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La faiblesse persistante des bas taux d’intérêt et les exigences en matière de capital réglementaire pourraient éventuellement forcer les assureurs à abandonner leurs produits d’assurance vie universelle (VU) à coût nivelé.

Cette mise en garde provient d’un connaisseur de l’industrie, Louis-Charles Leclerc, directeur, produits d’assurance chez iA Groupe financier : «Les assureurs ont de plus en plus de difficultés à soutenir les produits comportant des garanties à long terme.»

Étant donné que les primes sont établies une fois pour toutes, les produits d’assurance vie universelle à coût nivelé sont aux premières lignes du dilemme financier des compagnies d’assurance.

«Certains assureurs pourraient hausser les primes des produits d’assurance vie universelle à coût nivelé. D’autres pourraient refondre ce genre de produit afin de transférer une portion du risque aux consommateurs. Et certains pourraient carrément les retirer du marché», estime Louis-Charles Leclerc.

Au deuxième rang canadien en ce qui a trait aux ventes d’assurance vie universelle, selon les chiffres de LIMRA établis lors des neuf premiers mois de 2017, iA Groupe financier a déjà exécuté deux de ces solutions.

Lancé en septembre 2015, son produit d’assurance vie universelle Capital Valeur comporte un risque lié aux taux d’intérêt «moins important pour la société que pour l’assurance vie universelle à coût nivelé usuelle», comme le rapporte le rapport annuel 2016 d’iA. Les ventes de Capital Valeur sont d’ailleurs au rendez-vous, ayant progressé de 30 % en 2017 alors que le secteur de l’assurance vie individuelle d’iA enregistrait l’année dernière une baisse de 6 %, d’après le rapport de gestion 2017. Et en janvier 2018, les primes de la vie universelle Genesis à coût nivelé d’iA ont augmenté de 20 % en moyenne.

David Benamron est directeur des affaires en prestations du vivant et dossiers avancés chez l’agent général Financière MSA. Il se dit modérément sceptique face à l’avenir de l’assurance vie universelle à coût nivelé. «Je ne m’étonnerais pas de voir des assureurs quitter le terrain des [assurances] vie universelle à coûts nivelés … quitte à y revenir plus tard, dans quelques années ! Selon nos observations, ce produit est en train de perdre sa place dans le marché», indique-t-il.

Déclin semblable à celui de l’ASLD

Les exigences de capital réglementaire, les normes comptables IFRS et surtout la persistance des bas taux d’intérêt ont fondamentalement changé les règles du jeu, ajoute le consultant Robert Landry, ex-vice-président exécutif d’AXA Canada : «Les prévisions des actuaires relatives aux taux d’intérêt s’appuient sur des courbes de rendement allant jusqu’à dix ans, en arrière dans le temps. Étant donné que les taux d’intérêt se situent à des niveaux très bas depuis un bon nombre d’années déjà, la pression s’accroît constamment. Avec les exigences actuelles de capital réglementaire et les IFRS, nous obtenons une recette menant logiquement à l’abandon de produits d’assurance à long terme… comme la vie universelle à coût nivelé.»

La disparition des assurances vie universelle à coût nivelé pourrait bien avoir lieu, convient Yan Charbonneau, président-directeur général de l’agent général AFL Groupe financier. Toutefois, ajoute-t-il, son déclin pourrait être très lent, à l’image de celui des produits d’assurance de soins de longue durée (ASLD).

«Personne ne connaît l’avenir. La fin de la vie universelle à coût nivelé pourrait bel et bien arriver, notamment sous l’effet de fortes augmentations de primes, mais pas avant trois ou quatre ans. Le déclin de la vie universelle à coût nivelé pourrait ressembler à celui de l’assurance de soins de longue durée», évoque Yan Charbonneau en rappelant les disparitions, récentes et à venir, des produits autonomes d’ASLD manufacturés par la Financière Manuvie (novembre 2017) et Desjardins Sécurité financière (juin 2018).

Une certaine utilité

Une grande partie de la clientèle de Coaching Financier Trek est composée d’entrepreneurs et de professionnels.

«Nous utilisons rarement la vie universelle pour diverses raisons, à commencer par les frais de gestion de son volet placement qui sont sensiblement élevés», dit Marc Bérubé, président fondateur de ce cabinet lavalllois de douze conseillers en sécurité financière.

Aux yeux de celui qui est également l’auteur d’un livre de stratégies en assurance intitulé Jusqu’au bout, la vie universelle ne donne pas satisfaction par rapport à l’objectif d’accumulation.

«Compte tenu de l’importance de ces frais et de la faiblesse des taux, l’assuré doit prendre des risques importants s’il veut générer de bons rendements», dit Marc Bérubé.

Cela dit, le patron de Coaching Financier Trek signale une situation qui concorderait particulièrement bien avec les caractéristiques de l’assurance vie universelle.

«Ce produit convient à merveille aux entrepreneurs qui génèrent des profits très variables. Ils peuvent alors verser, dans le volet placement de la police, des montants différents, d’année en année, et d’une façon fiscalement avantageuse», dit Marc Bérubé.

En revanche, si l’entrepreneur est certain de pouvoir verser une somme fixe prédéterminée, Marc Bérubé lui conseillerait alors de passer un peu de temps au rayon de l’assurance vie entière avec participation. «Les rendements sont intéressants !» dit-il.

Le jeu des assureurs

Pourquoi les assureurs maintiennent-ils un produit à la rentabilité aussi problématique que l’assurance vie universelle à coût nivelé ?

«Parce que les conseillers y tiennent. Et qu’aucun assureur ne veut être le premier à dire qu’il en cessera la vente. Autrement dit, les assureurs ne veulent pas se mettre leurs réseaux de distribution à dos… et que ce soit des réseaux propriétaires ou des réseaux maison ne change rien à l’histoire», affirme Robert Landry.

Consultant et ex-vice-président exécutif d’AXA Canada, Robert Landry explique le fond de sa pensée.

«La question de la pérennité de l’assurance vie universelle à coût nivelé soulève l’enjeu de la distribution directe sur Internet. Dans l’éventualité où la distribution directe deviendrait réalité, les assureurs augmenteraient alors leurs marges et ils deviendraient moins dépendants des réseaux de distribution actuels. Ils pourraient alors rétrécir la gamme de produits avec garanties à long terme … y compris les produits d’assurance vie universelle à coût nivelé», dit Robert Landry.

La distribution sur Internet pourrait ainsi sonner le glas d’un produit phare de l’industrie.