Stéphanie Leduc - Gracieuseté

L’univers du marché des capitaux est majoritairement masculin, mais les femmes y prennent peu à peu leur place. L’accession aux plus hautes marches du podium reste cependant plus ardue pour la gent féminine.

Stéfanie Leduc, vice-présidente et chef de la dette privée chez iA Groupe financier, est l’une des rares femmes dans l’industrie à occuper ce type de poste. Depuis près d’un an, elle dirige une équipe de sept personnes et gère un portefeuille de 4 milliards de dollars en dette privée. Dans un balado, elle décrit les obstacles qu’une femme qui veut faire carrière dans le marché des capitaux rencontre sur son parcours.

« Beaucoup d’efforts ont été faits ces dernières années pour augmenter la proportion des femmes en finance. Dans les postes d’entrée, on retrouve environ la même proportion de femmes et d’hommes. Mais quand on monte dans la hiérarchie, les femmes sont moins susceptibles d’être promues que les hommes », rapporte la gestionnaire.

La proportion des femmes qui occupent des postes de gestionnaires dans l’industrie s’élève à 35 %, signale-t-elle. Chez les hauts dirigeants, elle oscille plutôt de 20 à 25 %.

Transiger avec un supérieur masculin

Plusieurs éléments expliquent cette situation, indique celle qui représente Women in Capital Markets, une organisation qui a pour mission de sensibiliser l’industrie aux enjeux des femmes en finance.

Stéfanie Leduc est entrée chez iA en 2017 comme gestionnaire de portefeuille. Elle a gravi les échelons dans l’organisation pour accéder au poste de vice-présidente en avril 2022. Avant de se joindre à iA, elle a travaillé pendant quatre ans dans la fonction publique, chez Revenu Québec, en planification stratégique et gestion de risque. La titulaire d’une maîtrise en finance de HEC Montréal a également été conseillère en investissements chez Développement international Desjardins pendant une dizaine d’années.

Au fil de son parcours, elle a observé plusieurs barrières à la progression des femmes.

Dans un environnement de travail masculin, la relation avec le supérieur qui peut vous donner le coup de pouce nécessaire afin de propulser votre carrière est plus difficile à établir pour une femme, estime-t-elle. « Si tous les autres gestionnaires sont des hommes, ça devient plus difficile pour les femmes de se faire valoir. »

Le contexte familial joue également un rôle important, car les femmes ont tendance à prendre une part de responsabilité plus importante dans la vie familiale, ce qui rend la conciliation avec les obligations professionnelles plus difficile, en particulier dans un secteur exigeant en termes de nombre d’heures de travail.

Des promotions moins accessibles aux femmes

La gestionnaire constate par ailleurs que les processus de promotion dans l’industrie sont peu faits pour les femmes. Lorsque la structure est pensée pour récompenser d’abord les employés qui demandent une augmentation salariale ou qui négocient eux-mêmes leurs conditions, les femmes ont tendance à être désavantagées, car elles sont moins enclines que les hommes à réclamer leur dû.

« Si les patrons attendent que les employés demandent une augmentation salariale, il risque d’y avoir des enjeux sur le plan de l’équité », pense-t-elle.

L’écart entre les femmes et les hommes dans la hiérarchie serait-il dû à un manque d’ambition de la gent féminine ? Voilà un biais fréquemment véhiculé. Stéfanie Leduc s’inscrit en faux contre ce propos. Elle croit cependant que les femmes osent moins s’attribuer le crédit d’une réalisation, ce qui a pour conséquence de rendre leur apport moins visible dans l’organisation.

Les résultats avant les paroles

Elle s’interroge aussi sur la définition de la notion de performance ainsi que la façon dont elle est mesurée dans les entreprises financières. « Si, pour un gestionnaire, une personne performante est celle qui parle avec confiance, peu importe les résultats qu’elle livre, il n’aura pas la même façon de considérer l’employé que s’il se concentre sur ses résultats. »

Ces pratiques répandues contribuent à creuser l’écart entre les femmes et les hommes. Or, la diversité des genres est un aspect qui devrait être davantage pris en compte par les organisations, car elle améliore la prise de décisions et contribue à créer des entreprises plus centrées sur le client, estime la gestionnaire.

Le fait que les femmes accordent en général plus de soutien émotionnel à leurs collègues, ce qui a un impact positif sur les employés, est un atout qui n’est pas non plus à négliger dans l’équation.

Stéfanie Leduc reconnaît que les institutions financières mettent plusieurs initiatives en place pour briser le plafond de verre qui empêche les employées de grimper dans l’organigramme, notamment en fournissant du mentorat, de la formation et de la flexibilité.

Pour ou contre les quotas ?

Alors que plusieurs jugent qu’il faudrait instaurer des quotas d’embauche pour assurer une représentation féminine équitable dans les entreprises financières, Stéfanie Leduc croit que cela peut s’avérer une arme à double tranchant. « Cela peut donner l’impression d’un traitement préférentiel. La personne qui reçoit une promotion pourrait alors se demander si elle a été promue parce qu’elle est une femme ou parce qu’elle est compétente pour le poste. »

Malgré des progrès tangibles, il reste du chemin à parcourir pour instaurer l’équité dans l’industrie des marchés financiers. Selon un sondage de Women in Capital Market, seulement la moitié des femmes s’y sentent traitées de façon équitable, comparativement à 75 % chez les hommes. Et seulement près d’un tiers (34 %) d’entre elles estiment qu’elles reçoivent un juste salaire par rapport à leurs collègues masculins. De plus, la majorité (68 %) des femmes qui ont pris un congé de maternité en début ou en milieu de carrière indiquent que cette absence a eu un impact négatif sur leur progression.

Changer le système

Comment faire pour renverser la vapeur ? Selon Stéfanie Leduc, ce serait une erreur de vouloir essayer de transformer les femmes pour qu’elles puissent cadrer dans le système. « Au contraire, c’est le système qu’il faut modifier », déclare-t-elle.

De quelle manière ? En mettant en place des programmes d’équité salariale, en implantant des systèmes de rétroaction ou de promotion basés sur les résultats et non pas sur les perceptions, en s’assurant d’offrir des opportunités de carrière de façon plus équitable et en rendant les mécanismes de promotion plus transparents.

Pour faire leur place dans un univers masculin, elle conseille aux femmes de surmonter leurs peurs. « On est souvent nous-mêmes notre propre ennemi. Donc, ayez confiance en vous ! Vous êtes bonnes ! N’ayez pas peur de demander, de prendre la place qui vous revient et d’être visibles ! »