Ses permis de planificateur financier, d’assureur-vie agréé, de représentant en épargne collective et sur les marchés dispensés sont bien alignés sur le mur, derrière lui.

Aucun dossier ne traîne sur sa table de travail. Visiblement, ce bureau lui sert de camp de base entre deux rencontres. Une fois par semaine, Gino Savard se rend aussi à Québec, où l’entreprise a vu le jour il y a 30 ans et où travaillent toujours la majorité des 65 employés.

Ce qui le motive ? Le développement de l’entreprise. «Réussir à débaucher les meilleurs conseillers de mes concurrents et leur faire regretter de ne pas être venus chez nous avant», remarque l’homme de 45 ans, qui enlève sa veste avant de raconter en détail ses débuts à la barre de l’entreprise.

«Mica avait 800 M$ d’actif quand on l’a reprise, mon frère et moi, et un an après, elle avait 560 M$. Ce n’était pas un super timing… Mon père avait pitié de nous. Il nous disait : « Mes p’tits gars, dans quel trouble je vous ai mis ! »»

Pendant cette crise, qu’il décrit comme le pire moment de sa carrière, Gino et son frère cadet, Martin, en profitent pour refaire l’image de Mica, l’acronyme de Marketing intégré pour conseillers associés. «Quand ça allait reprendre, on allait être drôlement bien positionnés», raconte Gino Savard.

Depuis, l’entreprise a connu une croissance de 25 % par an. Elle a conclu au 31 juillet 2015 la meilleure année financière de son histoire, avec un actif sous gestion de 2,5 G$ et des revenus de 34 M$. Les fonds communs de placement, vendus par l’intermédiaire de Mica Capital, sont le moteur de cette croissance. Ils comptent pour 95 % des ventes et pour 2,1 G$ de l’actif sous gestion. Le reste est constitué de fonds distincts (400 000 $ d’actif et 5 % des ventes).

Papa Denis serait fier. Denis Savard a fondé Mica en 1986, à une époque où les conseillers en sécurité financière étaient des «agents d’assurance» et qu’ils ne valaient pas mieux qu’un vendeur de voitures d’occasion dans l’esprit des gens. «Papa voulait changer ça. Il a créé Mica pour donner ses lettres de noblesse à une profession qu’il aimait et que son père avait exercée avant lui», dit Gino Savard.

Ce dernier aime bien dire qu’il a été le premier employé de l’entreprise qu’il dirige aujourd’hui. «Je personnifie en quelque sorte le rêve américain…» À 16 ans, il passe le balai chez Mica entre ses cours au cégep et il écoute les conseillers discuter. Mais il veut devenir entrepreneur. Il s’inscrit au baccalauréat en administration des affaires à l’Université Laval. Un an avant la fin de son bac, il abandonne des cours pour lancer un projet de resto-bar qui ne verra jamais le jour.

«J’étudiais à temps partiel, alors mon père m’a demandé de venir l’aider pour la période des REER et je ne suis jamais reparti», raconte Gino Savard. Il termine ses études tout en obtenant ses permis de conseiller. Son frère le rejoint en 2001, diplôme de relations industrielles en poche. Aujourd’hui, Martin Savard est vice-président exécutif de Mica.

Le fils du boss

«Denis ne leur a pas donné ça tout cuit dans le bec», dit Guy Couture, vice-président régional, ventes assurances individuelles chez Manuvie, un assureur partenaire de Mica. «Mais Gino posait beaucoup de questions. Tout jeune, il avait déjà l’esprit entrepreneurial.»

«Mon père me disait : « si tu veux faire de l’argent, vends ! »» raconte Gino Savard.

Au début, le fils du patron n’est pas le bienvenu chez certains représentants. Les commentaires qui traversent les murs de Mica sont peu élogieux. «J’ai failli tout lâcher parce que je ne voulais pas nuire à la business de mon père, mais j’ai décidé de tellement leur donner du service qu’ils allaient ravaler leurs paroles.»

Il gagne son pari le jour où il réussit à faire accepter à un client une surprime importante sur un contrat d’assurance vendu par un représentant de Mica. «Quand ce conseiller est revenu de vacances, il ne me voyait plus de la même façon et il est passé de mon côté.»

Gino Savard a ainsi fait sa place jusqu’à ce que son père lui cède les rênes. Quand il parle de Denis Savard, décédé l’an dernier d’un cancer à 68 ans, sa voix s’éteint. «Papa était mon mentor et mon meilleur chum. On se parlait tous les jours. Nous ne nous sommes jamais chicanés», dit Gino Savard en baissant les yeux. «C’est pas réglé encore, c’est rough…»

Des pratiques qui font jaser

Tout n’est pas rose dans l’histoire de Mica. Au début des années 2000, la firme crée les Fonds Diamant, une société de fonds communs. Sept ans plus tard, l’entreprise est emportée dans la foulée du scandale Norbourg.

«Plus personne ne faisait confiance aux petites sociétés de fonds québécoises, ça a tué complètement cette industrie», dit-il. Avant la crise, Mica avait refusé une offre de 1,9 M$ pour les Fonds Diamant, qu’elle a liquidés en 2008 avec une perte de 400 000 $.

«Pour mon père, ça a été un échec épouvantable et ça n’a pas aidé dans le développement de son cancer», dit Gino Savard.

Le duo n’en était pourtant pas à ses premiers gestes audacieux. À la fin des années 1990, alors qu’un vent de consolidation souffle sur le secteur de la distribution des services financiers, Mica se lance dans une vaste consultation auprès de ses conseillers et de leurs clients pour tracer le portrait du conseiller idéal.

«Notre but était de devenir le meilleur cabinet comptant les 100 meilleurs conseillers du Québec, dit Gino Savard. C’était rock-and-roll par rapport à ce qui se faisait à l’époque.»

À ce moment-là, Mica totalise 575 conseillers. Pendant deux ans, les associés les rencontrent un à un en entrevue et ne gardent que les plus motivés et les meilleurs vendeurs. «Un conseiller qui veut juste faire de l’argent, ça ne marche pas chez nous.»

Cinq cents conseillers n’ont pas passé le test. Mica n’en garde que 75, les meilleurs, selon elle. Depuis, l’entreprise refait l’exercice annuellement, laissant partir les moins performants pour les remplacer par d’autres candidats.

À cause de son franc-parler et de ses pratiques peu traditionnelles, bien que respecté, l’homme ne s’est pas fait que des amis dans l’industrie, y compris dans son propre réseau de conseillers. «Quand il a quelque chose à dire, il le dit, mais il aime aussi avoir l’heure juste. Ce qu’il ne tolère pas, c’est le manque de respect», dit Richard Arel, représentant en épargne collective de Mica et ancien président de l’Association des intermédiaires en assurance de personnes du Québec (AIAPQ), précurseur de l’actuelle Chambre de la sécurité financière (CSF).

Les pratiques de Mica font jaser. Par exemple, l’entreprise est connue pour son offre de fonds communs qui comportent des frais d’acquisition reportés, pour lesquels le client n’a pas à payer de frais à l’achat, mais seulement à la revente. Ces frais s’éteignent de six à sept ans après la vente. Ce type de frais peut inciter les conseillers à conserver des fonds moins performants dans le portefeuille des clients.

«Nous ne nous sentons pas obligés de garder un fonds, dit Gino Savard, car nous avons les moyens de rembourser les frais. Si j’entre dans un fonds et que je vois qu’il n’a pas d’avenir, je vais en sortir, aller ailleurs et rembourser les frais de sortie à même la commission générée par l’autre vente», dit le président de Mica.

«Ça aide les conseillers en début de carrière à s’établir, et plus ils développent leur clientèle, plus ils convertissent en sans-frais graduellement», dit-il.

Le gène du militant

Denis Savard a lutté pour le décloisonnement de la distribution des produits financiers, qui s’est soldé par l’adoption de la LDPSF en 1998. Son fils Gino est au coeur des enjeux liés à sa révision. Il milite pour que les conseillers aient le droit de s’incorporer et pour qu’ils puissent continuer à être rémunérés à la commission.

«La vente par honoraires peut amener les clients à vouloir négocier en période difficile. Le client dira : « J’ai perdu 50 000 $ et tu me demandes 5 000 $ d’honoraires ? » Ça peut créer des problèmes, et un conseiller qui a des problèmes d’argent devient dangereux.»

Il déplore le fait que les règles sont appliquées sans distinction, sans tenir compte des particularités de chaque secteur de l’industrie. La divulgation de la rémunération telle que préconisée par le Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2) ne devrait pas s’appliquer à l’assurance de personnes, selon lui.

«Ça va renverser le système de distribution canadien. En assurance de personnes, c’est très bien payé la première année, et presque pas par la suite. Ça va créer de la vente à rabais», ajoute le président de Mica, qui enregistre 10 M$ de nouvelles primes par année.

«C’est déjà assez dur de trouver de la relève dans notre domaine, il ne faudrait pas la décourager encore plus.» Sa relève à lui semble bien assurée cependant. Sa fille de 19 ans travaille à temps partiel dans l’entreprise tout en poursuivant ses études.

«À deux ans, elle disait qu’elle serait présidente de Mica, et ça n’a jamais changé», remarque Gino Savard, qui pourra remplir la promesse faite à son père, «d’amener Mica jusqu’à ses petits-enfants».