«En 1991, La Mutualité est devenue une filiale de la SSQ. Je suis resté à la tête de La Mutualité, mais j’ai aussi été nommé vice-président – vie individuelle et rentes de SSQ Vie, ce qui a en fait été ma fonction principale jusqu’en 1993, moment où le poste s’est ouvert à l’Union Vie», raconte-t-il.

C’est en répondant à une offre d’emploi que Jacques Desbiens a accédé à la direction générale de l’Union-Vie (UV Mutuelle), en 1993.

À l’époque, il savait déjà «que si l’on voulait avancer plus rapidement, il valait mieux passer par l’externe que par l’interne, où la plupart du temps on part avec deux prises contre soi», dit-il.

Affronter les vents contraires

Jacques Desbiens a de quoi être fier, car sa feuille de route est enviable.

Au cours des 25 dernières années, «l’actif d’UV Mutuelle a crû de 19 fois, l’avoir des mutualistes de 12 fois, le revenu-primes de 6 fois, le bénéfice net de 24 fois, le nombre d’assurés de 11 fois, et le nombre de membres du personnel de 4 fois», lit-on dans le Rapport annuel 2014, d’UV Mutuelle.

De même, de 2010 à 2014, la part de marché d’UV Mutuelle en terme de primes directes souscrites au Québec est passée de 0,56 à 0,85 %, selon le Rapport annuel sur les institutions financières 2014 publié par l’Autorité des marchés financiers (AMF). En comparaison, durant cette période, la part de marché d’Humania est passée de 0,63 à 0,73 %

En 2015, UV Mutuelle devrait par ailleurs connaître une 24e année de croissance sans interruption, affichant un bénéfice net estimé à 18 M$, par rapport à 17,5 M$ en 2014. L’assureur projette également un actif sous gestion de 2 G$, et 210 M$ d’avoir des mutualistes.

Cinquième plus ancienne compagnie d’assurance de personnes au Canada avec plus de 125 ans d’existence, UV Mutuelle compte au-delà de 300 000 assurés-mutualistes et ses produits sont distribués par plus de 2 000 conseillers en sécurité financière indépendants dans tout le Canada.

Il faut toutefois dire que la croissance d’UV Mutuelle repose largement sur ses acquisitions en série de compagnies ou de portefeuilles de polices d’assurance. Selon Jacques Desbiens, l’entreprise a développé de l’expertise pour intégrer ces acquisitions dans ses systèmes et pour en tirer une certaine rentabilité.

«Cela a été notre planche de salut, parce que nous n’en serions pas là où nous en sommes sans ces différentes occasions. Le développement interne finit par faire des petits, mais c’est long et coûteux», lance-t-il.

Jacques Desbiens estime que sur la quinzaine d’acquisitions effectuées depuis 1993, c’est la première qui est encore aujourd’hui la plus intéressante.

«J’avais travaillé pour La Mutualité pendant cinq ans et je me plais toujours à dire que je connaissais davantage le potentiel de l’entreprise que son vendeur, et sans donner de chiffre, disons que cette acquisition est encore très rentable», raconte-t-il.

Par la suite, UV Mutuelle a acquis notamment des portefeuilles de polices d’assurance de Canassurance (1996), AXA (1998), Assurance-vie Desjardins Laurentienne (2001), et Union du Canada (2012). Elle a aussi fusionné avec l’Entraide Assurance en 2010.

Malgré un accès limité à des capitaux externes en raison de son statut de mutuelle, UV Mutuelle n’envisage aucun changement à cet égard. L’assureur de Drummondville affichait en 2014 un ratio de solvabilité de 343 %, «et ce sera davantage en 2015, ce qui en fait l’une des compagnies d’assurance les plus solides financièrement», estime Jacques Desbiens.

UV Mutuelle est d’ailleurs engagée dans l’acquisition «d’un autre petit portefeuille».

Bien qu’il évoque la croissance d’UV Mutuelle avec beaucoup de fierté, Jacques Desbiens sait qu’il n’y a pas de quoi célébrer.

«Comme beaucoup de manufacturiers, nous avons été frappés de plein fouet par la baisse des taux d’intérêt. Notre core business, c’était l’assurance vie individuelle de type vie entière à long terme, incluant un peu de temporaire, et je ne suis pas certain qu’il y ait encore beaucoup d’argent à faire là pour l’instant», explique-t-il.

Selon les données de l’AMF, UV Mutuelle occupait effectivement en 2014 le 18e rang pour la taille des primes directes souscrites au Québec, avec un volume de 126,9 M$, alors qu’en 2013, elle s’était inscrite au 16e rang, avec un volume de 128,2 M$.

«Compte tenu de notre positionnement dans le marché et de notre niveau de tarification, nous ne voulions pas aller plus bas en terme de prix, de telle sorte que nous avons reculé de quelques rangs. Mais dans le contexte actuel, si l’on persiste à se désâmer pour faire le plus de ventes possible, il nous restera moins de temps pour développer autre chose et préparer l’avenir», analyse Jacques Desbiens.

La réalisation des objectifs annuels «s’avère plus essoufflante», confirme-t-il, ce qui oblige UV Mutuelle à «se repositionner avec des produits moins gourmands sur le plan des taux d’intérêt».

Au cours des dernières années, UV Mutuelle a donc mis l’accent sur les produits d’investissement liés à la retraite, sur le développement en assurance collective et sur la gestion du patrimoine «plutôt que de s’enliser en espérant que les conditions du marché évoluent favorablement».

«Virer de bord, ça prend un certain temps et nos systèmes n’étaient pas nécessairement prêts pour que nous pesions sur l’accélérateur», ajoute Jacques Desbiens.

Deuxième souffle recherché

Engagé dans la conception du plan stratégique 2016-2020 d’UV Mutuelle, Jacques Desbiens privilégie la prudence et la patience.

«Et même si cette stratégie est peut-être un peu moins rentable, ça ne veut pas dire qu’on n’agit pas, car les défis sont nombreux : il y a la persistance des taux d’intérêt bas, l’accroissement de la règlementation, mais surtout, toute l’incertitude entourant IFRS 4 – Phase 2 et les éventuelles nouvelles normes de capital», dit-il.

UV Mutuelle cherche donc à rester le plus solide possible sur le plan financier afin de pouvoir affronter les défis importants et multiples qui se présenteront, selon Jacques Desbiens.

Le programme de modernisation technologique amorcé il y a quelques années s’est d’ailleurs poursuivi en 2015. UV Mutuelle a terminé la refonte de son site Web, en plus d’investir dans différentes ressources technologiques afin d’aborder éventuellement le marché des produits vendus en ligne.

«Investir en technologie coûte cher, et les premières polices ne pourront être très rentables. Toutefois, beaucoup de gens ont des outils comme des iPad, et bien que cela ne garantisse pas pour autant l’existence d’un grand marché, on ne peut pas passer à côté de cette tendance», analyse Jacques Desbiens.

«Si quelqu’un doit lire quatre pages de déclaration d’assurabilité, c’est sûr qu’il ne se rendra pas au bout. Il faut donc exclure au départ les produits de type vie entière avec des valeurs de rachat et mettre l’accent sur un produit de base à émission garantie sans preuve d’assurabilité», croit-il.

La souscription éventuelle de produits IARD est un autre projet d’UV Mutuelle. Il s’agit d’une avenue envisagée depuis deux ans, mais qui est notamment freinée, selon Jacques Desbiens, par le coût d’implantation élevé de la plateforme informatique requise pour gérer les produits IARD.

UV Mutuelle envisage également de manufacturer des produits en marque blanche (white label). Cela lui permettrait d’aller de l’avant sans avoir à soutenir d’importants systèmes informatiques au départ, estime Jacques Desbiens.

«Nous pourrions ainsi nous faire la main et par la suite, prendre de l’élan avec nos propres produits, tels que de l’assurance automobile ou de remplacement, en nous tournant dans un premier temps vers nos 300 000 mutualistes», évoque-t-il.

Quand engagement rime avec passion

Jacques Desbiens pense aussi à sa relève.

«J’ai 63 ans et demi et dire que j’ai un horizon de deux ans, je ne pense pas que ça surprenne beaucoup de gens», lance-t-il en riant.

Jacques Desbiens cumule la direction générale et la présidence du conseil d’administration de l’assureur. Il se voit bien continuer d’assumer la présidence du conseil cinq autres années, une fois qu’il aura cédé la direction générale et que les deux fonctions auront été scindées.

Bien qu’il ait siégé à de nombreux conseils d’administration de regroupements professionnels, dont l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et le Regroupement des assureurs de personnes à charte du Québec (RACQ), ou en soit toujours membre, Jacques Desbiens ne se qualifie pas de militant.

Toutefois, il n’est pas avare de son temps lorsqu’il est question de s’engager dans divers organismes. Il l’a notamment fait à l’Hôpital Sainte-Croix de Drummondville, à la Corporation de recherche et d’action sur les maladies héréditaires (CORAMH), et au 6e Bataillon Royal 22e Régiment, dont il est lieutenant-colonel honoraire.

Fellow de l’Institut Canadien des actuaires et de la Society of Actuaries, Jacques Desbiens a également gravi le Mont Kilimandjaro en 2009, au bénéfice de la Fondation Charles-Bruneau.

«Ma femme et moi allons probablement finir notre vie à Drummondville parce que nous nous y plaisons, bien que nous ayons un pied-à-terre en Floride et une maison à Saint-Siméon, dans la région de Charlevoix, dont nous sommes natifs tous les deux», dit-il.

Et bien que la conception de tarification de produits soit la passion qui l’a «fait vibrer durant toute ma carrière», Jacques Desbiens évoque avec plaisir son amour de la mer, auquel il s’adonne sur son voilier de 57 pieds.

Toutefois, parlant de passion, ce père de deux enfants souligne la naissance récente de son premier petit-fils.