René Hamel prend sa retraite


Finance et Investissement (FI): Pourquoi prendre votre retraite aujourd’hui?

René Hamel (RH): J’ai le sentiment d’avoir donné ce que j’avais de meilleur durant les sept dernières années. Un de mes objectifs, sans en faire une obsession, était de prendre ma retraite à un moment où il n’y aurait pas de contraintes, qu’elles soient médicales, familiales ou autres. Je suis content d’avoir ce privilège de décider du moment de ma retraite.

D’un point de vue plus pratique, j’ai débuté ma présidence avec un nouveau plan stratégique de cinq ans. J’en ai fait un et nous sommes maintenant à mi-chemin du deuxième. C’est le moment où on examine notre plan et où on décide si nous poursuivons ou non. Avoir quelqu’un qui prendra en main la suite à ce moment présent est un bon choix. Mon successeur va monter à bord cette année et travailler à l’élaboration du prochain plan avec l’équipe en place.

FI: Que cherchiez-vous dans votre successeur?

RH: Nous cherchions à la fois de l’expertise, des qualités de leader et des qualités humaines. Nous voulions quelqu’un qui avait une feuille de route le plus largement compatible avec les produits et les domaines où SSQ est actif. Il fallait aussi une vision géographique des affaires parce qu’on se développe à l’extérieur du Québec. Tout le monde veut un leader, mais nous cherchions aussi quelqu’un qui se mariait bien avec nos valeurs d’entreprise. Nous avons trouvé l’ensemble de ces choses en Jean-François Chalifoux. Pour moi, c’est exceptionnel de partir et de pouvoir laisser les choses dans les mains de quelqu’un comme lui.

FI: Durant vos sept ans chez SSQ quel a été votre plus grand succès et, à l’opposé, que regrettez-vous?

RH: Je n’ai pas encore fait une grande analyse de mon parcours, mais les choses dont je suis le plus fier sont mesurables financièrement. Nous avons eu une rentabilité exemplaire et nous avons bâti une organisation très solide. Je me suis aussi entouré d’une solide équipe à la direction générale. Ensemble, à la direction générale, nous avons bâti un « ego » collectif qui nous a permis de progresser.

De vraies défaites, je n’en vois pas, ou je les ai peut-être oubliées. Je dirais qu’il y a des choses que j’aurais aimées qui arrivent plus rapidement. Par exemple, nous sommes sur la route du développement de synergies opérationnelles et d’affaires dans l’entreprise. J’aurais souhaité qu’elles arrivent plus rapidement, mais le processus est enclenché maintenant, et ce, autant au niveau des processus internes qu’au niveau des produits. Si j’avais une baguette magique, je voudrais que nous soyons plus avancés, mais ce n’est pas le cas.

Par exemple, nous avons réussi à établir des synergies en matière d’opérations, les développements technologiques et informatiques qui se déroulaient auparavant en silos dans l’organisation. Ce que nous avons fait, c’est qu’avec les mêmes budgets technologiques, nous avons marié les expertises pour faire une utilisation plus efficace des sommes. Pour une même enveloppe, chaque secteur garde un minimum, mais le reste est mis dans la gestion proactive de projets. On a bâti une équipe multidisciplinaire qui décide quels projets sont les plus porteurs pour le reste de l’organisation. Ainsi, on dépense les mêmes sommes, mais maintenant elles sont dépensées plus efficacement pour l’ensemble de l’organisation. On est plus forts.

Je vais vous donner un autre exemple, en affaires, comme d’autres organisations, on opérait dans plusieurs secteurs d’affaires. À une certaine époque, un client n’était pas nécessairement le client de SSQ mais plutôt le client d’un secteur en particulier. Il n’y avait pas un grand partage. On va de plus en plus vers ça, dans le respect des réseaux et on essaie, dans la mesure du possible de partager. Ce n’était pas dans la culture nécessairement de l’organisation, mais ça l’est maintenant.

FI: Qu’est-ce que l’acquisition d’Intact vous a appris?

RH: Nous n’avions pas d’historique d’acquisition lorsque nous avons acquis Axa qui était, en tant que telle, une machine à acquisitions. Notre objectif était d’ajouter à notre portefeuille le volet de l’assurance vie individuelle et aussi de l’assurance collective spécialisée. Durant ce processus, nous avons appris comment procéder dans une acquisition et nous avons réalisé toute la discipline et la rigueur que ça demande. Ensuite nous avons aussi ouvert la porte vers l’élargissement de nos secteurs, ce qui fait aujourd’hui que nous sommes présents en assurance voyage et en assurance remplacement et crédit chez les concessionnaires. Avec le succès de l’acquisition d’Intact, nous avons eu assez confiance pour aller vers de nouveaux secteurs d’affaires. C’est une belle leçon et une belle expertise qui nous ont amenées ailleurs.

FI: Quel est le secteur d’avenir pour SSQ?

RH: Nous sommes là où nous voulons être. On ne veut pas être une banque. On s’est positionnés dans les secteurs principaux et secondaires où nous voulions être. Nous sommes en assurance collective, en assurance individuelle de personne, vie et maladie. Nous sommes aussi présents du côté des produits de placement, avec notre famille de fonds ASTRA, et nous sommes en assurance générale. Ce sont nos quatre secteurs majeurs et nous sommes aussi positionnés dans d’autres secteurs comme l’assurance voyage, l’assurance remplacement, etc.

Nous sommes positionnés dans le monde des produits qui offrent la sécurité financière, donc dans la prise de risque. Avec les nouvelles normes comptables et avec les nouvelles exigences de capitaux, il y a des assureurs qui commencent à trouver ça lourd un peu d’offrir de la sécurité financière. Je ne sais pas comment ça va finir, mais l’industrie doit se repositionner. Certains iront vers des produits qui exigent peu de capitaux et moins de prise de risque, d’autres iront vers des produits offrant encore la sécurité financière. Je crois que ce qui nous distingue chez SSQ c’est notre capacité à prendre et à gérer des risques. Le futur d’une organisation comme la nôtre est là-dedans malgré les normes comptables et les exigences de capitaux. Dans cette capacité d’offrir de la sécurité financière via des produits qui offrent cette sécurité à court, moyen ou long terme.

FI: Quel est l’avenir des produits à rentes variables?

RH: Il y a clairement un avenir. Ce qui distingue les fonds distincts des fonds communs, c’est la capacité des assureurs à offrir des garanties. On a basculé rapidement vers des produits à garanties insensées en termes de prise de risque. Depuis, le marché a abandonné ce type de produits avec des garanties intenables. Il va se repositionner vers des produits à garanties tenables dans le temps et à un prix décent. Le marché s’est simplement emballé en tentant d’imiter ce qui se faisait aux États-Unis. Ça revient tranquillement vers un juste milieu où les fonds distincts vont continuer de se distinguer par la capacité des assureurs à offrir des garanties.

FI: Quel est le mode de rémunération optimal en assurance?

RH: Je suis mi-figue mi-raisin dans ce débat. Premièrement, je suis pour la transparence et je n’ai jamais eu d’objection contre la transparence. Il faut aussi que le client ait une part de responsabilité de prise de décision à partir d’informations transparentes. Mettre toute l’attention du côté de la rémunération n’est toutefois pas nécessairement une bonne idée. Je vais donner un exemple.

Dans le monde des fonds, il y a généralement un distributeur, un manufacturier et un gestionnaire de placement. Beaucoup de manufacturiers font affaire avec un distributeur indépendant payé à la commission. À l’opposé, beaucoup d’autres manufacturiers ont aussi leur propre réseau de distribution et ne paient pas de commission. Ils paient des salaires. Les frais sont partagés comment entre distributeur, manufacturier et gestionnaires? On veut dévoiler les commissions de l’un alors que l’autre ne reçoit pas une commission, mais un salaire? Je crois que ce qui est important, c’est de dévoiler les frais que le fond charge à chaque année. Peu importe, et encore une fois je n’ai pas de problème avec la divulgation de commission, ce qui importe c’est combien d’argent le fonds retient pour payer tous ses frais. Si on se contente de divulguer les commissions, c’est tout à fait injuste.

Alors, oui pour la transparence, mais assurons-nous que nos clients aient la bonne information. On devrait avoir l’obligation de divulguer à chaque année combien les manufacturiers perçoivent d’honoraires dans les fonds, qu’ils soient distincts ou mutuels.

FI: Et finalement, dernière question: quand les taux vont-ils remonter?

RH: Je ne donnerai pas de réponse de politicien. J’ai la conviction que les taux vont monter, mais que nous allons vivre de la volatilité d’ici là. Dans notre milieu, on prend des engagements à long terme et on doit s’assurer d’avoir un bon appariement pour ne pas trop souffrir en attendant.

Photo Martin Laprise