L'indépendance menacée ?
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«Nous avons une stratégie audacieuse d’acquisition. Non seulement du côté des AG, mais aussi de membres de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels», explique John Hamilton. Une filiale du GFH permet entre autres d’acheter les blocs d’affaires de représentants sans succession.

«Nous avons un très bon soutien de GWL et ils nous fournissent un budget pour faire des acquisitions», note-t-il, soulignant que sa firme est très rentable.

L’entreprise est au premier rang des AG au Canada sur la base des équivalents de primes annualisées, d’après un rapport récent d’Investor Economics. Son chiffre d’affaires provient à 40 % de l’assurance et à 60 % des produits d’investissement, des proportions qui perdureront selon John Hamilton. Le GFH compte actuellement 360 employés, et atteindrait probablement 600 employés en 2020, d’après lui.

Comme d’habitude

Le nouveau propriétaire souhaite maintenir l’indépendance du GFH. Cet AG continuera d’exercer ses activités en suivant sa propre gouvernance et avec son propre conseil d’administration. «Nous reconnaissons l’importance de l’indépendance du Groupe Financier Horizons et nous sommes heureux du fait que son équipe de direction actuelle demeurera en place et continuera de diriger l’entreprise», a mentionné Stefan Kristjanson, président et chef de l’exploitation, Canada, de Great-West, dans un communiqué.

John Hamilton a beau affirmer que «les affaires se poursuivront comme d’habitude» pour ses conseillers, certains en doutent.

«Est-ce qu’il y aura une vraie muraille de Chine [entre GWL et GFH] ? Par expérience, une telle muraille est fragile. Quand ton actionnaire parle, tu dis : « Oui, monsieur ! »«, estime Michel Mailloux, président de Deontologie.ca. Selon lui, «ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle quand on concentre trop l’industrie».

GWL et GFH peuvent bien dire que rien ne changera, cela n’arrivera pas, anticipe Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, un concurrent de GFH. Le risque est grand qu’apparaissent des changements de direction ou l’imposition de quotas de vente de produits maison, selon lui. «Il faudrait être naïf pour penser que ce n’est pas une façon de vendre plus de produits maison», dit Gino Savard, qui prévoit que les conditions de travail des conseillers se détérioreront.

Un AG détenu par un assureur peut orienter le comportement d’un représentant directement, en majorant les bonis de vente de produits maison. Il peut aussi le faire indirectement, en lui imposant des quotas de vente, en remboursant ses dépenses de bureau s’il atteint une cible de vente ou en réduisant certains frais administratifs facturés aux clients lorsque ces derniers achètent des produits maison.

Or, John Hamilton est catégorique : les conseillers resteront indépendants, ils n’auront jamais de contraintes à la vente. «Pour que la transaction soit approuvée par le Bureau de la concurrence, nous devons rester indépendants. De plus, nous n’aurons pas accès aux produits de la London Life et de la Great-West», dit-il.

Imposer des contraintes au GFH irait à l’encontre de sa raison d’être, frustrerait assureurs et conseillers avec qui l’AG mène ses activités et mettrait à risque l’argent investi par GWL, selon John Hamilton.

Un AG peut être la propriété d’un assureur sans que celui-ci influence ses activités, estime Christian Laroche, président d’Aurrea Signature. Humania est propriétaire majoritaire d’Aurrea et de sa filiale Pro Vie assurances.

«On a toujours fonctionné de manière indépendante. En 15 ans, on a pu prouver qu’on est capables», soutient-il. Christian Laroche note qu’il a déjà été en concurrence avec son propriétaire lors de soumissions d’un client.

Il reste qu’au fil des ans, Pro Vie, et maintenant Aurrea, a été l’AG qui distribuait parmi les plus importants volumes de primes d’Humania.

Christian Laroche ne croit toutefois pas que GWL va orienter les ventes des conseillers : «Ça serait la fin du cabinet. Ils n’ont pas intérêt à le faire.» Il reconnaît toutefois qu’en général, il y a un risque qu’un AG devienne «un réseau carrière déguisé».

Symptôme d’autres maux

Quoi qu’il en soit, le secteur de la distribution des produits financiers se consolide et les assureurs sont au rang des acheteurs depuis plusieurs années. iA Groupe financier a multiplié ses acquisitions depuis le début des années 2000 et d’autres assureurs l’imitent.

La vague de consolidation semble davantage un symptôme de différents maux qui affligent l’industrie.

D’abord, les dirigeants d’AG vieillissent, sentent l’appel de la retraite, mais ils n’ont pas toujours de succession, observe John Hamilton.

«S’ils n’ont pas de relève, ils vont prendre le gros chèque», dit Gino Savard. Selon lui, les récentes acquisitions engendrent une surenchère, ce qui restreint les acheteurs à ceux qui ont les poches les plus profondes, comme les assureurs.

Ensuite, l’assurance est un secteur où les volumes de transaction importent de plus en plus, ajoute Gino Savard. Les assureurs augmentent les cibles de ventes des AG afin que les seconds conservent leur contrat avec les premiers.

«Je dois produire de 15 à 18 M$ de nouvelles primes par année pour maintenir mon volume avec les assureurs. L’an dernier, on en a produit pour 13,5 M$», admet Christian Laroche.

De plus, le courtage coûte de plus en plus cher, étant donné les frais de conformité, de technologies, de suivi des nouvelles affaires, de formation et de développement des affaires, note Christian Laroche : «La bonification des [conseillers] est très onéreuse. La marge bénéficiaire est très mince pour les cabinets.»

«Avoir accès à du financement et à un actionnaire solide, c’est quasiment un impératif», estime-t-il.

Cette pression sur les coûts fragilise les petits AG. «Pour maintenir le contrat qu’ils ont avec trois ou quatre assureurs, parce qu’ils ne sont pas assez gros, des AG vont donner une grosse partie de la rémunération au conseiller et ne se garder à peu près rien. Lorsqu’on les examine, on s’aperçoit que leur structure est déficiente. Il n’y a pas de conformité», illustre Christian Laroche.

Les coûts croissants de conformité poussent donc les propriétaires d’AG à accrocher leurs patins. «Plusieurs des petits AG n’ont pas investi dans la conformité, et maintenant ils se font rattraper. Ils ne sont pas capables de se payer les frais de conformité, et il est logique de vendre leur entreprise ou de se joindre à nous», dit John Hamilton.

«On traverse une tempête de conformité. Il faut être fait fort pour continuer à se battre. Si je n’avais pas de relève, je ne penserais pas de la même façon», note Gino Savard.

Les compagnies d’assurance ne veulent plus avoir à composer avec 100 AG au Canada, selon John Hamilton : «Elles préféreraient travailler avec 30 ou 40 AG, dont une demi-douzaine d’acteurs majeurs et les autres, des régionaux.»

Depuis l’acquisition du GFH, les autres AG reçoivent davantage d’appels de conseillers du GFH et cela devient une occasion de maraudage pour les AG concurrents. Malgré cette occasion, Gino Savard ne veut plus davantage de consolidation : «Je ne veux pas rester seul comme indépendant et me battre contre des multinationales.»