Lorsque le scandale Norbourg éclate en 2005, l’AMF en est encore à ses premiers balbutiements et doit rapidement former une seule organisation qui favorisera la circulation fluide de l’information.

«C’était un contexte difficile pour un nouvel organisme de réglementation qui devait prendre sa place, prouver sa valeur et établir sa nouvelle identité, raconte Sylvain Perreault, chef de la conformité chez Desjardins. Le scandale Norbourg a un peu monopolisé les regards de tout le monde sur ce dossier.»

Le porte-parole de l’AMF, Sylvain Théberge, admet que ce scandale a façonné les premières années de l’organisme de réglementation.

«Beaucoup de leçons ont été apprises grâce à Norbourg et, même si ça reste un drame pour toutes les victimes, ce scandale a permis d’apporter des ajustement cruciaux en début de parcours.»

Plus stricte

Les années suivantes ont apporté une réglementation plus stricte et plus intense.

«Jean St-Gelais, alors président directeur général de l’AMF, devait renverser la vapeur et répondre au public. Le régulateur a créé des lois et des règles pour faire en sorte que de tels scandales ne se reproduisent plus», note Jean Carrier, vice-président conformité au Groupe financier Peak.

Depuis, le nombre d’employés de l’AMF qui se consacrent à l’application des lois et aux enquêtes est passé de 45 à 150, et le crime financier est davantage pris au sérieux par l’ensemble des autorités, qu’elles soient policières ou gouvernementales.

«On nous a reproché, à l’AMF comme à la police, d’avoir fonctionné en silo au moment de Norbourg, ce qui a empêché que l’information circule correctement. Depuis, la communication entre l’AMF et les services de police s’est beaucoup améliorée et est maintenant d’une limpidité incroyable», souligne Sylvain Théberge.

Plus de ressources ont permis au régulateur de mettre en place différentes équipes qui assurent la surveillance de secteurs particuliers du marché, comme les produits sophistiqués et les médias sociaux, créées en 2013 et en 2010 respectivement.

Cela explique, selon l’AMF, l’augmentation du nombre de dossiers traités, d’enquêtes ouvertes et de poursuites amorcées.

Selon les rapports annuels de l’AMF, pour l’exercice 2004-2005, on répertoriait 39 enquêtes ouvertes, par rapport à 76 pendant l’exercice 2012-2013. Le nombre de plaintes reçues durant ces deux mêmes périodes a aussi augmenté, passant de 856 en 2004-2005 à 1 470 en 2012-2013.

Personnalité du patron

Le contexte difficile de la naissance de l’AMF expliquerait notamment la perception plus négative que certains membres de l’industrie financière avaient de Jean St-Gelais.

«Jean St-Gelais symbolise davantage la « police » que l’AMF était à l’époque, rappelle Sylvain Théberge. Avec le scandale Norbourg, il a fallu se montrer très sévère, et les années Jean St-Gelais ont été marquées par une politique de tolérance zéro. C’est dommage qu’il soit vu ainsi, car il a été l’instigateur de choses comme le passeport, qui est l’une de ses plus grandes réalisations.»

L’arrivée de Mario Albert en décembre 2010 a marqué une ère nouvelle d’ouverture entre l’organisme de réglementation et l’industrie.

Selon Jean Carrier, Mario Albert a travaillé dans un contexte différent de celui de son prédécesseur : «Ce qui avait besoin d’être réparé l’avait été. Lorsque Mario Albert est arrivé, les grands scandales étaient terminés et il a pu garder un profil plus bas dans les médias».

Sylvain Perreault décrit Mario Albert comme un homme ouvert et à l’écoute des préoccupations de l’industrie.

«Le mandat de Mario Albert n’était pas le même que celui de Jean St-Gelais, qui avait tout à bâtir. Quant à Louis Morisset, il récolte les fruits du travail de ses prédécesseurs et peut se permettre d’être encore plus ouvert, ce qui me plaît beaucoup.»

Plus accessible

Il reste que les différents patrons de l’AMF ont marqué celle-ci de leur personnalité. Plus particulièrement depuis l’arrivée de Mario Albert, l’industrie sent que son interlocuteur change et elle le qualifie désormais «d’accessible» et même «d’ouvert».

«L’AMF engage de plus en plus de gens qui ont de l’expérience pratique dans le domaine, observe Daniel Bissonnette, président et chef de la conformité chez Planifax. Il faut avoir confiance, ça s’en vient puisqu’on voit que les enquêteurs sont meilleurs et que les avocats ont pris de l’expérience.»

L’AMF privilégie bel et bien l’embauche de gens ayant une expérience plus particulière du milieu financier, selon Sylvain Théberge : «C’est une organisation moins jeune, qui a une image plus positive et qui attire davantage les gens».

D’autres travaux

Étant donné les changements à venir dans la règlementation, notamment quant à l’aperçu du fonds et à l’information au point de vente, l’industrie souhaite aussi garder un dialogue ouvert avec son régulateur.

«On ne peut pas se plaindre de ne pas être consultés vu tous les appels de commentaires et les consultations publiques, note Sylvain Perreault. Toutefois, on doit s’adapter à la réalité de notre temps en ce qui concerne la documentation fournie au consommateur. Peut-on simplifier le processus, pour les coûts, mais aussi pour que le client comprenne ?»

Afin de s’assurer d’une implantation durable des nouvelles règles, l’AMF tente de maintenir un rythme plus modéré dans la mise en place de nouvelles lois.

«Depuis quelques années, il y a une volonté d’aller plus lentement, notamment en ce qui concerne l’aperçu du fonds ou les règles de divulgation. Actuellement, nous étalons sur quelques années l’entrée en vigueur de ces nouveaux règlements, qui devrait culminer en 2015-2016», dit Sylvain Théberge.

La question de l’uniformisation de la réglementation dans tout le Canada, mais également celle entre les secteurs de l’assurance et celui des valeurs mobilières sont aussi des chantiers que l’AMF devrait mener dans les prochaines années, selon Jean Carrier.

«Les fonds distincts devront être réglementés de la même manière que les fonds communs, puisque ce sont souvent presque les mêmes produits.»

Quant aux inévitables débats portant sur l’arrivée d’une commission unique «coopérative», l’AMF devrait rester un leader parmi les autres commissions des valeurs mobilières provinciales.

«L’AMF continue d’être un interlocuteur important dans ces débats pancanadiens. Louis Morisset doit s’assurer de conserver son rôle de leader à la table des provinces canadiennes», indique Jean Carrier.