un homme d'affaire et un robot se serrant la main
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Devant la baisse de rentabilité de leurs équipes de vente, des manufacturiers de fonds d’investissement cherchent leur salut dans l’automatisation afin de pouvoir présenter éventuellement des offres taillées sur mesure. L’intelligence artificielle (IA) évincera-t-elle leurs responsables de vente et leurs démarcheurs (wholesalers) ?

Selon une enquête des consultants américains Casey Quirk, la profitabilité moyenne des professionnels de vente des firmes de gestion d’actif aurait plongé de moitié entre 2012 et 2017. D’après ces consultants, la technologie pourrait venir à leur rescousse sous la forme d’entrepôts de données, d’outils d’analytique et de logiciels d’intelligence artificielle. Le but : repérer les préférences des clients afin de personnaliser les offres de produits et services.

Cette perspective pourrait se réaliser, mais à certaines conditions, juge Jean Morissette, consultant auprès de firmes de gestion de patrimoine et ancien président de Services financiers Partenaires Cartier.

«Moins l’offre est sophistiquée, plus les outils d’automatisation peuvent être efficaces. Il est possible d’agréger beaucoup de données similaires et d’en tirer des lignes de force. Cette façon de faire peut servir des clients moins rentables en raison de la baisse continue des frais de gestion», explique-t-il.

Toutefois, l’automatisation a son revers. «J’y vois deux dangers. Le premier serait de submerger les clients d’offres de toutes sortes. Le second serait la protection des données, car il reste beaucoup à faire avant que l’automatisation en gestion d’actif devienne réellement sécuritaire. Qu’arriverait-il, par exemple, si quelque chose d’important flanchait dans les interactions entre ce genre de logiciels et les clients ?» se demande Jean Morissette.

Si les clients moins rentables sont des cibles naturelles pour l’automatisation, Jean Morissette ne croit pas que ce soit le cas de la clientèle haut de gamme dans un avenir prévisible, compte tenu des technologies actuelles.

Ce n’est pas pour demain

Ancien chef des investissements de la Financière Mackenzie, ancien chef de la direction des placements d’Investissements Standard Life et maintenant président de la firme de gestion privée Investissements DixCarré, Norman Raschkowan est bien au fait des réalités de l’univers de la gestion d’actif.

«Les manufacturiers de fonds établis hésitent à se lancer dans l’aventure des nouvelles technologies en raison de leurs investissements dans leurs systèmes existants et aussi, en raison des risques que cela présente à l’égard de leurs marques», affirme-t-il.

Norman Raschkowan évoque un second type d’obstacle : «Les firmes de robot-conseil qui utilisent des algorithmes afin de traduire les objectifs d’investissement et les profils de risque en combinaison de fonds négociés en Bourse, constituent l’avant-garde de l’avancée technologique en gestion d’actif. Pourtant, ces firmes ont besoin de personnel dans des centres d’appels», indique-t-il.

«De plus, ces firmes n’ont pas encore intégré, dans leurs algorithmes, toutes les variations rattachées aux produits d’investissement selon les juridictions et l’instrument de placement. Elles y arriveront un jour, mais elles n’y sont pas encore», poursuit Norman Raschkowan.

Dans cette logique, le soutien aux ventes pourrait demeurer un enjeu important pour les manufacturiers de fonds. Toutefois, les jeunes générations étant davantage portées vers les technologies du type robot-conseiller, le sort des démarcheurs devient de plus en plus incertain.

D’après Norman Raschkowan, le remplacement des démarcheurs par l’intelligence artificielle, comme le prévoit Casey Quirk, ne se réalisera pas du jour au lendemain.

«La transition du pouvoir financier vers les nouveaux consommateurs de la génération Y prendra du temps. Les sociétés de fonds indépendantes ont besoin des démarcheurs pour rejoindre les conseillers qui maîtrisent la relation avec les clients. Elles sont nettement désavantagées par rapport aux banques qui maîtrisent la relation clients», explique-t-il.

Étant donné ces facteurs, Norman Raschkowan envisage «un long déclin du pouvoir de marché des sociétés de fonds indépendantes et de leurs démarcheurs».

La technologie réussira-t-elle à freiner la chute de profitabilité des ventes des démarcheurs de fonds ? Rien n’est moins sûr, selon Dan Hallett, vice-président et directeur chez HighView Financial Group.

Il rappelle que de nombreux grands acteurs de l’industrie ont été touchés par les sorties nettes au cours des dernières années. «De façon globale, les ventes restent positives, mais elles sont certainement plus difficiles à réaliser, ce qui les rend moins profitables», dit-il.

Dans les années 1990, les conseillers laissaient leurs portes grandes ouvertes. «Aujourd’hui, la tendance consiste à restreindre le nombre de manufacturiers de fonds», constate Dan Hallett.

De plus, les tarifs préférentiels et automatiques relatifs aux plus gros comptes ont fait diminuer les marges des manufacturiers de fonds.

Finalement, la concurrence acharnée des fonds négociés en Bourse a également suscité le développement des séries F qui, elles aussi, ont rongé les marges bénéficiaires. «Les manufacturiers ont été amenés à abaisser la tarification des séries F», observe Dan Hallett.