Cible ratée ?

Les statistiques ne sont guère encourageantes, ni révélatrices de la situation qui prévaut sur le terrain. Selon les projections de Québec, l’actuelle phase du RVER visait environ 33 000 entreprises de plus de 20 employés.

Cependant, «ce chiffre inclut plusieurs entreprises qui disposent déjà d’un régime,» relève Pierre Turgeon, porte-parole de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. «Notre estimé porte plutôt sur 10 000 à 15 000 entreprises», ajoute-t-il, ce qui représente au moins de 200 000 à 300 000 travailleurs.

Or, au 30 septembre, seulement 3 125 entreprises avaient implanté un RVER, couvrant 21 720 participants, pour un actif total accumulé de 13,2 M$, indique Frédéric Lizotte, chargé de relations de presse chez Retraite Québec.

C’est dire qu’il reste peu de temps pour parcourir encore beaucoup de chemin. Les entreprises se précipitent-elles dans les bureaux des conseillers, des banques et des assureurs pour se doter d’un RVER – ou d’un autre régime ? «Jusqu’au milieu de 2016, très peu de nos clients avaient réagi, dit-il. Depuis septembre, c’est vraiment la folie furieuse, dit Francis-Carl Rivard, actuaire chez Trinome Conseil, à Québec, une société spécialisée dans l’implantation de régimes de pension. Hier seulement, j’ai vendu trois régimes. On a l’impression que ça va être comme ça jusqu’à la fin de novembre. Depuis le lancement du RVER il y a deux ans, on a vendu de 15 à 20 régimes. On s’attend à doubler ce nombre au cours des deux prochains mois.»

François Brui, conseiller en sécurité financière chez Lessard Gilbert et associés, à Alma, ressent aussi une accélération. «Depuis le début du RVER, j’ai vendu des régimes à cinq ou six entreprises. Actuellement, j’en ai sept en cours.»

Pierre André Gervais, représentant en assurance collective de personnes chez Avec Assurance, parle d’un volume accru, mais ne donne pas l’impression d’être débordé. Depuis qu’il a ouvert son cabinet il y a trois ans, presque en même temps que le lancement du RVER, il a mis en place sept régimes de retraite. Il comptait en implanter un au début de novembre et croit peut-être en implanter un autre avant la fin de l’année.

Même son de cloche chez Desjardins Sécurité financière, dont l’empreinte sur le territoire RVER est considérable et représente entre 35 % et 40 % de tous les RVER vendus à ce jour, si on se fie à ce que rapporte David Charbonneau, vice-président épargne-retraite collective.

«La progression est beaucoup plus lente que ce à quoi on s’attendait, dit-il. Jusqu’en septembre, les volumes étaient relativement bas ; on a remarqué une reprise d’activité depuis le retour de l’été, mais il y a encore un écart entre ce qu’on attendait et la réalité.»

Pour Jean-François Rémillard, c’est le calme plat. «Il va sûrement y avoir un rush, mais je n’en perçois pas du tout à ce moment, même si le temps presse», dit ce conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective chez MICA Cabinets de services financiers, à Montréal.

Selon les derniers chiffres recensés par Retraite Québec, le bilan de la pénétration du RVER auprès des travailleurs visés pour l’échéance du 31 décembre 2016 semble faible.

Au mieux, le RVER a pénétré dans un tiers des entreprises visées et atteint 10,8 % des travailleurs prévus. Au pire, la pénétration s’est faite dans seulement un cinquième des entreprises et n’atteint que 7 % des employés visés.

D’autres régimes gagnants

Une autre tendance semble se dessiner : le RVER ne touchera qu’un infime contingent de travailleurs.

En effet, l’apparente accélération à laquelle on assiste dans l’implantation de régimes ne concerne pas le RVER mais plutôt les autres régimes de retraite comparables. Les employeurs peuvent en effet les implanter et se conformer tout de même à la loi. Résultat, le grand gagnant de la campagne actuelle est le REER collectif.

Selon les échos récoltés sur le terrain, les ventes de REER collectifs sont considérablement plus nombreuses que celles des RVER. Il s’agit là d’évaluations approximatives faites à partir d’anecdotes et de témoignages, faute de chiffres officiels sur ce rapport.

«J’aurais bien aimé que Retraite Québec mesure la hausse des régimes comparables, d’autant plus que les entreprises plus grandes ont avantage à s’orienter vers un régime alternatif», dit Pierre-André Gervais.

Il reste que Francis-Carl Rivard rapporte 20 régimes mis en place au cours des deux dernières années et une quarantaine d’autres en cours. Sur ce total d’implantations, combien ont été des RVER ? «Zéro, répond-il. Sauf un régime de retraite simplifié, tous les autres sont des REER collectifs.»

François Brui, lui, a implanté six régimes et en compte sept autres en cours d’implantation. Des RVER ? «Aucun, répond-il, tous des REER collectifs.»

Pierre-André Gervais a fait du RVER son porte-étendard. Sur neuf régimes implantés ou en cours d’implantation, cinq sont des RVER, quatre des REER collectifs.

Notre faible échantillon indique donc que, sur un total de 82 régimes implantés ou en cours d’implantation, seulement cinq sont des RVER, soit une proportion de 6 %. Toutefois, il serait hâtif de conclure que l’implantation de REER collectifs est 15 fois plus importante que celle de RVER.

Les employeurs cotisent peu

Qu’en est-il du nombre de travailleurs recrutés ? Tout laisse croire qu’il ne sera pas beaucoup plus grand que pour le RVER.

Francis-Carl Rivard rapporte que neuf fois sur dix, l’employeur ne cotise pas dans les REER collectifs qu’il a implantés. Dans de tels régimes, dit-il, le taux de participation des employés est seulement de 10 % ou 20 %. Pierre-André Gervais rapporte lui aussi aucune participation patronale dans les cinq RVER qu’il a vendus, le taux de participation des employés s’établissant alors à 15 %. Par contre, François Brui indique que sur les 13 REER collectifs qu’il a déjà implantés ou qu’il est en voie d’implanter, cinq employeurs cotisent, une situation qui entraîne l’adhésion de presque tous les employés. En l’absence de cotisation de l’employeur, juge-t-il, le taux de participation tombe dans les 30 %.

Notons au passage que le taux d’employeurs qui cotisent à leur RVER s’élève à 25 %, selon Lyne Duhaime, présidente de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), qui se base sur des rapports privés des membres de l’ACCAP.

Or, si on ne trouve nulle part un compte centralisé du nombre de REER collectifs, l’Agence du Revenu du Canada tient un registre des RPDB (Régime de participation différée aux bénéfices) implantés. Un tel régime est souvent le pendant pour un patron d’un REER collectif auquel il cotise. De 189 RPDB inscrits au Québec en 2013, leur nombre est passé à 283 à la fin d’octobre 2016. Il est difficile de parler ici d’un raz-de-marée, puisqu’un RPDB est le seul indice d’un REER collectif auquel les travailleurs adhèrent en grand nombre.