Quand l'assurance s'impose
Dorian Danielsen

PROTÉGER UNE PERSONNE À CHARGE

Pour l’assurance vie, les principaux besoins primordiaux des clients riches sont la protection des personnes à charge ; la couverture du manque de liquidité au décès ; et le respect des conditions d’une convention entre actionnaires.

D’abord, pour bien protéger les personnes à charge, l’assurance vie permet de gérer le risque découlant de la faible probabilité qu’un parent décède alors que ses enfants ne sont pas autonomes financièrement, par exemple. La gravité peut être énorme pour une famille si les revenus générés par la personne assurée prennent fin. Pour éviter la catastrophe financière possible, l’assuré préfère consacrer une partie de son budget annuel au versement d’une prime. À un âge avancé, on devine que la notion de perte de revenus est moins pertinente, notamment à la retraite.

COUVRIR UN MANQUE DE LIQUIDITÉ AU DÉCÈS

Ensuite, même si son actif est suffisant pour garantir son indépendance financière, le propriétaire d’un parc immobilier peut avoir un besoin d’assurance vie pour couvrir un manque de liquidité au décès.

Or, si ce client décède et qu’il ne transfère pas en franchise d’impôt à son conjoint ses actifs, celui-ci aura une facture fiscale immédiate. Cette facture résulte du fait qu’un client est présumé avoir disposé de ses actifs à leur juste valeur marchande, immédiatement avant son décès, selon les lois fiscales.

Ces genres de clients en affaires ont souvent peu de liquidités disponibles. Leur manque de liquidités s’explique parfois du fait qu’ils n’ont toujours pas trouvé satisfaisantes les occasions de vente d’un ou des immeubles. Comme il n’est pas souhaitable que les héritiers doivent effectuer une vente au rabais pour payer la facture fiscale, l’assurance vie permet de faire face aux déboursés.

L’option d’emprunter pour financer cette dette fiscale est souvent peu efficace, car les intérêts seraient possiblement non déductibles. En optant pour l’assurance vie, l’entrepreneur devra toutefois dégager une liquidité annuelle pour payer la prime.

S’il est dans les plans de créer des liquidités par une vente à moyen terme d’une partie des immeubles, le besoin d’assurance peut alors n’être que temporaire, ce qui réduit les déboursés du coût d’assurance.

FINANCER UNE CONVENTION ENTRE ACTIONNAIRES

Enfin, beaucoup de clients fortunés sont des entrepreneurs ayant des associés. Souvent, leur convention entre actionnaires exige une couverture d’assurance vie afin de garantir que l’entreprise aura les liquidités nécessaires au rachat des actions de l’associé défunt. Ainsi, on évite que les actions de ce dernier ne soient léguées à un partenaire d’affaires non désiré, comme le conjoint de cet associé ou ses héritiers.

Par ailleurs, les clients peuvent avoir d’autres besoins primordiaux d’assurance qui ne sont pas liés à leur décès. Par exemple, un travailleur autonome n’ayant pas l’actif nécessaire pour assurer son indépendance financière doit protéger ses revenus futurs par de l’assurance invalidité de longue durée.

D’autre part, un retraité qui craint d’épuiser son actif avant son décès peut décider d’en immobiliser une partie dans une rente viagère. Ce revenu viager offre ainsi un filet de sécurité à long terme pour compléter les prestations gouvernementales souvent insuffisantes.

Un client fortuné peut aussi souscrire une rente viagère afin de gérer ce risque d’épuisement, surtout si son coût de vie est très élevé. La rente viagère ne va pas nécessairement régler les insuffisances à la retraite, mais elle permettra de mieux niveler les revenus sur la période inconnue qu’est la retraite, laquelle varie selon la longévité du client.

PROFITER DES APPLICATIONS STRATÉGIQUES

Lorsqu’on analyse les besoins d’assurance des clients fortunés, ceux-ci ne révèlent habituellement aucun préjudice financier à couvrir. En quelque sorte, le client est autoassuré et peut faire face à des situations d’invalidité, de décès « prématuré » ou même de maladies graves, compte tenu de l’importance de son patrimoine.

En clair, ces clients ont un actif plus que suffisant pour garantir leur indépendance financière et laisseront ainsi un héritage appréciable, et ce, même si leur rendement réel était moins élevé que prévu et leur coût de vie plus élevé que prévu. Même s’ils n’ont pas de « besoins d’assurance » devant être couverts par cet instrument de gestion de risque, ce même instrument peut être encore utile dans un esprit d’amélioration de la situation financière à long terme. On est alors à la recherche d’une probabilité de hausser le rendement.

Bien entendu, on doit allouer seulement une partie des surplus prévisibles à ces produits d’assurance pour éviter une immobilisation trop importante des fonds du client. À long terme, la composante « actif d’assurance » ne doit pas être disproportionnée par rapport aux autres actifs afin d’éviter une trop grande concentration dans ce secteur. Si un client souscrit des produits d’assurance, cela ne doit pas l’empêcher de maximiser ses comptes REER ou CELI.

METTRE EN PLACE UN BON SUCCESSORAL

Dans un premier temps, un client riche pourrait souscrire un contrat d’assurance vie afin de remplacer une partie des titres à revenu fixe. Certains donneront à cette stratégie le nom de « bon successoral » ou de « transfert intergénérationnel ».

L’assurance vie devient alors, en quelque sorte, un titre dont le taux de rendement interne est fixé à l’avance, mais qui variera selon l’âge au décès. Un décès hâtif produira un rendement pouvant excéder 1 000 %, alors qu’un décès vers l’espérance de vie générerait de 2 à 4 % net d’impôt, ce qui est élevé dans le contexte économique actuel des titres à revenu fixe. Parfois un décès tardif peut produire un rendement négatif.

Quand on calcule le taux de rentabilité d’un capital-décès par rapport aux primes payées, il est préférable d’utiliser l’espérance de vie à l’âge atteint d’une personne en bonne santé et l’espérance de vie à la naissance d’une population moyenne, laquelle comprend une part de fumeurs.

Les clients fortunés doivent aussi faire en sorte que leur police ne tombe pas en déchéance et soit ainsi annulée. En effet, une des raisons des rendements potentiels vient du fait que certains abandonnent leur police d’assurance. Les gens qui cessent le versement de leur prime abandonnent en quelque sorte des sommes qui profitent aux assurés payant rigoureusement la leur.

Comme le taux de rendement de ceux qui abandonnent leur police est négatif, il faut donc s’assurer que ses clients sont du groupe des persévérants. Si on a planifié, les clients devraient pouvoir assumer le paiement de la prime sans pression sur le budget.

Dans les illustrations à long terme, il faut s’assurer d’avoir une approche prudente quant au montant du capital-décès. Si une police vie universelle est utilisée, il est recommandé d’opter pour des placements à revenus garantis. Dans le cas d’un contrat avec participation, comme la vie entière avec participation, il faut valider les résultats avec le barème de participations de base, moins 100 points de base et même moins 200 points de base pour avoir l’heure plus juste.

SOUSCRIRE UNE RENTE ASSURÉE

Une deuxième stratégie qui peut convenir aux clients riches est simplement de greffer une rente viagère à la stratégie précédente. Ainsi, en combinant deux produits, l’assurance vie et la rente, dont le taux de rendement varie totalement en sens inverse, on obtient un rendement fixe pour la vie. Le capital nous revient alors au décès.

Cette stratégie est appelée « rente assurée » (back-to-back). Le montant de la rente viagère moins l’impôt sur la partie taxable de la rente et moins la prime d’assurance vie devient le rendement net viager. Ce rendement est sensiblement supérieur à celui produit par un certificat de placement garanti (CPG). La stratégie peut être illustrée comme un CPG à rendement élevé, mais rachetable seulement au décès, donc un CPG à longue immobilisation.

Cette stratégie s’adresse à des gens de 60 ans et plus. Dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, il est possible que le rendement net généré à l’émission devienne de moins en moins intéressant. Nous recommandons fortement d’aller progressivement avec la stratégie de rente assurée, soit en l’appliquant par étape.

Par exemple, en souscrivant un bloc à 60 ans, puis un autre à 65 ans et un autre à 70 ans, on évite l’effet d’un mauvais timing et le regret d’une immobilisation prématurée des fonds. Mieux vaut aussi ne pas souscrire auprès des mêmes assureurs les polices et les rentes, au fil du temps. Indirectement, il se produit ainsi une diversification des assureurs émetteurs de la rente et des polices d’assurance vie. À 80 ans, il est moins probable que nos habitudes de vie changent et que l’on regrette l’immobilisation.

Par ailleurs, lorsque le client est actionnaire d’une société privée, comme une société de portefeuille, il a avantage à souscrire le contrat d’assurance vie dans celle-ci. Une analyse doit être effectuée pour s’assurer que le versement des primes à long terme n’empêchera pas le remboursement des avances, du compte de dividende en capital (CDC) et la récupération de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD).

L’avantage principal est que la prime d’assurance devient moins coûteuse parce qu’elle est financée avec des sommes avant l’impôt sur le dividende. La présence du CDC permet de préserver la non-imposition du capital-décès une fois le capital sorti pour l’actionnaire. Le CDC crédité à la société correspond au capital-décès moins le coût de base rajusté (CBR) du contrat (total des primes versées moins les coûts nets d’assurance pure, valeur devenant nulle à un âge avancé). Il serait prudent de valider les effets des mesures fédérales proposées en juillet 2017 sur ces produits d’assurance détenus par une société.

Plus les sommes consacrées à ces stratégies sont appréciables, plus il convient de diversifier le nombre d’assureurs. Les protections en cas de faillite prévues par Assuris ne couvrent pas 100 % lorsque les protections sont élevées. Une multiplication des assureurs permet d’éviter une grande concentration.

Toutefois, en raison des coûts fixes, il peut demeurer convenable de ne pas aller sous certains seuils minimums. Par exemple, si la rente assurée est effectuée pour 240 000$, les économies d’échelle feront qu’il est préférable d’agir en une seule étape au lieu de faire trois souscriptions de 80 000$ chacune espacées dans le temps.

Compte tenu qu’il faudra la présence d’un conseiller en sécurité financière pour l’étape de la souscription des produits, il est important que ce dernier et le planificateur financier aient largement échangé pour s’assurer de la convenance. •

*A.S.A. Pl. fin., directeur principal, centre d’expertise Banque Nationale Gestion privée 1859