les télétravailleurs, ainsi que les « travailleurs autonomes dépendants », c’est-à-dire qu’ils n’ont qu’un seul client, précise également l’avocate. Les moyens de prévention ne sont pas si différents, que les salariés se trouvent à distance, ou directement au bureau. « Ce qui change surtout, c’est la façon de rejoindre ses salariés. Plutôt que de préparer une campagne d’affichage au bureau, il faut peut-être envoyer des Infolettres ou prévoir des moments où un intervenant est disponible sur Teams pour ceux qui auraient besoin d’aide. Il faut innover, voir les choses autrement. »

Ouvrir l’œil sur les télétravailleurs

Il n’est pas facile de déceler les signes de violence chez une victime, d’autant plus quand elles se trouvent à distance. Or, certains éléments devraient mettre la puce à l’oreille des employeurs. « Une personne qui est constamment interrompue par son conjoint, qui s’absente souvent ou qui a des difficultés de rendement, cela peut être des signaux. » Certains organismes ont également rédigé des guides permettant d’être à l’affût de ces indices et de mieux déceler ces variations dans le comportement, ajoute-t-elle.

S’il soupçonne quelque chose, l’employeur pourrait ouvrir la discussion sur le sujet, avoir un échange, diriger le salarié vers les bonnes ressources ou encore lui offrir la possibilité de revenir travailler au bureau. S’il estime que son employé est en danger, il doit aussi agir, en appelant les secours d’urgence, précise-t-elle. « Dans chaque poste de quartier [au Service de police de la ville de Montréal], il y a une personne pivot spécialisée sur les questions de violence conjugale qui peut offrir des conseils sur les mesures à prendre. »

Toutefois, il faut respecter la confidentialité des travailleurs, rappelle la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Ainsi, ces ressources peuvent aider les employeurs à agir de façon générale. « L’employeur devrait toutefois mettre en place des mesures permettant à la victime de briser le silence en toute confiance. Lorsqu’il a un doute sur la situation vécue par une personne, l’employeur peut tenter d’aborder avec elle son bien-être sans exiger qu’elle révèle quoi que ce soit », mentionne l’organisme.

Bref, il s’agit de situations délicates, d’autant plus que la ligne entre vie privée et professionnelle est mince en télétravail. « Je ne pense pas que l’employeur puisse s’improviser intervenant. C’est pourquoi il est important de s’arrimer avec des organismes comme les maisons d’hébergement, par exemple, qui ont des ressources spécialisées », insiste Marie-Hélène Jolicoeur.

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