Ce régime serait entièrement capitalisé, c’est-à-dire que la valeur de son actif serait égale aux sommes promises aux prestataires.
En comparaison, le Régime des rentes du Québec (RRQ) est capitalisé partiellement à 15 %, si bien que 85 % des prestations sont payées à même les cotisations des travailleurs et des employeurs actuels, ce qui peut être une source d’iniquité intergénérationnelle, d’après le rapport D’Amours.
La rente longévité s’établirait ainsi à 0,5 % du salaire indexé, jusqu’au maximum des gains admissibles (MGA) du RRQ, soit 51 100 $ en 2013, selon le comité D’Amours.
Par exemple, un client qui a un revenu supérieur à ce montant maximum durant 20 années de cotisation recevrait une prestation annuelle indexée de 5 110 $.
Cette prestation serait garantie cinq ans.
Donc, si un client décédait avant l’âge de 75 ans, ses ayants droit recevraient une prestation équivalant à cinq années de paiements. S’il mourait entre 75 et 80 ans, la valeur actualisée des paiements jusqu’à 80 ans serait payée à ses ayants droit, d’après le rapport.
Coûts
Le financement de la rente longévité proviendrait des cotisations obligatoires des employeurs et des travailleurs.
Le coût du régime s’élèverait à 3,3 % du salaire, jusqu’à concurrence du maximum de gains admissibles (MGA), répartis à parts égales entre l’employeur et l’employé.
Le travailleur autonome devrait payer la totalité de cette cotisation.
Si on reprend l’exemple du client dont le revenu est supérieur à 51 100 $, le coût annuel pour l’employé se chiffrerait à 843,15 $ et, pour le travailleur autonome, à 1 686,30 $.
D’après le rapport D’Amours, la rente longévité apporterait un gain en efficacité aux épargnants, note Martin Dupras, planificateur financier chez ConFor financiers.
Selon le rapport, pour qu’un client de 30 ans sans régime de retraite dont le revenu annuel est de 50 000 $ puisse obtenir 30 000 $ par an à 65 ans, il doit épargner 14 % de son revenu par an pendant 35 ans.
Grâce à la rente longévité, son effort d’épargne annuel baisserait à 8 %. Ces pourcentages supposent un rendement réel annuel de 2 % durant cette période.
Même en payant la totalité de la cotisation, un travailleur autonome profiterait d’une économie annuelle de son effort d’épargne de 2,7 %.
«La rente longévité est une excellente idée ! Avec un tel régime, les contribuables mutualiseraient leur risque de survie tout en diminuant leur effort d’épargne retraite. On signe où ?» résume Martin Dupras.
«C’est une très bonne idée de mutualiser les risques, estime le CPA et planificateur financier Éric Brassard, associé chez Brassard Goulet Yargeau et conseiller en placement inscrit auprès de Patrimoine Dundee. Lorsque nous faisons des planifications de retraite, notre problème principal est d’ignorer à quel âge le client mourra. Selon qu’on projette en fonction d’un décès à 90, à 95 ou à 100 ans, il y a un coût énorme en épargne pour gérer le risque de longévité.»
Éric Brassard suggère même d’offrir à l’employé l’option d’augmenter ses cotisations au-delà du MGA, quitte à ce qu’il finance lui-même sa cotisation.
Il reste que la rente longévité alourdirait les charges sociales des entreprises qui emploient les 2,4 millions de Québécois qui n’ont pas de régime de retraite.
«Au Québec, la taxe sur la masse salariale est déjà élevée et les entreprises ont de la difficulté à être concurrentielles. Ce n’est pas idéal», selon Jean-Pierre Aubry, économiste et associé au CIRANO.
Pour les entreprises qui emploient les 1,5 million de travailleurs qui participent à un régime à prestations déterminées (PD) ou à cotisation déterminée (CD), le coût pourrait être nul.
«Ces employeurs vont pouvoir déplacer leurs cotisations vers la rente longévité», note Martin Dupras.
Rente imposable
Selon le rapport D’Amours, les prestations reçues seraient imposables.
Les cotisations versées par les employeurs pour financer la rente longévité seraient déductibles, et celles versées par les travailleurs donneraient droit à un crédit d’impôt.
De plus, la rente n’amputerait pas le maximum déductible au titre des REER, selon la proposition.
Tout comme pour le RRQ, l’accumulation des prestations de la rente longévité serait exclue du calcul du facteur d’équivalence, lequel réduit la contribution qu’un client peut faire au REER.
«Les Québécois seraient avantagés par rapport aux autres Canadiens puisqu’ils pourraient mettre une plus grande part de leur revenu à l’abri de l’impôt», lit-on dans une analyse de la firme Aon Hewitt.
Pour les travailleurs dont le taux d’imposition implicite, celui qui tient compte des crédits et des transferts fiscaux, serait à la retraite inférieur ou égal à celui de leur vie active, le caractère imposable de la rente longévité ne poserait pas problème, selon Éric Brassard : «Même si le taux à la retraite s’avérait légèrement supérieur, sur une longue période, l’incidence négative est minime.»
Cependant, les travailleurs à faible revenu qui profitent du supplément de revenu garanti (SRG) pourraient voir ce supplément réduit lorsqu’ils recevraient la rente longévité.
«Chaque dollar supplémentaire que gagne un bénéficiaire du SRG lui coûte 78 cents : il paie 28 cents d’impôt, car la première tranche est à 28 %, et perd 50 cents en remboursant le SRG», explique Éric Brassard.
Ce qui reviendrait pour ces travailleurs à financer en partie un régime dont ils bénéficient déjà par l’intermédiaire du SRG.
Pour eux, il aurait été plus avantageux de cotiser au compte d’épargne libre d’impôt (CELI), pour lequel les retraits n’ont aucun impact sur les mesures socio-fiscales.
«Les factures ne se paient pas avec du revenu brut, mais avec le revenu réellement disponible», soutient Jean-François Robert, représentant en épargne collective à Sherbrooke.
Pour «véritablement aider financièrement les futurs retraités», qui ignorent leur taux d’imposition implicite, les gouvernements devraient se montrer innovants, selon Jean-François Robert.
«Si le gouvernement provincial pouvait s’organiser avec le fédéral pour que cette rente ne soit pas considérée aux fins du calcul du SRG, cela pourrait être audacieux. Mais la véritable audace serait de transformer tant cette rente que celle du RRQ dans des structures non imposables.»
Prestation au décès
Bien que le rapport D’Amours passe sous silence l’impact fiscal de la prestation au décès, versée lorsque le cotisant décède avant 80 ans, on peut imaginer un traitement semblable à celui des REER, d’après Martin Dupras.
Ainsi, la rente garantie cinq ans serait transférée au conjoint survivant, libre d’impôt.
S’il n’y a ni conjoint survivant ni enfant à charge, le produit du régime serait imposé directement comme revenu du titulaire décédé.
Par ailleurs, le comité D’Amours recommande de retarder l’âge de conversion du régime enregistré d’épargne-retraite de 71 à 75 ans. Québec devrait convaincre le gouvernement fédéral à cette fin.
Cette mesure devrait aussi s’accompagner d’un assouplissement des retraits minimums d’un FERR, afin de refléter la faiblesse actuelle des rendements et la hausse de l’espérance de vie, estime Martin Dupras.
«À 94 ans, le retrait requis est de 20 % de l’actif par an. Avec ces retraits, le FERR s’épuise à la vitesse grand V. Ces changements seraient cohérents, mais ils priveraient le gouvernement de recettes fiscales», note celui qui espère que le rapport D’Amours ne sera pas relégué sur les tablettes.