«L’entrée en Bourse avait créé beaucoup d’incertitude à l’époque, mais cela nous a donné accès à tellement de capitaux pour faire des acquisitions. Si nous étions restés une mutuelle, nous n’aurions pas pu demeurer concurrentiels», dit Yvon Charest, président et chef de la direction de l’assureur de Québec.

Les résultats d’iA crèvent le plafond, malgré des taux d’intérêt au plancher. Le bénéfice net attribué aux actionnaires a atteint 378,1 M$ pour les neuf premiers mois de 2015, une hausse de 22 % par rapport à la période correspondante de 2014.

Les moteurs de cette croissance sont les ventes d’assurance individuelle et de fonds distincts. Pour les neuf premiers mois de 2015, les ventes d’assurance individuelle ont atteint 180,6 M$, une hausse de 17 % (10 % au Canada et 39 % aux États-Unis), et celles de fonds distincts ont augmenté de 20 % pour atteindre 1,214 G$.

iA est en voie de battre son record historique de 2014, alors que le bénéfice net attribué aux actionnaires avait atteint 400,4 M$.

Ces résultats expliquent pourquoi Yvon Charest reçoit le prix de la Personnalité financière de l’année de Finance et Investissement pour une troisième fois en quelque 10 ans. Une première dans l’histoire de ce prix !

En mode acquisition

iA enfile les acquisitions depuis une décennie pour assurer sa croissance. Et elle n’a pas chômé en 2015. L’assureur a acquis BBA Groupe financier, un courtier québécois spécialisé en assurance de personnes. Elle a aussi mis la main sur Planifax, un petit cabinet de fonds communs de placement qui compte une dizaine de représentants. De plus, Industrielle Alliance Valeurs mobilières a absorbé la firme montréalaise FIN-XO Valeurs mobilières.

Le Canada n’est pas en reste. En Ontario, iA s’est porté acquéreur de Burgeonvest Bick Corporation, l’actionnaire unique de Burgeonvest Bick Securities Limited et de Canadian Title Loan Corporation, la société privée de financement automobile aux particuliers la plus importante du Canada.

«L’assurance n’est pas un produit qui s’achète, mais un produit qui se vend, répète Yvon Charest, d’où l’importance d’avoir un réseau de distribution solide.» La distribution est d’ailleurs la hantise de ce dirigeant. «Ce qui m’empêche de dormir la nuit ? Ne pas en avoir assez, et prendre du retard par rapport à la concurrence».

Grâce à ces acquisitions, IA compte maintenant sur un réseau de plus de 2 000 représentants en épargne collective et conseillers en sécurité financière dans tout le pays. Et elle compte bien continuer d’augmenter ce nombre.

Au Québec, iA est déjà le chef de file en matière de primes directes souscrites en rentes individuelles. Ses parts de marché en rentes collectives fluctuent beaucoup plus. «En assurance collective, ça change vraiment les choses, si on signe ou non un contrat de groupe d’une année à l’autre», explique Yvon Charest.

Cependant, c’est aussi vers les États-Unis que les yeux d’Yvon Charest se tournent. Il y anticipe une croissance des ventes d’assurance individuelle d’environ 25 % pour l’exercice 2015. «En raison d’une croissance prévue d’à peine 3 % au Canada, il faut trouver une autre façon de croître», dit-il.

La dernière acquisition majeure d’iA en sol américain remonte à 2010. Sa filiale, IA American Life Insurance Company, auparavant située à Scottsdale, en Arizona, avait acquis les polices d’assurance vie en vigueur de Golden State Mutual, une compagnie d’assurance vie servant une clientèle à revenus modestes dans 17 États.

Depuis, le siège social américain d’iA a déménagé à Waco, au Texas, et pour Yvon Charest, le moment est venu d’augmenter sa présence au sud de la frontière. D’autant plus qu’il dispose d’un coussin de 800 M$ pour réaliser des acquisitions. Il cible de nouveau le créneau des ménages à revenus modestes.

Le préféré des conseillers

En règle générale, iA se donne deux ans pour rentabiliser chaque acquisition et pour générer un bénéfice supplémentaire. Elle mise plus sur sa capacité d’intégrer rapidement les sociétés acquises que sur la présence de ses propres produits dans les réseaux qu’elle achète.

«Oui, nous aimerions vendre nos propres fonds, mais c’est le distributeur qui décide. Ce que nous gérons ne représente que 7 % de l’actif de nos distributeurs de fonds communs. Ça montre notre respect pour eux.»

Dans le dernier Baromètre de l’assurance de Finance et Investissement, un sondage mené auprès des représentants en assurance de personne, iA est considérée par le plus grand nombre de répondants comme l’assureur qui offre la meilleure tarification au client, la meilleure rémunération, le traitement le plus efficace des nouvelles polices, et la compagnie s’illustre notamment sur le plan des services aux conseillers. Yvon Charest attribue cette notoriété à la continuité qui caractérise son entreprise.

«Avec des conseillers en sécurité financière, on ne peut pas toujours changer de stratégie. Quand on développe un produit, on s’arrange pour qu’il tienne la route longtemps», dit le grand patron qui n’a connu lui-même qu’un seul employeur dans sa vie : Industrielle Alliance, depuis 35 ans !

Année difficile dans les fonds communs

Depuis plus de 10 ans, iA tente de se tailler une place dans les fonds communs. En 2004, elle a acheté BLC-Edmond de Rothschild, qui gérait alors un actif de 1,8 G$. Puis, pour étendre sa présence dans le reste du Canada, elle acquiert Clarington en 2006, qui gérait à ce moment-là un actif de 10,5 G$.

Depuis, en ce qui concerne les fonds communs, la partie n’est pas gagnée. En 2014, les ventes de fonds communs d’iA ont baissé de 16 %, par rapport à l’exercice 2013. Elles ont chuté de 23 % pour les neuf premiers mois de 2015. La fin des ententes d’exclusivité avec la Banque Laurentienne et Aston Hill, qui a lancé sa propre gamme de fonds, explique en partie ce résultat. «Nos gestionnaires ont aussi été trop optimistes quand il s’agit de la baisse du prix du pétrole», ajoute Yvon Charest.

«Les gens nous perçoivent encore comme une compagnie d’assurance, et ne savent pas que nous vendons autant de fonds de placement», dit le dirigeant. Il compte sur l’ancien ministre québécois au Développement économique, Clément Gignac, qui agit à titre de gestionnaire de portefeuille de certains fonds, pour augmenter ses parts de marchés.

Actuellement, les fonds distincts représentent 16 % des profits d’iA, et les fonds communs, 12 %. «Les ventes brutes ont baissé, mais l’actif sous administration n’a pas bougé», affirme Yvon Charest.

Faiblesse persistante des taux

Pas facile non plus d’évoluer dans un contexte où les taux d’intérêt restent bas. La récente remontée de un quart de point du taux directeur annoncée par la Réserve fédérale américaine (Fed) n’a pas ému Yvon Charest. «Moi, c’est le taux Canada 30 ans qui m’intéresse !» Et ce dernier n’est pas près de remonter. Les économistes ne prévoient pas que le Canada relèvera son taux directeur avant 2017.

«Pour tous les contrats d’assurance individuelle que j’ai vendus dans les 30 dernières années, j’ai imaginé un rendement qui n’est pas là. Nous avons pour 10 G$ d’engagements à long terme avec nos clients, et je ne peux pas investir mon actif suffisamment longtemps pour m’assurer de les respecter», dit-il.

Il faut aller chercher le rendement ailleurs. Aussi, iA doit varier son portefeuille. Elle privilégie les placements variables, l’immobilier, les marchés des actions et les titres à revenu fixe de grande qualité et de longue durée, dont des obligations américaines.

«Dans le marché des actions, nous ne voulions pas être trop concentrés dans les entreprises du S&P/TSX, alors nous avons un portefeuille de marché d’actions à 25 % aux États-Unis dans des actions de sociétés qui paient plus de dividendes aux actionnaires. Quand le marché va bien, ces ti-tres ne sont pas ceux qui performent le mieux, mais dans un marché baissier, ils résistent mieux.»

À ce jour, le portefeuille d’actions d’iA s’élève à 700 M$, et l’objectif est de le faire grimper à 1,2 G$.

S’adapter au marché numérique

IA a commencé à expérimenter avec la vente de produits en ligne avec certains de ses distributeurs. «La pire chose à faire, c’est de lutter contre le progrès. On va dans une succursale bancaire 1,3 fois par mois, et on utilise son appareil mobile 13 fois par mois. Les chiffres parlent d’eux-mêmes !»

Le numérique transformera l’industrie de l’assurance au même titre qu’il a transformé l’industrie du voyage ou le commerce de détail. Il ne croit pas pour autant que cela représente une menace pour le rôle des représentants. «La touche humaine en assurance va rester. Le consommateur voudra peut-être encore parler à un représentant, et qui sait si ce ne sera pas plus facile pour lui de conclure sa vente ? Et quand vous avez une réclamation, vous avez envie de parler à quelqu’un…» (Lire aussi MRCC 2 : «Divulguons le RFG total, clame Yvon Charest», en page 6, et la fiche d’Yvon Charest, en page B4)

En collaboration avec Guillaume Poulin-Goyer