Un homme devant trois énormes tapettes à souris, dans lesquelles sont coincés des billets de banque.
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Ces nouvelles épices rehausseront-elles le menu habituel des épargnants ou leur causeront-elles des brûlements d’estomac ? Les avis sont partagés.

Les stratégies de fonds alternatifs divergent des voies que suivent les fonds communs traditionnels. Elles peuvent accentuer la concentration des titres détenus en portefeuille, emprunter davantage et recourir à un plus haut degré aux ventes à découvert ainsi qu’à l’utilisation de dérivés. Elles peuvent aussi être passablement moins liquides.

Ex-vice-président principal, solutions gérées chez Fonds Dynamique, Marc St-Pierre a longtemps été responsable de la construction de portefeuilles auprès de ce manufacturier de fonds. La possibilité d’introduire jusqu’à la hauteur de 10 % une composante alternative dans les portefeuilles des épargnants ne l’impressionne guère.

«Avec une part limitée à 10 %, les fonds alternatifs ne bouleverseront rien. C’est trop peu pour modifier la composition des portefeuilles de façon significative. Selon moi, c’est plutôt du marketing visant à favoriser la mise en marché de nouveaux produits», estime Marc St-Pierre, qui préside sa propre société-conseil en gestion de patrimoine, MSP & Associés.

À l’opposé, Dan Hallett, vice-président et directeur de HighView Financial Group, voit dans ces 10 % une menace pour les épargnants.

En effet, les stratégies alternatives conçues pour les petits investisseurs risquent de comporter des frais excessifs. De plus, les meilleures stratégies et les meilleurs gestionnaires pourraient ne pas quitter les hauteurs des clientèles institutionnelles et fortunées et, ainsi, ne pas se rendre jusqu’aux clientèles de détail. Finalement, les attentes des conseillers et des clients seraient susceptibles de manquer de réalisme.

«Ces stratégies peuvent déclencher, chez les conseillers et les clients, des comportements nuisant à la valeur en raison d’une compréhension insuffisante des stratégies elles-mêmes et de leurs facteurs de risque», affirme Dan Hallett.

Cible : les conseillers à honoraires

Jean Maltais est un vieux routier des fonds d’investissement. Il compte un quart de siècle d’expérience, notamment à titre de directeur, gestion de portefeuille chez Partenaires Cartier (2001-2003) et d’analyste principal de portefeuille chez Fonds Dynamique (2004-2012). Il est aujourd’hui à la tête de la société-conseil Finalytix, spécialisée en construction et suivi de portefeuille. Son point de vue est à mi-chemin de ceux exprimés par Marc St-Pierre et Dan Hallett.

«Les modifications au Règlement 81-102 sur les fonds d’investissement annoncent de belles choses. Plus il y a de catégories d’actifs, meilleurs pourraient être les résultats pour l’épargnant et l’investisseur. Toutefois, le risque augmentera. Il faudrait que ce type de fonds de fonds dispose d’une catégorie spécifique de façon à ce qu’on puisse éventuellement faire des comparaisons adéquates. Un fonds de fonds équilibré sera différent d’un fonds de fonds avec une composante alternative !» dit Jean Maltais.

Ce connaisseur de portefeuilles prévoit que ce genre de produit sera populaire auprès des conseillers à honoraires ayant des clientèles à l’aise ou relativement fortunées. «Ils voudront rehausser leur offre de services avec des actifs non traditionnels», estime-t-il.

Cible : les conseillers en valeurs mobilières

Jean Morissette va un pas plus loin. Selon cet ancien président de Services financiers Partenaires Cartier pour le Québec et ex-associé fondateur de Talvest, l’année 2019 nous réservera davantage de lancements de fonds alternatifs individuels que de fonds de fonds à saveur alternative.

«Je pense que les Fidelity et Mackenzie de ce monde mettront beaucoup d’énergie à la mise en marché de fonds alternatifs purs. Davantage que dans des fonds de fonds avec 10 % de contenu en stratégies alternatives», dit-il.

D’après lui, les fonds alternatifs individuels auront la capacité de rejoindre les clients financièrement à l’aise n’ayant pas suffisamment de ressources pour participer directement à des stratégies alternatives coûteuses, comme le capital-investissement (private equity).

Ultimement, poursuit Jean Morissette, les manufacturiers de fonds voudront rejoindre le canal du courtage de plein exercice, un secteur qui, actuellement, leur échappe en grande partie.

«Les grosses sociétés de gestion de placements entendent développer leurs parts de marché en courtage de plein exercice. Le lancement de fonds alternatifs leur permettra de le faire. C’est là un des grands changements à venir en 2019 !» affirme Jean Morissette.

Le compte à rebours est commencé. Les manufacturiers lanceront bientôt des fonds alternatifs ainsi que des fonds ayant 10 % de l’actif en fonds alternatifs. Comment envisage-t-on la situation du côté de l’offre ?

Il est nécessaire pour tout manufacturier d’«étudier» le marché avant d’«ouvrir la machine», souligne Joe Nakhle, vice-président, solutions d’investissements et stratégies d’affaires chez Banque Nationale Investissements (BNI).

«Les modifications au Règlement 81-102 équivalent à un changement de paradigme. Il faut voir si la création de fonds alternatifs et de fonds de fonds à saveur alternative a du sens, évaluer si ces produits amélioreront le ratio risque/rendement. Il faudra que le langage décrivant ces produits soit clair et compréhensible. De plus, il sera nécessaire de bien comprendre ces produits. Surtout, il faudra éventuellement savoir gérer les attentes», dit Joe Nakhle.

Avec l’arrivée des fonds alternatifs, les conseillers ont énormément de pain sur la planche, notamment sur le terrain de la recherche, affirme Dan Hallett, vice-président et directeur de HighView Financial Group.

«Dans quelle mesure les conseillers comprennent-ils les stratégies qui pourraient être mises en marché conformément au Règlement 81-102 ? Prendront-ils le temps d’enquêter sur les antécédents des fonds et de leurs gestionnaires ? S’informeront-ils des résultats obtenus grâce à ces stratégies, en comparant les gestionnaires avec leurs pairs, au cours des périodes de tension des marchés telles que les crises de crédit, les périodes de hausses de taux d’intérêt, les marchés baissiers d’actions, etc. ?» se demande Dan Hallett.

Selon cet observateur de l’industrie, les conseillers pourraient avoir du mal à justifier le bien-fondé des stratégies alternatives, sauf dans certains cas où les portefeuilles traditionnels n’atteindraient pas leurs objectifs de placement. «La complexité et l’illiquidité ne devraient être considérées que lorsque les investissements traditionnels ne peuvent atteindre des objectifs raisonnables», dit-il.

Toutefois, pondère Dan Hallett, dans des marchés semblables à ceux que nous connaissons depuis près de 10 ans, «il n’est pas rare que les clients augmentent les rendements souhaités indépendamment de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés. C’est là l’un des grands défis des conseillers, à savoir la gestion des comportements et des attentes.»