Blockchain : une techno perturbatrice
Thelightwriter_123RF

Cette technologie offre certains avantages dont la possibilité de réaliser des opérations avec transparence, fiabilité et sécurité. De plus, «elle permet de garantir l’identification de clients et de biens, et de simplifier les transactions en supprimant le recours à une tierce partie de confiance, un rôle que les banques et les autres institutions financières se sont traditionnellement accaparé et duquel découlent du revenu et des excédents», mentionne Chadi Habib.

Les nouveaux procédés et les architectures basés sur la technologie blockchain, appelée aussi «technologie du grand livre partagé», simplifieront les processus en les rendant moins chers, plus sécurisés et plus accessibles. Ceci modifiera fondamentalement la façon dont les institutions financières feront des affaires, prédit un rapport du Forum économique mondial publié en août dernier.

«On imagine que beaucoup d’institutions financières ont déjà fait basculer plusieurs de leurs processus vers la technologie blockchain. En fait, la transition s’effectuera rapidement, mais tout ça demeure encore émergent», signale Chadi Habib.

En septembre dernier, KPMG Canada a démocratisé un peu plus l’accessibilité de la technologie blockchain auprès des sociétés financières, en lançant une série complète de services de grand livre comptable distribué.

De fait, les professionnels de la finance, dans une proportion de 22 %, estiment que dans un horizon de cinq ans, leurs clients géreront la majorité de leurs actifs à partir d’un portefeuille soutenu par la technologie blockchain, indique une étude menée par Pegasystems et publiée en juillet dernier. Précisons toutefois que 35% des répondants n’avaient jamais entendu parler de la blockchain.

Environnement évolutif

Selon Chadi Habib, la techno bouleverse déjà la relation client-conseiller. Il cite l’exemple du robot-conseiller et de l’intelligence artificielle, qui «ont commencé à changer la manière dont le consommateur consomme le conseil».

La technologie blockchain ébranlera davantage l’environnement de travail du conseiller, d’après lui : «Qu’il soit un peu plus automatisé, plus stratégique, il y aura toujours un rôle pour le conseiller».

Selon Chadi Habib, les procédés davantage susceptibles d’être transformés sont notamment le contrat intelligent, le processus de compensation et de règlement lors de transactions sur titres, les virements et les paiements internationaux, de même que la comptabilité et les systèmes bancaires qui sous-tendent ces fonctions.

«Y a-t-il d’autres modèles susceptibles d’être inspirés de la blockchain qui vont venir changer et simplifier la manière dont les processus pris en charge par les systèmes d’arrière-guichet s’effectuent ? Absolument !» ajoute-t-il.

D’après Chadi Habib, cette technologie touchera rapidement les marchés boursiers, en raison de la manière dont elle facilite et sécurise le processus lié à la compensation, au règlement et à l’enregistrement des opérations de paiement et des transactions sur titres et sur dérivés.

Le Nasdaq a d’ailleurs utilisé la technologie blockchain avec succès en décembre 2015 dans le cadre d’une émission d’actions, réduisant notamment le délai de règlement de l’opération de quelques jours à quelques minutes. Robert Greifeld, directeur général de Nasdaq, a qualifié la démarche «d’avancée majeure dans le secteur financier mondial».

Pour sa part, le Japan Exchange Group, qui opère le Tokyo Stock Exchange and Osaka Securities Exchange, a tiré des conclusions plutôt positives d’une expérience qui intégre la technologie blockchain à l’infrastructure du marché des capitaux, menée d’avril à juin 2016. Le groupe de recherche a notamment conclu qu’il n’y avait aucune raison de limiter l’application de la technologie blockchain à la cryptomonnaie et qu’elle pouvait certainement être mise à profit à titre de processus simplifié sur le marché des valeurs mobilières

Carolyn Wilkins, première sous-gouverneure de la Banque du Canada, a soutenu en juin dernier «que les possibilités qu’offre la technologie du grand livre partagé sont plus nombreuses pour les applications non liées à la monnaie numérique».

Celle-ci évoquait l’observation de scénarios d’essai liés aux paiements et aux processus post-transaction, dont la compensation et le règlement d’instruments financiers comme les opérations de pension, les obligations, les produits dérivés et les actions.

Il faut dire que les expérimentations impliquant la technologie blockchain par l’industrie financière mondiale ne manquent pas. À l’instar de Goldman Sachs et de BNP Paribas, un regroupement d’institutions comprenant UBS, Deutsche Bank, BNY Mellon et Santander, ont annoncé en septembre leur intention de lancer une monnaie électronique dans le but d’éviter le transit habituel par un réseau de paiement interbancaire lors d’échanges de titres et de transfert des fonds.

De même, une soixantaine d’institutions financières mondiales, incluant Barclays et Citigroup, sont parties prenantes du consortium R3, dont la mission consiste à évaluer et à expérimenter le potentiel de la technologie blockchain dans le domaine bancaire et financier.

La Banque du Canada, en collaboration avec Paiements Canada et les grandes banques canadiennes, est aussi partie prenante du consortium R3. Elle a également amorcé un projet expérimental concernant les paiements interbancaires, qui «vise à mieux comprendre la technologie du grand livre ouvert : quels sont les avantages, les coûts et les défis de l’utilisation d’une telle technologie en ce qui a trait à un système de paiement», indique Martin Bégin, consultant principal en relation avec les médias à la Banque du Canada. (Voir le texte ci-dessous)

Une version numérique du dollar canadien, le CAD-coin, a été développée et est utilisée comme actif simulé dans le cadre du système de paiement interbancaire présentement testé.

Une question de sécurité

La possibilité de réaliser des transactions financières ultrasécurisées à travers des bases de données partagées est l’un des principes sur laquelle repose la technologie blockchain, et elle ne manque pas de séduire les banques et les assureurs.

«C’est comme un livre de compte tenu par tout le monde. Il est infalsifiable, car si on veut changer une transaction, il faut la changer en même temps chez tout le monde», illustre Alexandre Stachtchenko, cofondateur du site d’information «Blockchain France», cité par L’Orient du jour.

Les utilisations actuelles de la technologie, comme le bitcoin, semblent résister aux cyberattaques. Néanmoins, plus de travail doit être fait à ce chapitre, puisqu’une cyberattaque sur un système de paiement pourrait avoir des conséquences importantes, indique Martin Bégin.

De fait, Chadi Habib estime que si la technologie blockchain paraît sécuritaire en raison de la nature même de son architecture, il n’en va pas de même de la sécurité des sociétés intermédiaires qui y ont recours. «Les sociétés qui utilisent la technologie blockchain rajoutent d’autres couches de technologie, et il faut s’assurer que ces autres couches soient aussi sécuritaires pour nos membres et clients que la chaîne de blocs elle-même.»

Chadi Habib cite l’exemple de la chaîne de blocs Ethereum, dont l’application DAO a été visée par des cybercriminels qui sont parvenus, en juin, à «compromettre non pas les couches technologiques blockchain, mais celles au-dessus de la blockchain, et à effectuer un transfert non légitime estimé à 50 M$».

La Banque du Canada est d’avis que la technologie du grand livre partagé n’est pas encore suffisamment au point pour pouvoir être utilisée dans un grand système de paiement. Selon elle, de nombreux obstacles restent à surmonter, et outre la cyber sécurité, il reste à résoudre certaines questions «comme les mécanismes de consensus, la confidentialité des données, la méthode de gouvernance, les normes et protocoles, en plus de s’assurer qu’il y ait une base juridique solide», résume Martin Bégin.

Desjardins, qui mène aussi des expériences relativement à différentes applications de la blockchain, a également choisi de ne pas utiliser cette technologie pour l’instant. Notamment, elle ne veut pas que les données relatives à ses membres, clients et employés, quittent la juridiction canadienne.

«L’utilisation d’une solution de type blockchain implique qu’il faut accepter que toutes les informations relatives aux transactions, aux membres et aux employés qui sont contenues dans l’application, bien que cryptées, vont potentiellement être partagées à la fois dans une ville en Chine, dans une autre au Brésil, dans une autre aux États-Unis, ainsi que dans quantités d’autres juridictions légales. Il faut alors déterminer si on peut accepter ça ou non, et comment il est possible de protéger ces informations», interroge Chadi Habib.

Les innovations technologiques et leurs impacts sur le secteur financier doivent être mieux compris, estime Louis Morisset, président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers.

«Que ce soit les chaînes de blocs (blockchain) utilisées pour la cryptomonnaie, ou à d’autres fins par les Bourses ou les chambres de compensation, il faut qu’on arrive à bien comprendre ce phénomène pour s’assurer ultimement que si les innovations technologiques s’appuient dessus, notre environnement règlementaire sera en mesure d’y répondre», signale-t-il.