Budget fédéral: quoi surveiller
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Les libéraux ont signalé que le deuxième budget du ministre des Finances, Bill Morneau, s’articulerait notamment autour de l’innovation, des investissements en infrastructure, et que le ménage dans les mesures fiscales jugées inéquitables pour la classe moyenne se poursuivra.
Mais plusieurs éléments demeurent en suspens.

Quel est le chiffre magique _ celui du déficit? Ottawa a-t-il prévu des mesures spécifiques pour pallier les actions qui seront prises aux États-Unis dans le contexte de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain et sur fond de guerre commerciale dans le dossier du bois d’oeuvre? Et cette Banque de l’infrastructure, comment se déploiera-t-elle?

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On aura réponse à ces questions _ ou à tout le moins, à certaines d’entre elles _ mercredi, vers 16 h 30, lorsque le ministre Morneau déposera l’exercice financier à la Chambre des communes.

Voici quelques éléments à surveiller dans le budget de l’an deux du gouvernement de Justin Trudeau.

Révision des dépenses fiscales?

Le gouvernement a respecté sa promesse électorale d’alléger le fardeau fiscal de la classe moyenne tout en alourdissant celui des plus fortunés. Il a cependant rompu, dans son budget 2016, celle de faire passer de 11 à 9 % le taux d’imposition des petites et moyennes entreprises.

Le ministre Morneau a lancé un examen en profondeur du système fiscal en juin dernier, ayant fait appel à sept experts devant le conseiller sur la manière de procéder. Pendant la campagne électorale, les libéraux avaient promis de réaliser une vaste révision des dépenses fiscales existantes, comme moyen de trouver 3 G$ par année en nouveaux revenus d’ici 2019-2020.

Les libéraux ont affirmé que leur objectif était de réduire les avantages fiscaux pour les plus riches et devraient continuer leur ménage dans la panoplie de crédits d’impôt qui ont été instaurés au fil des ans par le précédent gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Le gouvernement n’a pas confirmé lesquels pourraient passer à la trappe, mais cette semaine, en Chambre, les conservateurs disaient redouter la disparition du crédit d’impôt pour le transport en commun ou encore celui destiné aux pompiers volontaires.

L’autre rumeur persistante qui circulait sur la colline ces derniers temps veut que la tranche d’imposition sur le gain en capital passerait de 50 à 75 %.

Mais depuis l’élection du président américain Donald Trump, on s’attend à ce qu’Ottawa procède avec prudence. L’administration Trump a indiqué qu’elle voulait réduire l’impôt des entreprises et des particuliers aux États-Unis, ce qui fait craindre à certains que le Canada se retrouve en déficit de compétitivité par rapport à son partenaire commercial. Des experts ont appelé le gouvernement fédéral à attendre pour voir les actions de Washington avant de mettre en vigueur des changements fiscaux majeurs au Canada.

Aux Finances, on suit quand même la situation aux États-Unis: « S’il y avait de gros changements en matière de taxation, il y aurait peut-être des questionnements », mais il n’y a pas de « grosse lumière rouge qui nous force pour l’instant à être réactifs au niveau budgétaire », a dit une source.
Rien, dans ce qui a filtré au cours des dernières semaines et des derniers mois, ne laisse présager qu’il y aura dans le budget des modifications aux tranches d’imposition, tant pour les entreprises que pour les particuliers.

Un échéancier pour un retour à l’équilibre budgétaire?

Les libéraux ont remporté les élections en 2015 grâce à un programme promettant d’investir des milliards de dollars dans des mesures telles que les infrastructures et une allocation familiale devant insuffler une nouvelle énergie à la croissance économique. Ils prévoyaient afficher des déficits pour financer les dépenses, mais avaient promis que ceux-ci ne dépasseraient pas 10 milliards de dollars (G$) chaque année durant les quelques premières années de leur mandat. Les libéraux s’étaient engagés à rétablir l’équilibre budgétaire d’ici 2019-2020. Néanmoins, depuis la prise du pouvoir, le gouvernement libéral a reculé sur ces promesses, faisant valoir une économie plus faible que ce qui avait été anticipé.

L’automne dernier, la mise à jour économique du ministre Bill Morneau projetait une série de déficits supérieurs à 10 (G$) au moins jusqu’en 2021-2022, en commençant par un déficit de 25,1 G$ en 2016-2017. M. Morneau a dit surtout s’attarder à réduire le ratio entre la dette et le produit intérieur brut avant la fin du présent mandat.

Mais à la veille du dépôt de ce deuxième budget consécutif écrit à l’encre rouge, une source haut placée au ministère des Finances assure que le gouvernement libéral démontrera qu’il est « très responsable au niveau fiscal ».

« C’est beaucoup en fonction de l’économie, et ces derniers mois, l’économie montre des signes encourageants. Si ça se poursuit, notre situation budgétaire va s’améliorer de façon importante, c’est sûr », a fait valoir cette source gouvernementale.

Quelle sera l’ampleur du manque à gagner?

Le ministre Morneau a projeté des déficits annuels, mais on ignore si ses prédictions ont changé depuis sa plus récente mise à jour en novembre. La situation au pays a changé significativement.

L’économie canadienne a réservé une surprise dans les derniers mois de 2016, avec une croissance ayant surpassé facilement les attentes. L’élan de l’économie s’est poursuivi dans les premiers mois de 2017, avec des rendements étonnamment solides dans des secteurs clés tels que le commerce, la main-d’oeuvre et l’immobilier. Des économistes ont traduit ces indicateurs encourageants dans des projections de croissance plus robustes. Certains experts prédisent désormais des déficits moindres dans les quelques prochaines années.

Un autre élément clé est l’impact potentiel des propositions économiques des États-Unis, dont plusieurs pourraient avoir des conséquences majeures pour le Canada. Néanmoins, ces éléments ont été généralement éclipsés des projections économiques car l’ordre du jour du président Donald Trump demeure incertain.

Une réserve pour les imprévus?

Ces dernières années, les réserves pour éventualités se sont chiffrées entre 1 G$ à 6 G$ par année. L’automne dernier, le gouvernement libéral a retiré l’ajustement en fonction du risque annuel de 6 G$ qu’il avait mis en vigueur plus tôt en 2016 pour couvrir les problèmes inattendus. Un gouvernement peut aussi modifier l’aperçu pour le public de sa trajectoire fiscale en changeant des pratiques comptables; les chiffres sur le déficit d’Ottawa ont paru plus minces l’automne dernier après que cet ajustement eut été éliminé.

Étant donné les nombreuses incertitudes à l’égard des politiques fiscales et commerciales des États-Unis, certains économistes anticipent le rétablissement par le gouvernement libéral d’une réserve pour éventualités pour offrir un coussin aux finances du Canada.

Un budget pour réagir à Trump?

L’élection du protectionniste Donald Trump à la présidence des États-Unis a plongé plusieurs pays, dont le Canada, dans l’incertitude. Une série de ministres titulaires de portefeuilles économiques ont d’ailleurs été dépêchés au sud de la frontière après l’arrivée du milliardaire à la Maison-Blanche.

« L’engagement avec les États-Unis était absolument nécessaire compte tenu de l’importance commerciale pour le pays. On n’avait pas le choix de faire ça. Mais on n’a pas écrit le budget en fonction de Trump », a plaidé la même source gouvernementale aux Finances.

Cette personne a par ailleurs nié que le budget canadien a été ébauché dans la prudence, quitte à rajuster le tir en déposant rapidement une mise à jour économique à la lumière des propositions budgétaires qui auront été adoptées par le Congrès.

La Banque de l’infrastructure…

On n’annoncera pas mercredi dans quelle ville la Banque de l’infrastructure aura pignon sur rue, a-t-on confirmé mardi au ministère des Finances.
Mais déjà, du côté de Québec, on commençait à faire campagne en faveur de Montréal, mardi, plaidant que la métropole serait l’endroit tout indiqué pour accueillir le siège social de cette nouvelle créature dont le gouvernement fédéral a annoncé la mise sur pied à l’automne dernier.
Après tout, la Banque de l’infrastructure doit s’inspirer du modèle de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), ont tour à tour plaidé le premier ministre québécois Philippe Couillard et les chefs de l’opposition à l’Assemblée nationale.

Le hic, c’est que plusieurs villes à travers le pays s’arrachent cette Banque qui devrait être dotée d’un budget total de 35 G$ qui permettra au privé d’investir dans les grands projets d’infrastructures au pays, a souligné mardi le ministre fédéral de l’Infrastructure, Amarjeet Sohi. « Montréal, Calgary et Toronto veulent la Banque », s’est-il réjoui.

La Banque de l’infrastructure aura un budget total de 35 G$, dont 15 G$ directement en provenance des coffres du gouvernement fédéral.

Considérer les inégalités de sexe?

M. Morneau a promis d’évaluer son budget en fonction d’une analyse comparative sur le genre et de publier les résultats. Un tel outil devrait permettre d’évaluer comment une mesure budgétaire donnée pourrait avoir des impacts différents sur les hommes et les femmes, et sur les filles et les garçons. Ces analyses tiennent aussi compte de l’âge, du revenu, de l’appartenance culturelle et d’autres facteurs.

L’analyse cette année doit mettre la table pour un processus plus en profondeur l’année suivante. Le ministère des Finances joue un rôle particulier dans l’analyse comparative fondée sur le genre, examinant non seulement ses propres politiques, mais comment les autres ministères évaluent les propositions budgétaires avant de les soumettre au bureau de M. Morneau.