Deux personnes qui analysent des graphiques financiers.
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Le code civil impose aux placements présumés sûrs des limitations de contenu importantes qui, dans de nombreux contextes, ne permettent pas de diversifier un portefeuille de façon optimale. Il existe toutefois diverses manières de surmonter cet obstacle en gérant adéquatement ses placements et ses documents légaux.

On le comprend rapidement à la lecture de l’article 1339 du Code civil du Québec, qui décrit les titres admissibles : un portefeuille répondant aux critères des placements présumés sûrs aura un biais résolument canadien, sinon un investissement complet en valeurs mobilières canadiennes.

Voici un résumé non exhaustif des placements permis :

Les titres de participation canadiens (ordinaires ou privilégiés) négociés sur un marché secondaire canadien reconnu ;

Les titres de propriété sur un immeuble ;

Les obligations et autres titres d’emprunt émis ou garantis par une municipalité, commission scolaire ou fabrique du Québec, une province canadienne, le Canada, et les États-Unis ou un de leurs États ;

Les obligations de sociétés garanties de premier rang, soit qu’elles soient émises par une société canadienne ou qu’elles répondent à certains critères de garantie particuliers ;

Les fonds communs de placement étant constitués à 60 % de placements présumés sûrs (c’est-à-dire de placements généralement canadiens).

Si l’on gère directement en titres, il faut donc éliminer carrément l’exposition aux actions étrangères. On doit aussi éliminer les fonds communs 100 % étrangers, comme des fonds d’actions américaines ou internationales.

En théorie, à moins de suivre religieusement le contenu géographique des fonds pour s’assurer qu’il n’y a pas de dépassement, on ne peut non plus utiliser des fonds de la catégorie «à majorité canadienne», puisque ceux-ci peuvent investir jusqu’à 49 % en contenu étranger, ce qui dépasse le maximum de 40 %.

Un frein à la diversification

Cette situation est préoccupante pour plusieurs raisons.

D’abord, pour le segment en actions d’un portefeuille, cela limite de beaucoup le potentiel de diversification. En effet, le marché canadien est reconnu pour être très concentré dans certains secteurs, principalement ceux de la finance et des ressources naturelles.

Notre économie et notre marché boursier connaissent des cycles qui diffèrent de ceux d’autres marchés à l’international, par exemple le marché américain. Les marchés mondiaux offrent, entre autres, des possibilités d’investir dans des multinationales dont le caractère est parfois plus défensif que celui des titres proposés au Canada.

Le même constat s’applique à l’exposition à des devises étrangères comme le dollar américain, qui atténue la volatilité de la partie actions d’un portefeuille dans des marchés fortement baissiers.

Les études empiriques sur la gestion de portefeuille sont sans équivoque : à long terme, un portefeuille qui est diversifié géographiquement aura un rapport rendement-risque supérieur à celui d’un portefeuille concentré dans un seul pays. Cela est d’autant plus vrai au Canada avec l’effet atténuant de l’exposition aux devises étrangères servant de valeurs refuges à l’international.

Du côté obligataire, l’enjeu est moindre, puisque le rôle traditionnel des obligations est d’avoir une corrélation inverse aux actions. Néanmoins, la majorité des conseillers de l’industrie utilisent souvent des produits obligataires mondiaux. Cela permet d’obtenir de meilleurs rendements corrigés du risque qu’en investissant uniquement dans des titres que l’on assimile aux placements présumés sûrs.

Finalement, les placements présumés sûrs n’offrent pas de latitude quant à l’utilisation de placements alternatifs, pourtant assortis de qualités non négligeables sur le plan de la limitation du risque global de portefeuille. Les investisseurs institutionnels, dont certains sont garants de l’avenir financier de millions d’individus, en savent quelque chose.

Comment ajuster les placements

Il faut donc miser sur des produits qui sont plus spécifiquement adaptés à la gestion de placements présumés sûrs. Cela s’applique surtout au contenu étranger, puisque pour le contenu canadien, il importe peu qu’on utilise des fonds communs, des fonds négociés en Bourse (FNB) ou des titres détenus directement.

Par exemple, il faut privilégier des fonds limitant le pourcentage de contenu étranger sous la barre des 40 %, mais ayant toujours un certain pourcentage en actifs étrangers, ce qui permet de s’assurer d’avoir la diversification requise.

Certains fonds de revenu ou portefeuilles ont des limites explicites à cet égard. Du côté obligataire, on peut par exemple penser au Fonds à revenu fixe Investissements Russell (maximum de 30 % de contenu étranger) ou à de nombreux fonds dits «de base plus», qui ont habituellement un minimum d’obligations canadiennes de qualité qui dépasse les 60 %.

Du côté des portefeuilles, certains fonds de revenu mensuel ou portant la mention «Canada» ou «canadien» dans leur nom (par exemple, Fidelity Équilibre Canada et Fonds équilibré canadien de croissance Mackenzie) ont une limite de 30 % ou 40 % de contenu étranger. On peut ainsi s’assurer de respecter les critères des placements présumés sûrs, tout en ne négligeant pas la diversification, le rendement ou la qualité générale de la gestion.

On pourrait penser que les FNB contenant des titres étrangers, mais qui sont négociés sur une Bourse canadienne, pourraient se qualifier comme placements présumés sûrs. Cependant, il s’agit d’abord et avant tout de fonds d’investissement, ce qui signifie qu’ils doivent être traités au même titre que les fonds traditionnels.

Dans plusieurs circonstances, des lois encadrant certains secteurs d’activité précis imposent des limites encore plus contraignantes. Entre autres, les notaires et avocats sont restreints dans l’administration des comptes en fidéicommis, tout comme les agents de voyages et d’autres entreprises gérant des comptes en fidéicommis régis par la Loi sur la protection du consommateur.

Dans de telles circonstances, les fonds doivent obligatoirement être placés dans des comptes de dépôt (comptes chèques, comptes à intérêt élevé, CPG, etc.). Il faut donc être très prudent si l’on vous demande si vous pouvez gérer le portefeuille en fidéicommis d’une société cliente.

Possibilités juridiques

Les placements présumés sûrs doivent absolument être utilisés dans les contextes où la loi nous y contraint. C’est le cas dans beaucoup de situations – mais pas toutes – où l’on administre le bien d’autrui.

L’article «Doit-on appliquer les règles des placements présumés sûrs ?», de Serge Lessard, publié dans Finance et Investissement en septembre 2016, résume fort bien dans quelles circonstances on est assujetti à n’investir que dans les placements présumés sûrs, et dans quelles situations l’on n’y est pas soumis.

En marge du texte de Serge Lessard, il faut retenir que le régime d’administration du bien d’autrui est un régime supplétif, c’est-à-dire qu’il est subordonné à des cas d’exception ou d’ouverture prévus par la loi, par un acte constitutif ou par les circonstances. Les situations les plus courantes où le patrimoine d’un client est géré par autrui sont celles où il y a des comptes de tutelle au mineur, des comptes avec mandataire pour cause d’inaptitude ou des dossiers de succession.

Dans le cas d’un compte de tutelle au mineur – par exemple, un client qui attribue des sommes à un enfant par l’intermédiaire d’une fiducie dans le cadre d’une vente d’entreprise -, le conseiller devra impérativement respecter les règles des placements présumés sûrs.

Toutefois, dans le cadre d’un mandat ou d’une succession, un client a la possibilité de demander à son notaire que les placements présumés sûrs ne soient pas exigés comme outils d’investissement en cas d’inaptitude ou de décès. Il s’agit d’un point de discussion que les conseillers devraient avoir avec leurs clients. Par exemple, un mandat d’inaptitude pourrait inclure une clause semblable à celle qui suit, en décrivant ce que peut faire l’administrateur : «Vendre, acquérir, échanger, souscrire et faire tout emploi de fonds en actions, obligations garanties ou non, et toute autre valeur mobilière et placement sans pour cela être astreint aux dispositions que prescrit le Code civil du Québec ou quelque autre loi en cette matière.»

Ce libellé permet à l’administrateur de gérer le patrimoine de la personne inapte sans qu’il ait à se restreindre aux dispositions du Code civil. Cela peut être accompagné d’autres paragraphes propres aux souhaits du client, dont certains peuvent amener des contraintes spécifiques (par exemple, continuer de faire affaire avec le même conseiller, conserver une politique de placement avec tel profil, etc.).

Il importe toutefois d’apporter un bémol : si des placements non présumés sûrs se trouvent déjà au portefeuille lorsqu’un administrateur le prend à sa charge, il peut les maintenir, selon l’article 1342 du Code civil. Cela évite à tout le moins à l’administrateur de devoir apporter des modifications importantes à un portefeuille dont plusieurs produits ne répondent pas aux critères. Par contre, si des changements doivent éventuellement être apportés pour améliorer le portefeuille, le problème reste entier.

Des règles à revoir ?

Les dispositions du Code civil touchant aux placements présumés sûrs peuvent certainement être critiquées, car elles ne sont pas adaptées à la réalité actuelle de la gestion de portefeuille.

L’expression même est trompeuse, car elle laisse croire que l’utilisation de placements présumés sûrs amènera une gestion plus sécuritaire de l’avoir d’autrui. Or, la notion de «présumé sûr» ne procure pas les protections suffisantes ; seul l’esprit de la loi conseillant d’agir prudemment le fait réellement.

Par exemple, l’action d’une société minière canadienne, dont le comportement boursier est peut-être très volatil et lié majoritairement au prix d’un extrant, est un placement présumé sûr, alors que celle d’une société américaine de grande qualité (une blue chip) ne l’est pas. Peut-on réellement présumer que le premier placement est plus sûr que le second ? Poser la question, c’est y répondre.

Qu’en est-il des cotes de crédit des émetteurs de titres d’emprunt ? Une obligation à rendement élevé d’une société pétrolière canadienne inscrite en Bourse qui répond elle-même aux critères présumés sûrs est un placement présumé sûr, alors qu’une obligation d’une multinationale de haute qualité américaine ne l’est pas. C’est le monde à l’envers.

Le législateur devrait se pencher sur cette question et prévoir des critères qualitatifs de sûreté et de diversification, par exemple en étayant de façon plus précise la taille requise des émetteurs qui peuvent être sélectionnés, leur cote de crédit, ainsi qu’une approche globale de diversification de portefeuille (par exemple, la permission d’inclure certains types de placements alternatifs, les pourcentages d’actifs risqués, le respect d’une cote de crédit moyenne minimale pour le revenu fixe, etc.).

Cela assurerait une meilleure gestion du risque dans l’administration du bien d’autrui.

Il est important de noter que cet article a été rédigé à titre informatif et qu’il ne constitue pas une opinion juridique, mais plutôt celle de son auteur. Tout client ou conseiller qui est dans une situation où il doit administrer le bien d’autrui, ou conseiller quant à l’administration du bien d’autrui, devrait s’assurer de bien comprendre les dispositions applicables à sa situation propre. Il devrait aussi obtenir des conseils juridiques d’un professionnel en cas d’incertitude.

* Conseiller en placement