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À une époque où les questions de relève deviennent plus pressantes que jamais, le transfert de blocs d’affaires représente une transaction cruciale. Or, le ­Pointage des courtiers québécois de 2023 montre une méconnaissance de la part de certains conseillers à l’endroit des programmes de leurs firmes pour appuyer cette transaction dans laquelle les préoccupations humaines priment sur les mécanismes financiers.

Une question du ­Pointage demandait aux conseillers d’accorder une note à leur firme pour son programme de transfert de bloc d’affaires à la relève. Si la plupart des répondants ont bel et bien donné une note, leurs commentaires laissent souvent croire que c’est un sujet dont leur firme ne se préoccuperait pas, ou peu.

« ­Nous sommes essentiellement laissés à ­nous-mêmes. Très décevant », commente par exemple un conseiller d’âge mûr à propos de la retraite. « ­Il n’y a rien en place et c’est pourquoi je ne suis pas satisfait », déplore un second, d’un autre courtier. « C’est comme les ovnis : on en parle et on ne les voit jamais ! », lance un vétéran d’une troisième firme.

Souvent, dans la même firme, d’autres avis contredisent ces critiques. Ceci laisse croire, de la part des firmes, à une livraison de service inégale auprès des conseillers ainsi qu’à des défis sur le plan des communications. « ­Nous avons acquis un bloc d’affaires en 2020 et le soutien tant pour l’acquisition que pour la transition a été exemplaire », affirme ainsi un autre conseiller d’expérience.

Évidemment, les notes accordées sont majoritairement positives : 52 % des répondants ont donné une note de 9 ou 10 sur 10 et seulement 14 % des répondants ont noté 6 ou moins. Cela fait en sorte que la moyenne de 2023, à 8,1, marque une hausse par rapport à celle de 7,9 en 2022. Ceux qui affichent une satisfaction à l’endroit du programme de transfert de bloc le font parce que la structure les encadre bien et que le financement est au ­rendez-vous. Les insatisfaits jugent qu’un programme d’aide au transfert est inexistant ou que l’approche est inadaptée, qu’elle manque de flexibilité ou qu’elle est injuste pour les conseillers de la relève.

« ­La firme favorise l’absorption des blocs d’affaires des conseillers qui quittent par de gros conseillers plutôt que d’aider les plus petits conseillers », dit un sondé.

Simon Lemay, premier ­vice-président et directeur national pour le Québec et l’Atlantique à la Financière Banque Nationale (FBN), est dérouté par les commentaires négatifs. « J’ai été surpris d’apprendre ça. Pourtant, on a un super beau programme pour les jeunes. On a réussi à réduire l’âge moyen de nos conseillers, alors qu’il est en hausse dans l’industrie. »

D’emblée, on a tendance à penser que cette mauvaise opinion de la part des conseillers prévaut surtout chez les jeunes. « ­Ceux qui méconnaissent notre programme doivent être ceux qui sont tout récemment arrivés dans la firme », estime Simon Lemay. Conclusion erronée : les notes plus faibles proviennent presque entièrement de conseillers de plus de 50 ans. Les jeunes, pour une grande majorité, accordent des notes de 8 et plus !

Corrigeons toute fausse impression : la note générale accordée à ­FBN pour les transferts de blocs d’affaires, à 8,7, est élevée et se situe parmi les plus hautes de l’industrie.

Jean Morissette, consultant spécialiste de l’industrie du courtage de plein exercice, fait ressortir le paradoxe précédent : « ­Il y a des représentants qui sont rendus à 65 ans et qui n’ont jamais pensé à leur relève. C’est plus souvent le cas chez les courtiers indépendants, et c’est plus grave dans leur cas parce qu’ils n’ont pas derrière eux une grosse entreprise qui peut prendre le relais. »

On pourrait présumer que, parfois, les conseillers se jugent immortels ou procrastinent. En tous cas, ils sont bien vissés en place, reconnaît ­Micol Haimson, ­vice-présidente principale et directrice nationale, ­Groupe gestion privée chez ­Raymond ­James. « ­Les conseillers adorent leur carrière et ne veulent pas prendre leur retraite, ­dit-elle. Et on n’est pas dans une industrie où on a un âge de retraite forcée. »

Valeurs mobilières Desjardins (VMD) est au courant du problème de méconnaissance des programmes de transfert. En effet, « il y a quelques années, on a senti le besoin d’avoir un programme très clair pour diffuser l’information, affirme David Lemieux, ­vice-président et directeur général de VMD. On a parlé à nos conseillers plus près de la retraite et on a fait un sondage auprès des plus jeunes pour connaître leurs préoccupations. Chez les plus âgés, même s’ils sont dans le métier depuis 30 ans, ça ne veut pas dire qu’ils connaissent le processus. »

Un programme réussi de transfert de bloc d’affaires requiert quelques incontournables. D’abord, « il faut planifier un transfert longtemps d’avance, insiste Jean Morissette. Tu ne le mets pas en branle six mois avant, sinon c’est la catastrophe assurée. Dans bien des cas, les gens attendent trop longtemps et là, il y a de nombreux problèmes qui surviennent, des problèmes de santé surtout ».

Simon Lemay abonde dans le même sens : « ­Il ne faut pas attendre que la maladie s’installe. Même les conseillers qui ont de 30 à 40 ans devraient avoir un bon plan de relève en place de façon à permettre une belle transition pour les clients. »

Une composante majeure d’un transfert réussi, juge Jean Morissette, tient à la présence continue du vendeur du bloc d’affaires après la transaction pour assurer le passage harmonieux de ses clients vers le nouveau représentant. Or, si le transfert a trop tardé, la présence du vendeur et le transfert peuvent justement être compromis par des problèmes de santé.

Une option à considérer de plus en plus, soulignent Jean Morissette et David Lemieux, est le morcellement d’un bloc d’affaires pour en vendre des parties à différents acheteurs. « C’est une tendance qu’on risque de voir plus fréquemment au cours des prochaines années », prévoit le second.

L’idée est de vendre des sections d’un portefeuille par affinité, explique le premier : par exemple, réserver à un conseiller plus jeune les clients plus axés vers des produits de pointe, comme les fonds négociés en ­Bourse (FNB) et les produits non traditionnels, et confier à un autre une clientèle plus concentrée dans une certaine région géographique.

Pour éveiller davantage les conseillers à l’importance du transfert, un répondant fait cette suggestion : « ­Une fois par année, une évaluation de notre bloc d’affaires devrait nous être remise [systématiquement]. »

Dollars et valeurs humaines

Les modes de financement dans les ventes et achats de blocs d’affaires gagnent en souplesse, juge David Lemieux. « ­On fait face à un défi : veiller à ce que ce ne soit pas toujours les plus gros qui achètent les portefeuilles, de façon à maintenir la jeunesse de notre organisation. On ne peut pas le forcer, mais on peut le favoriser. » ­Ainsi, pour un prêt plus substantiel consenti à un acheteur plus jeune, VMD, à titre de prêteur, va accorder des périodes de financement plus longues. « ­Si je ne favorise pas des échéances plus longues, le plus petit conseiller ne pourra pas acheter un bloc », ­ajoute-t-il.

À la FBN, on pratique trois différents types de programmes de financement ajustés à trois contextes différents. Outre la vente classique d’un bloc par un vétéran, la FBN, par exemple, va aider un jeune à acquérir une partie de clientèle, disons un bloc de 20 %, de façon à lui permettre de devenir partenaire de l’équipe à laquelle il est intégré. Un troisième modèle ne vise pas une telle intégration, mais aide un conseiller à faire l’acquisition d’un segment de clients dont un autre conseiller veut se départir.

Évidemment, le transfert d’un bloc d’affaires implique d’autres dimensions, que la direction de FBN aide à évaluer : établir la juste valeur d’un bloc, qualifier les clients et les conseillers acquéreurs de façon à assurer un appariement optimal, communiquer le transfert aux clients de manière à ce qu’ils perçoivent l’arrivée d’un nouveau conseiller comme une valeur ajoutée.

Car, ­au-delà des considérations financières et techniques, le transfert d’un bloc d’affaires est d’abord une affaire humaine, insiste David Lemieux. « ­Avant tout, c’est un défi d’humains qui sont engagés dans une transition. Avoir le bon mariage, être certain que les clients vont être entre bonnes mains, c’est un défi plus grand que la transaction financière. »

Tout est une question de valeurs, ­note-t-il, car un acheteur qui ne partagerait pas les mêmes valeurs avec un conseiller vétéran peut rendre la transition difficile. « C’est là que le directeur a un rôle majeur à jouer pour trouver le bon acheteur. Après ça, trouver les conditions pour mener la transition, c’est facile. »

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