Attrayantes perpétuelles
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Ces caractéristiques ont fait dire à beaucoup de gens que les actions privilégiées ressemblaient aux obligations, mais avec un niveau de risque accru. Aujourd’hui, ces «perpétuelles» à taux fixe n’occupent plus qu’environ 20 % du marché.

Il existait aussi, et il existe encore, des «perpétuelles à taux variable», dont le rendement d’intérêt monte ou baisse au gré soit des taux de rendement des obligations du gouvernement du Canada de trois mois, soit du taux directeur de la Banque du Canada. Cette catégorie n’occupe que 5 % du marché.

Actions du «troisième type»

Depuis 2009, les actions privilégiées à taux révisable ont envahi environ 75 % du terrain. Elles font que cette catégorie ne ressemble plus à rien et représente désormais une classe d’actions à part entière.

Ces actions du «troisième type» ont été inventées au lendemain de la crise financière par les financiers de Bay Street, friands d’outils nouveaux, «surtout pour refinancer les banques qui n’arrivaient pas à trouver du capital dans les marchés d’actions et d’obligations, tout particulièrement dans un environnement de primes de risque élevées», rappelle Jeff Herold, chef de la direction de J. Zechner Associates, qui gère le fonds Natixis actions privilégiées canadiennes catégorie remboursement du capital.

«Les financiers ont voulu mettre au point un type d’action moins sensible aux fluctuations de taux d’intérêt», ajoute Marc-André Gaudreau.

Ces actions, toujours émises au prix nominal de 25 $, sont elles aussi des «perpétuelles», mais dont le taux est «révisé» à la hausse ou à la baisse tous les cinq ans – sinon, l’action est rachetée par l’émetteur.

Cela change tout. Le secteur est devenu considérablement plus actif et les investisseurs placent leurs billes en jonglant avec un nombre accru de variables : l’interaction entre la direction des taux d’intérêt généraux, le taux de rendement du dividende et son taux de rendement réel, son niveau anticipé de «révision», la possibilité de rachat de l’action par l’émetteur, sans oublier évidemment la cote de crédit de l’émetteur et le contexte économique.

Autrefois, l’acheteur d’une «perpétuelle» comptait uniquement sur le «rendement du coupon» qui, malgré un niveau de risque plus élevé que pour les obligations du même émetteur, portait un taux d’intérêt inférieur à celui de ces dernières. Pourquoi ? Essentiellement parce que ces perpétuelles offraient un avantage fiscal lié au rendement de dividende et dont les investisseurs institutionnels étaient friands. Ces acteurs occupaient d’ailleurs presque exclusivement le terrain. Mais les nouvelles émissions à taux révisable ont complètement chambardé la donne, ce qui a éloigné les acteurs institutionnels et fait affluer les investisseurs individuels.

Cela tient au fait que, désormais, la révision du taux de rendement accroît l’avantage d’acheter et de vendre dans le marché secondaire, une activité inexistante à la grande époque des «perpétuelles». «On fait notre argent avec le coupon, bien sûr, mais beaucoup plus en négociant dans le marché secondaire, surtout depuis environ un an et demi», indique Nicolas Normandeau, gestionnaire du fonds négocié en Bourse (FNB) Horizons Actif actions privilégiées chez Fiera Capital.

Choc retentissant

La logique de la «révision» a eu comme résultat que le marché des actions privilégiées a connu en 2015 un choc important. D’une part, le marché demandait un rendement de dividende de 250 points de base au-dessus des obligations du Canada de cinq ans, mais les entreprises, devant les taux d’intérêt qui continuaient de baisser, ont fait de nouvelles émissions à des taux plus bas. Ce devant quoi «les investisseurs se sont dit : « Oh oh ! ces titres ne valent plus leurs 25 $ de départ. » Alors les prix ont baissé comme on ne l’avait pas vu depuis 2009», rappelle Jeff Herold.

Ce fut la débandade pour nombre de personnes, que Jeff Herold a pu éviter dans une large mesure parce qu’il était encore investi à 60 % dans des perpétuelles «classiques». Mais l’occasion de titres se négociant à escompte était trop séduisante. Il a acheté des titres déprimés et a accru à 60 % dans son portefeuille la part d’actions privilégiées à taux révisable.

Les deux autres gestionnaires interviewés ici ont également plongé dans ce marché d’aubaines. Nicolas Normandeau donne l’exemple d’une émission à taux révisable d’Enbridge dont le prix nominal de 25 $, au lendemain du choc de 2015, a plongé à 12,50 $ en février 2016. «On a acheté le titre à ce moment-là et il est remonté depuis à 20,50 $, une hausse de 64 %, dit-il. Et c’est sans compter que le coupon est à un taux de 4 %. On a fait un tas d’achats comme ça.»

Marc-André Gaudreau a eu la main plus heureuse avec l’émission D de TransAlta, émise en 2010 avec un coupon au taux de 4,6 %. Quand l’entreprise a révisé son taux à 2,7 %, au début de 2016, le prix de l’action a chuté à 7,04 $, moment où il a fait ses emplettes. Depuis, le prix est remonté à 14,37 $, pour un gain supérieur à 100 %.

Évidemment, une telle remontée ne peut tenir indéfiniment, mais le secteur des actions privilégiées demeure quand même un «sweet spot», au dire de Marc-André Gaudreau. «On est dans un marché presque optimal, affirme Nicolas Normandeau. Même si les taux d’intérêt ne montent plus, il va demeurer intéressant, parce que l’espérance de rendement est plus élevée qu’avec les obligations.»

En effet, plus de 60 % des actions privilégiées à taux révisable se négocient encore à escompte et vont sans doute continuer à le faire pendant quelques années encore, prévoit Nicolas Normandeau, ce qui rend ce marché intéressant. Et cela l’est encore plus si la Banque du Canada continue de hausser son taux directeur. «Pour cette part du marché qui se négocie à escompte, sous la valeur au pair, une hausse de taux est positive, affirme Nicolas Normandeau. Ce n’est pas le cas pour celles qui s’échangent au-dessus du pair, à 26 $ par exemple.» On ne peut en dire autant du marché général des obligations, où une hausse du taux directeur rend la navigation difficile pour les gestionnaires de portefeuille.

Évidemment, les choses dépendent de la bonne tenue de l’économie générale. La montée des taux par la Banque du Canada doit être bien proportionnée, juge Marc-André Gaudreau, «sinon, on risque de créer un ralentissement économique. À ce moment-là, il faut s’assurer d’avoir choisi des émetteurs dont le crédit est solide», explique-t-il.

Les occasions se présentent surtout dans les secteurs des pipelines et des services publics, que nos gestionnaires de portefeuille affectionnent plus particulièrement.

L’émission FC d’Enbridge, une entreprise dont la cote de crédit est solide, représente bien les perspectives des investisseurs. Émise avec un coupon de 4,4 %, son taux sera révisé en mars 2020. Comme elle se négocie à escompte à 21,28 $, son taux de rendement réel est de 5,17 %. «Même si les taux d’intérêt ne montent pas, le rendement demeure attrayant pour le risque encouru, dit Nicolas Normandeau. De plus, la prime de rendement par rapport aux obligations émises par des sociétés et aux obligations à haut rendement reste attrayante.»

Et si les taux montent d’ici là, ce qui est probable, le gain combiné du prix et du rendement de dividende s’appréciera encore plus. Nous sommes dans un univers bien différent de celui des actions et des obligations.