Apparence de contradiction à l'AMF
Peter Gudella / Shutterstock

Louis Morisset, PDG de l’AMF, n’a laissé planer aucun doute à ce sujet lors du 10e Rendez-vous annuel de son organisation, le 16 novembre. «Il est clair qu’un consensus absolu est impossible à atteindre, mais le moment viendra où il faudra trancher et offrir à l’industrie et au public des orientations précises», a-t-il dit.

«Nous considérons que les transactions en ligne dans le domaine de l’assurance pourraient se faire, sans l’intervention d’un représentant, et sans conseil», a-t-il ajouté. Il précise toutefois que la décision définitive revient au ministère des Finances du Québec.

Louis Morisset a tenu à souligner que des conditions précises seront prescrites. Parmi celles-ci, on trouve l’obligation de fournir aux consommateurs des outils d’évaluation adéquats et l’accès aux conseils d’un représentant certifié, le cas échéant.

«Si on en venait à conclure que des produits trop complexes sont offerts et que le consommateur risque sérieusement de ne pas être en mesure de faire une auto-évaluation adéquate, nous devrons avoir la capacité d’intervenir», a ajouté le dirigeant de l’AMF.

«Mais pour le moment, nous avons la conviction qu’avec ces orientations, le juste équilibre recherché entre le développement ordonné du marché et la protection du public serait atteint.»

Pas de dispense pour les placements

Cela tranche avec la position plus rigide des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) – dont l’AMF fait partie – à l’égard de l’intervention d’un représentant dans la vente de placements en ligne.

Dans l’avis 31-342 du personnel des ACVM destiné aux gestionnaires de portefeuille, on rappelle expressément qu’il n’existe aucune dispense des conditions d’inscription habituelles pour les gestionnaires relativement aux «conseils en ligne».

L’avis précise qu’il incombe à un représentant «physique» de déterminer si l’information recueillie suffit à évaluer la convenance des placements pour un client.

Les ACVM soulignent que les conseillers en ligne canadiens ne sont pas des conseillers-robots semblables à ceux qu’on trouve aux États-Unis, où aucun représentant n’intervient. Les ACVM n’ont autorisé à ce jour que des gestionnaires en ligne qui offrent des produits simples, soit les fonds négociés en Bourse, des fonds de placement sans effet de levier et des placements en espèces ou en quasi-espèces.

Produits simples ou complexes ?

À l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), on préfère attendre un peu avant de porter un jugement sur les positions de l’AMF.

«Je crois qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions et pour faire une vraie comparaison entre l’encadrement de la vente en ligne de produits d’assurance et de produits de placement», dit Lyne Duhaime, la nouvelle présidente de l’ACCAP au Québec.

«D’après l’intervention de Louis Morisset lors du Rendez-vous annuel, on comprend que l’AMF est ouverte à l’idée de la vente par Internet des produits d’assurance, mais à certaines conditions. Il est donc probablement prématuré de commenter les distinctions qui seront faites entre différents produits financiers», ajoute-t-elle.

À l’AMF, on a une réponse. «C’est simple, dit le porte-parole, Sylvain Théberge. Dans le cas du robot-conseil, le recours à un gestionnaire « physique » demeure obligatoire. Pour ce qui est de la vente par Internet, nous jugeons que pour certains produits assez simples, le tout pourra se faire sans l’intervention systématique d’un représentant, comme c’est le cas déjà pour des produits comme l’assurance automobile.»

«Toutefois, des outils d’auto-évaluation pour le consommateur seront en place, et au besoin, ce dernier pourra toujours se tourner vers un conseiller», précise-t-il.

Scepticisme

L’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF) semble rejeter ce point de vue.

Dans son rapport déposé lors des consultations sur la Loi sur la distribution des produits et services financiers tenues par le ministère des Finances, l’APCSF se montre très critique : «Les membres de l’ACCAP, pour des raisons économiques évidentes, ont consacré peu de ressources financières à la formation et au développement de leurs réseaux de vente et de distribution avec des conseillers détenant un permis d’exercice».

«Plusieurs assureurs membres de l’ACCAP ne possèdent aucune force de vente, ajoute l’APCSF. À cause du départ à la retraite de 2 500 conseillers en sécurité financière d’ici cinq ans, Internet devient pour certains membres de l’ACCAP une planche de salut pour maintenir leur volume d’affaires.»

Joint par Finance et Investissement, le président de l’APCSF, Flavio Vani, venait tout juste de recevoir un appel d’un assureur ontarien qui sollicitait des clients par Internet. Cette entreprise lui offrait d’aller rencontrer un client joint par Internet pour conclure la vente.

«J’aurais vendu la police avec le nom de mon agent général, mais on me demandait d’inscrire leur numéro dans le contrat, explique Flavio Vani. Il [l’assureur ontarien] aurait pris 60 % de la commission, mais c’est moi qui aurais offert le service et qui aurais été responsable», s’indigne-t-il.

«Comment l’AMF fera-t-elle pour déterminer ce qui est complexe et ce qui ne l’est pas ? Une assurance temporaire 10 ans sera simple, mais pas une temporaire 20 ans ?» dit-il, sarcastique.

Flavio Vani cite l’exemple suivant : «Imaginez deux associés qui prennent une police d’assurance vie pour garantir un prêt hypothécaire. Si l’un des partenaires décède, l’assurance sera versée directement à la banque et non à sa famille. L’autre associé devra emprunter de nouveau sur l’immeuble pour rembourser les héritiers de l’associé défunt, sauf que ceux-ci devront alors payer l’impôt sur le gain en capital qu’ils auraient peut-être évité autrement». «Est-ce qu’un conseiller, derrière un écran d’ordinateur, pourra leur expliquer cela à distance ? Pourtant, c’est un produit qui semble simple.»

La Chambre de la sécurité financière (CSF) est elle aussi sceptique. «Je veux bien reconnaître que la technologie apporte de nouveaux moyens qui permettront aux représentants de mieux faire leur travail», explique la présidente, Marie Elaine Farley. Cela dit, elle aussi se demande comment on réussira à départager les produits simples des produits complexes.