Une gemme d'affaire de dose devant un tableau ou on voit pleins de traces de craie avec quelques dessins qui ressortent dont des points d'interrogation, une ampoule, un point d'exclamation.
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« Ce domaine de la finance a longtemps été un boys’ club. Cela a bien changé. Les femmes y sont entrées peu à peu et sont soutenues par beaucoup d’hommes dans le milieu », observe Mary Hagerman, gestionnaire de portefeuille du Groupe Hagerman-Archambault.

Mais le mode d’exercice mis en place par les hommes dresse des obstacles pour les femmes. « Nous sommes des entrepreneurs. Nos revenus ne viennent que des commissions. J’ai eu trois enfants sans vraiment avoir de congé de maternité », poursuit-elle.

Pas de congé de maternité, des revenus incertains, pas d’horaire régulier, beaucoup de stress lié notamment à la volatilité des marchés. La conciliation travail-famille n’est pas facile dans ce contexte. « La faible présence des femmes dans ce milieu s’explique notamment par le fait que ce sont encore elles qui assument une grande partie de la vie familiale, même si la situation évolue », constate Mary Hagerman.

La proportion de femmes dans le milieu n’a guère bougé depuis de nombreuses années : elle oscille entre 15 et 18 %. Pourtant, tous partagent le même constat, soit que les firmes ont besoin de gestionnaires en placement féminines. Pour plusieurs raisons. D’abord, « nos équipes doivent refléter la diversité de notre clientèle », avance Maria Di Biase, directrice adjointe de succursale, RBC Dominion valeurs mobilières (RBC DVM).

« Les études montrent que les investisseuses veulent faire affaire avec des femmes », note Angela D’Angelo, vice-présidente, Développement et Expérience client à la Financière Banque Nationale (FBN).

Or, « comme elles vivent plus longtemps, les femmes vont hériter de 895 G$ de leurs conjoints au cours des prochaines années. Les statistiques montrent que 70 % des veuves changent de conseiller au cours de la première année qui suit le décès de leur conjoint », dit Paul Balthazard, vice-président et directeur régional, Québec, de RBC DVM.

Pourquoi ? « Les conseillers ont toujours eu l’habitude de parler des placements avec l’homme, même quand la femme était présente dans le bureau. Une fois seule, celle-ci n’a pas de lien avec ce conseiller et pense qu’il ne s’intéressera pas à ses besoins », explique Maria Di Biase, qui deviendra en juillet la première femme à diriger une succursale de la RBC DVM au Québec, celle de Trois-Rivières.

Par ailleurs, l’approche des clients change, notamment parce que la clientèle des investisseuses augmente. « Elles ne voient pas les choses de la même façon que les hommes. La performance des portefeuilles ne les intéresse pas ; ce qui importe pour elles, c’est d’avoir suffisamment d’argent pour réaliser leurs projets et soutenir leur famille », explique Angela D’Angelo.

Le premier rôle d’un conseiller est de bien comprendre les besoins de son client, de bien communiquer avec lui. « Ce métier requiert toutes les aptitudes que possèdent les femmes », affirme la vice-présidente de la FBN.

Bonne nouvelle : non seulement les freins limitant l’accès des femmes au métier s’amenuisent, mais en plus, plusieurs firmes mettent en place des initiatives pour aider les femmes à surmonter les défis et à être plus nombreuses à accéder aux métiers liés au conseil financier.

« Le stress, l’angoisse financière et les congés de maternité ne sont plus des obstacles, juge Angela D’Angelo. La principale raison, c’est qu’aujourd’hui, les conseillers en placement ne travaillent plus seuls : ils mettent sur pied des équipes composées d’adjoints et d’experts. Si bien que, en cas d’absence, leurs collègues peuvent prendre le relais et servir les clients. »

Un changement de taille, auquel contribue aussi la montée de la gestion de portefeuille discrétionnaire, qui réduit le nombre de communications obligatoires avec le client, explique Paul Balthazard.

Pour prendre en compte certaines contraintes, la RBC DVM a mis en place un programme d’absence. « Beaucoup de conseillères en placement avaient peur de perdre des clients pendant leur congé de maternité. Ce programme permet d’engager des experts pour prendre le relais durant leur absence », souligne Maria Di Biase.

« Finalement, on s’est rendu compte que les hommes avaient besoin eux aussi d’un programme semblable. Il est désormais utilisé par tout le monde ! » ajoute-t-elle.

Un engagement nécessaire

Étant donné qu’elles sont peu nombreuses dans le milieu, les femmes ont également besoin de se rassembler. La RBC DVM, où les conseillères en placement représentent 16,6 % de l’effectif des conseillers, a donc créé le Women’s Advisory Board en 2009. Cet organisme, financé par la RBC, organise des rassemblements annuels ainsi que des programmes de formation et des activités de réseautage.

La FBN vise quant à elle avant tout les jeunes femmes. « Il faut changer l’image que les jeunes ont du métier. Ils pensent que c’est un job de vente et dans lequel on ne travaille qu’avec des chiffres », dit Angela D’Angelo.

Pour « démythifier le métier et offrir un réseau aux femmes pour se lancer », la Financière Banque Nationale offre un programme de mentorat pour jeunes femmes étudiantes. On en a recruté une soixantaine dans 27 universités canadiennes pour assister à une conférence des conseillères en placement de la FBN. Elles sont ensuite jumelées avec une conseillère d’expérience pendant neuf mois. Environ 30 à 35 % de ces étudiantes se dirigent ensuite vers le conseil en placement.

« Le modèle du conseiller mâle, alpha, compétitif, numéro 1 ne va plus fonctionner dans les prochaines années, affirme Paul Balthazard. Le modèle change et il faut montrer aux femmes qu’elles ont leur place dans ce métier et défaire le mythe du boys’ club, même si ça peut paraître intimidant. On ne va pas atteindre la parité demain, mais en faisant de l’éducation, ça va évoluer. Il faut toutefois y croire et investir pour y parvenir. »