La vente par Internet déjà permise ?
Morrowind / Shutterstock

«Les manufacturiers peuvent fabriquer un produit et, dans la mesure où ils l’offrent directement à un consommateur qui les sollicite, c’est fait, c’est possible. Ils ont le droit de le vendre directement et ils le font sous la gouvernance de la LA et de toutes les lignes directrices mises en place à cet effet par l’Autorité des marchés financiers (AMF)», avance Claude Di Stasio, vice-présidente, affaires québécoises, de l’ACCAP.

L’ACCAP soutient aussi dans son mémoire qu’une simple confirmation législative «serait suffisante pour compléter l’encadrement de la vente par Internet».

Lire aussi – Dossier spécial LDPSF

Un tel encadrement «accorderait suffisamment de souplesse aux assureurs dans l’élaboration et la diffusion de leurs produits via Internet», selon l’ACCAP, conformément à la volonté exprimée dans le rapport sur l’application de la LDPSF.

«Dans l’état actuel des choses, je suis d’avis qu’il ne faut pas rechercher dans l’article 12 de la LDPSF, ni dans l’article 406.1 de la LA, une habilitation, loin de là», mentionne André Bois, avocat associé chez Tremblay Bois Mignault Lemay.

«L’article 406.1 de la LA est une disposition pénale, ce n’est pas une disposition habilitante indiquant que vous avez le droit de négocier directement, sans accompagnement d’un représentant», avance-t-il.

Il ne faut pas davantage chercher l’exception dans l’article 12 de la LDPSF, continue André Bois.

«Tout ce que dit l’article 12 de la LDPSF, c’est que vous ne faites pas une activité illégale lorsque vous faites de la publicité et que vous invitez les gens à acquérir vos produits. Ce n’est rien de plus et ça n’indique pas que cette activité permet de court-circuiter l’accompagnement d’un représentant.»

«Ce qui n’est pas interdit par la loi est permis. C’est ce que nous avons dit en 2012 à l’AMF lors de la consultation qu’elle a tenue sur l’offre d’assurance par Internet au Québec, et c’est ce que nous réitérons cette fois encore», mentionne Claude Di Stasio.

Oui au conseil, mais pas toujours

Actuellement, il y a déjà beaucoup de produits simples, que ce soit en assurances générales ou en assurance de personnes, qui sont offerts directement sur Internet, et dans le cas de produits un peu plus compliqués, un bouton signale qu’un intermédiaire peut être contacté, estime Claude Di Stasio.

«Nous ne voulons pas contourner la fonction-conseil, au contraire, c’est ce que nous faisions valoir en 2012 et c’est ce que l’on réitère. Il n’est pas question de faire de la planification successorale ou de la planification financière en ligne», signale Claude Di Stasio.

«Ce qui fait déjà partie de la loi me paraît acceptable, car l’impact sur la vie des gens reste alors bénin», pense Gino Savard, président de MICA Services financiers.

Les produits d’assurance actuellement disponibles par Internet sont rattachés à un produit ou à un service dans le cadre de clauses accessoires, rappelle-t-il.

«Toutefois, ce n’est pas la même chose de prendre une assurance vie pour payer une dette de lave-vaisselle et de souscrire une assurance vie pour remplacer son revenu auprès de ses héritiers», illustre Gino Savard.

Selon Gino Savard, trop d’assurances liées à des biens de consommation ne sont pas simples. Des produits tels que des assurances temporaires renouvelables, non renouvelables, ou, à la fois non renouvelables et non transformables, «c’est de la cochonnerie et ça ne répond aux besoins de personne», dit-il.

«Depuis 20 ans, nous n’avons vendu aucun de ces produits chez nous. Pourquoi, maintenant, de tels produits seraient-ils appropriés pour des gens qui achètent sur Internet», demande-t-il.

L’AMF, interrogée sur la position mise de l’avant par l’ACCAP dans son mémoire, a indiqué par courriel qu’«il ne revient pas à l’Autorité de faire des commentaires sur la proposition de l’ACCAP, étant donné que nous sommes dans un processus où le gouvernement tranchera sur la suite des choses».

Rappelons néanmoins que l’AMF, dans son Rapport sur l’offre d’assurance par Internet au Québec, publié en avril 2015, se montrait prête à permettre la vente en ligne de produits d’assurance sans intervention d’un représentant certifié, à certaines conditions, entre autres, que le consommateur :

dispose des outils nécessaires à la prise de décision, de l’analyse de besoins jusqu’au choix de produit ;

puisse comparer avec un produit qu’il détient déjà et être informé des avantages qu’il risquerait de perdre en changeant de produit ;

puisse accéder à un représentant s’il en sent le besoin, à toute étape de la souscription ;

soit informé de l’importance d’obtenir des conseils.

De plus, l’AMF souhaite que le client ait un droit de résolution pour une période raisonnable qui suit l’achat en ligne du produit d’assurance.

«Je pense que l’AMF et l’ACCAP prennent bien des raccourcis lorsqu’ils appuient leurs positions respectives sur les recommandations qui ont été mises en avant par le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA)», avance André Bois.

Selon lui, le CCRRA «a étudié la question dans un contexte de législation propre aux provinces de Common Law et ne s’est pas interrogé sur sa compatibilité avec plusieurs exigences du chapitre du Code civil du Québec qui régit les contrats d’assurance».

André Bois estime néanmoins que la véritable question reliée à la volonté du gouvernement de consentir aux assureurs la permission d’offrir leur produit par Internet consiste à «déterminer s’il est opportun de permettre qu’un contrat aussi complexe qu’un contrat d’assurance soit conclu sans l’assistance d’un professionnel».

L’accès à un professionnel certifié dont les consommateurs disposent à tout moment dans le processus, ne rassure pas Gino Savard. Il estime même que la personne susceptible d’acheter un produit d’assurance sur Internet n’a pas nécessairement envie de rencontrer un professionnel.

«Encore faut-il que les gens soient conscients des impacts que le fait de choisir le bon produit et le bon montant d’assurance aura sur leur vie. Il faut minimalement qu’une analyse soit faite en fonction des produits qu’ils ont déjà en main, et franchement, je ne pense pas que les gens soient aptes à choisir eux mêmes le bon produit et le bon montant.»

Cette position rejoint celle du planificateur financier Gaétan Veillette, qui a agi comme coordonnateur du comité de conception du mémoire de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec (OAAQ).

«Comment un particulier, aussi brillant et cultivé soit-il, pourrait-il d’une façon sensée et réfléchie concevoir les paramètres appropriés d’une police d’assurance», demande-t-il.

Gaétan Veillette estime néanmoins que l’utilisation d’Internet est un incontournable. Selon lui, il est possible de concevoir un processus de collecte d’information, d’analyse et de conclusion sur le besoin de protection couplé au risque des assureurs, puis de développer une instrumentation susceptible d’en arriver à des recommandations appropriées et accessibles au public.

Or, «le conseiller a un rôle primordial à jouer dans la recommandation et l’implantation d’une police d’assurance».

En contrepartie, Gaétan Veillette observe malgré tout qu’un individu participant dans une entreprise à une assurance collective reçoit son offre de renouvellement d’assurance par Internet et qu’il effectue lui-même ses choix concernant sa protection d’assurance vie, d’invalidité et de maladies graves.