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Finance et Investissement a demandé à des observateurs de l’industrie d’expliquer le contexte de la restructuration au Mouvement Desjardins, qui touche Valeurs mobilières Desjardins (VMD) et qui permettrait au Service Signature Desjardins (SSD) de prendre du galon. Voici leur analyse.

D’abord, ce n’est pas d’hier que les institutions financières cherchent un modèle d’entreprise différent de celui des conseillers en placement pour servir un certain bloc d’affaires de clients. «Ça se passe dans toutes les banques», affirme Yves Néron, consultant auprès de sociétés de gestion de patrimoine et ancien dirigeant de VMD.

Déjà, dans les années 1990, CIBC avait créé son propre service de «super planificateur financier», soit Imperial Services, pour servir des clients ayant jusqu’à 1 à 2 M$ d’actif à investir, note-t-il. Les clients encore plus fortunés étaient dirigés vers les banquiers privés de l’institution financière.

«Ce ne sont pas des structures nouvelles. Il est normal que Desjardins prenne sa place dans ce créneau», explique Yves Néron.

Une question de relations

Or, la relation entre une institution et sa filiale de courtage de plein exercice engendre son lot de débats. «Toutes les firmes ont ce défi à gérer», dit Sara Gilbert, présidente de Développement des affaires Stratégist(e).

Par exemple, les employés d’une succursale bancaire ou d’une caisse Desjardins peuvent n’avoir aucune affinité avec le conseiller en placement qui leur est attitré, et donc, lui envoyer peu de recommandations, note-t-elle. Ou le conseiller pourrait être insatisfait, car on lui recommande des clients qui ne cadrent pas avec son modèle d’affaires, souligne Sara Gilbert : «C’est un défi relationnel.»

De plus, dans certaines institutions financières, les règles du jeu ne sont pas claires entre les courtiers de plein exercice et les autres filiales, comme les banques privées, ajoute-t-elle. Résultat, les succursales et les conseillers en placement ciblent les mêmes clients et «se pilent sur les pieds».

«Il y a de plus en plus de concurrence entre les banques privées et les conseillers en valeurs mobilières. Les clients ont la difficulté à faire la différence entre les deux, mais, pour l’entreprise, ce n’est pas la même chose», observe Sara Gilbert.

La restructuration chez Desjardins se déroule alors que différentes tendances de fond touchent le secteur du plein exercice. D’abord, «les revenus par portefeuille sont plus faibles, si bien que les conseillers ont besoin de plus de comptes et de plus d’actifs», indique Yves Néron.

De plus, les marges bénéficiaires ont diminué avec le temps, notamment en raison des exigences réglementaires, selon lui.

Il donne l’exemple des règles de distribution de titres provenant de premiers appels publics à l’épargne (PAPE). «Certains conseillers étaient des spécialistes des nouvelles émissions. Aujourd’hui, ça n’existe presque plus à cause du conflit d’intérêts inhérent à la distribution de ces émissions aux clients. Les règles sont plus strictes», explique-t-il.

En outre, les institutions financières, qu’elles emploient des conseillers salariés ou payés à commission, doivent offrir des services de gestion de patrimoine, ce qui est coûteux. «On est dans une ère de service et non de vente, dit Sara Gilbert. Un modèle de service, basé sur l’expérience client, ancré dans l’aspect relationnel, ça nécessite plus de ressources.»

Une question de rentabilité

Selon elle, la rentabilité reste au coeur des préoccupations des institutions financières. Or, des gestionnaires pourraient juger que les banques privées ou le SSD sont plus rentables.

Marc Jobin, ancien vice-président, courtage de plein exercice, de VMD et aujourd’hui retraité, a cependant des doutes quant à la rentabilité de conseillers à salaire. «Ça ne prend pas 50 employés sous un conseiller pour faire marcher une équipe et générer une marge intéressante. Avec le Service Signature Desjardins, tu tombes dans un encadrement assez corporatif.»

«Le côté courtage est peut-être plus rentable au bout de la ligne : moins d’espace physique, moins de personnel, etc. Les courtiers consacrent beaucoup de leurs revenus à bien rémunérer leur équipe pour que ça fonctionne bien», poursuit-il.

Avec le SSD «ou dans un environnement bancaire, je ne sais pas si les marges sont si fortes que cela», dit Marc Jobin. Cependant, les conseillers bancaires ont l’avantage de pouvoir offrir des prêts hypothécaires, des prêts personnels ou commerciaux, ce qui accroît leur polyvalence. «C’est peut-être là qu’ils iraient chercher leur marge. Mais cela, ils vont le savoir juste après.»

Une question de culture

La restructuration actuelle, qui semble favoriser le réseau des caisses au détriment de VMD, pourrait s’expliquer par la culture du Mouvement Desjardins. «C’est la somme des caisses qui crée un tout qui fait Desjardins. Chaque caisse a un profit and loss statement. C’est une manière de penser différente de celle d’une banque», souligne Marc Jobin.

Selon lui, il est plus difficile pour une caisse d’établir une valeur à chaque membre si celui-ci est servi par d’autres filiales de Desjardins. «Avec Signature, une caisse serait plus en mesure de déterminer son revenu moyen par client, sa marge bénéficiaire et ce qu’il lui reste comme excédents. Sur le plan de la prévisibilité du revenu par client, la caisse est peut-être mieux servie avec le SSD qu’en passant par un courtier.»

Tous ces débats ne doivent pas se faire au détriment du client, ajoute Marc Jobin : «Il faut laisser au client l’offre de services avec laquelle il est le plus à l’aise.»