Un homme d'affaires explique quelque chose dans un comité.
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Alors que la sensibilisation du public au racisme systémique anti-noir semble avoir atteint un niveau sans précédent, beaucoup de gens espèrent voir le secteur des investissements se diversifier davantage sur le plan racial.

Les meurtres d’Ahmaud Arbery, de Breonna Taylor et de George Floyd au début de l’année ont déclenché des protestations dans le monde entier. Des chefs d’entreprise – dont des centaines au Canada – promettent maintenant de nommer davantage de Noirs à des postes de direction.

L’urgence du changement s’est étendue au secteur de l’investissement également. Toutefois, pour stimuler la diversité, il faudra plus qu’une simple mise à jour des politiques d’embauche des entreprises, estime Dennis Mitchell, PDG et directeur des investissements de Starlight Investments Capital LP, à Toronto.

« Comme le monde commence à le constater, les Noirs et les autres minorités visibles sont détournés de ce type de carrière dès la maternelle », explique Dennis Mitchell.

Il cite une étude cinglante de février 2020 du Conseil scolaire du district de Peel, en Ontario, qui a révélé que les élèves noirs et les élèves d’autres origines raciales étaient systématiquement dissuadés, dès le secondaire, de poursuivre leur cheminement scolaire au niveau universitaire. Il note que les Noirs sont souvent « éliminés » des carrières dans la finance des années avant leur entrée dans la vie active.

« Vous avez une situation dans laquelle le groupe de personnes qui progressent vers ces carrières ne représente pas les communautés qu’elles prétendent servir », souligne Dennis Mitchell.

Les entreprises de services financiers peuvent avoir les meilleures intentions pour embaucher une main-d’œuvre diversifiée, mais l’omniprésence du racisme systémique dans le système scolaire pose des défis qui ne peuvent être surmontés par les seules politiques d’embauche, soutient Dennis Mitchell

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« Le refrain est toujours ‘‘Nous recrutons dans les meilleures écoles’’, mais les étudiants qui y sont envoyés ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population », ajoute-t-il.

Le problème n’est pas unique à Peel. Un rapport de 2017 rédigé par Carl James, professeur à la faculté d’éducation de l’université de York et responsable de l’action positive, de l’équité et de l’inclusion de cette université, a noté que seulement 53 % des élèves noirs du secondaire relevant de la juridiction du conseil scolaire du district de Toronto étaient inscrits à des cours « académiques » (c’est-à-dire de niveau universitaire) – contre 81 % des élèves blancs et 80 % des élèves d’autres origines raciales.

En juillet, le gouvernement de l’Ontario a annoncé son plan pour mettre fin à la pratique controversée du « streaming » – qui consiste à canaliser les étudiants vers des cours académiques et « appliqués » (c’est-à-dire vers l’université et le lieu de travail) – d’ici septembre 2021, dans un effort pour combattre le racisme systémique. Mais stopper cette pratique ne mettra pas nécessairement fin au racisme dans les écoles, prévient encore Carl James.

« C’est un premier pas, mais il y a beaucoup d’autres choses qui sont nécessaires si vous voulez vraiment vous attaquer au problème du racisme systémique anti-noir », dit Carl James. Vous pouvez mettre fin au streaming « officiellement », mais le principe sous-jacent apparaît sous d’autres formes.

L’un de ces aspects est ce que James appelle « le racisme des faibles attentes ». Ses recherches ont montré que les enseignants de Toronto s’attendent régulièrement à ce que les élèves noirs aient de mauvais résultats et se montrent souvent méfiants lorsqu’ils réussissent en classe.

« Après la disparition de la pratique du streaming, est-ce que j’irai en classe et verrai les étudiants noirs être représentés proportionnellement dans les programmes académiques destinés à l’université ? » se questionne Carl James.

En plus de créer un terrain de jeu inégal dans le système scolaire, le racisme systémique entraîne des désavantages économiques pour les Noirs vivant au Canada.

Les données du recensement de 2016 ont révélé que 23 % des Noirs au Canada étaient des personnes à faible revenu, contre 12 % des Blancs. Les Noirs étaient également plus susceptibles d’être au chômage, soit 12,5 %, contre 7,7 % des Blancs.

Jackie Porter, partenaire et planificatrice financière chez Carte Wealth Management Inc. de Mississauga, en Ontario, affirme qu’un « effort total » doit être fait pour introduire des programmes d’éducation financière dans toutes les communautés, y compris dans les quartiers à faible revenu.

Jackie Porter a mis en place des programmes financiers parascolaires pour les enfants fréquentant des institutions scolaires desservant des communautés à risque. Ces programmes de huit semaines initient les élèves aux concepts de la gestion de l’argent.

« J’ai fait beaucoup de programmes d’éducation financière pour les jeunes enfants, et je vois le niveau d’excitation qu’ils ont quand nous parlons d’argent, de buts et de visions pour l’avenir, dit-elle. Peu de gens ont ce genre de conversations avec eux. »

Elle-même affirme n’avoir découvert la planification financière qu’à l’âge adulte. L’idée de faire travailler l’argent pour elle était « révolutionnaire ». « J’étais très reconnaissante d’avoir cette première conversation d’argent avec une femme de couleur. Le simple fait de voir quelqu’un qui me ressemblait et qui était dans la finance m’a beaucoup encouragée », ajoute-t-elle.

Ceux qui espèrent un changement dans le secteur des investissements peuvent être encouragés par le mouvement « Black Lives Matter » – bien que les effets durables de ce mouvement restent à voir.

En avril 1992, lorsque quatre officiers de police de Los Angeles ont été acquittés après avoir brutalement agressé Rodney King, des émeutes ont éclaté dans les rues. Plus d’un quart de siècle plus tard, peu de choses ont changé : les gens protestent toujours contre la brutalité policière à l’encontre de la communauté noire.

Les choses seront-elles différentes cette fois-ci ? « La preuve sera faite dans un an ou deux, déclare Colin Lynch, vice-président et directeur des investissements immobiliers mondiaux chez TD Asset Management Inc. à Toronto. Je suis une personne pleine d’espoir, alors j’espère que cette fois-ci, les choses seront vraiment différentes. Ce qui la rendra différente, c’est une action soutenue dans toute la société ».

Des mouvements tels que Black Lives Matter, note Colin Lynch, ont tendance à « s’élever puis à s’effacer de la conscience publique » au fil du temps. Lui-même se dit encouragé par les promesses que font les dirigeants d’entreprises canadiennes de s’attaquer au racisme systémique anti-Noir, mais « les actes sont plus éloquents que les mots ».

« En fin de compte, créer un changement positif comme essayer d’éliminer le racisme systémique est un marathon ; ce n’est pas un sprint, commente Colin Lynch. Nous tous dans la société, y compris ceux qui travaillent dans l’industrie de l’investissement, devrions être conscients de ces problèmes l’année prochaine et l’année d’après – et ne pas nécessairement présumer que l’attention portée aujourd’hui résout le problème. »

Selon Dennis Mitchell, le climat actuel est plus propice au changement que celui de 1992. Les médias sociaux, par exemple, ont porté à la connaissance de tous l’expérience commune des Noirs.

« Je pense qu’il y a 28 ans, le monde n’était pas prêt, argumente-t-il. Je ne pense pas qu’il y avait une masse critique de personnes en dehors de la communauté noire qui comprenaient les problèmes auxquels nous sommes confrontés au quotidien et qui étaient prêtes à accepter que ces choses changent. »

Les vidéos largement diffusées de policiers tuant George Floyd ont peut-être fait comprendre ce point à des personnes qui n’étaient pas au courant du racisme systémique, déclare Jackie Porter : « Il y a quelques années, beaucoup de gens qui n’étaient pas bruns ou noirs et qui ont regardé les émeutes de Rodney King n’ont pas vraiment compris la colère, car ils n’ont pas vu l’humanité de cet homme lui être littéralement enlevée sous leurs yeux ».

Dennis Mitchell pense qu’il y a maintenant « assez de réveil à Bay Street » pour que les gens du secteur de l’investissement comprennent la nécessité de changer.

Mais ce changement ne se fera pas du jour au lendemain.

Vous ne pouvez pas vous contenter de dire : « Je vais embaucher cinq Noirs et dix autochtones au hasard et, presto, j’aurai une main-d’œuvre diversifiée, dit-il. Vous devez vous engager à long terme à recruter ces personnes dans leurs communautés, à les intégrer dans vos organisations, à les inclure dans votre culture et à les faire progresser naturellement ».