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La richesse des individus dans le monde, calculée en quantité d’actifs financiers, demeure encore extrêmement déséquilibrée, tandis que certains développements positifs semblent compromis.

Un fait divers montre comment la dynamique de l’argent se transforme. En 2022, selon un rapport de la firme britannique Henley & Partners, l’immigration d’individus fortunés (1 M$ +) a plongé de 86% aux États-Unis.

Ainsi, l’afflux annuel net d’individus argentés est passé de 10 800 avant la pandémie à seulement 1 500 en 2022. Les motifs de départ abondent : polarisation politique croissante aux États-Unis, inégalités sociales, fiscalité plus lourde.

Henley & Partners prévoit que la bougeotte des gens fortunés ne fera que croître en 2023 : 125 000 millionnaires vont émigrer à l’international, presque le double du nombre qu’on a vu en 2015. À l’image des « nomades virtuels » qui squattent diverses destinations de choix dans le monde sans jamais s’enraciner, le grand argent est lui aussi plus nomade et apatride que jamais.

Par contre, les destinations des millionnaires américains ne sont pas nécessairement celles de leurs pairs étrangers. Les Émirats Arabes Unis ont constitué le pays de choix, avec 4 000 arrivants fortunés, suivis de l’Australie (3 500 arrivants), Singapour (2,800) et le Canada (2 500).

L’inégalité se redistribue

L’année 2021 a marqué un virage dans la cartographie mondiale de la richesse. Par exemple, en 2000, le portrait était encore relativement simple, selon le dernier Allianz Global Wealth Report. En 2001, 99 % de la classe argentée et 62 % de la classe moyenne résidaient dans les économies avancées; en 2021, ces proportions sont passées à 69 % et 46 % respectivement.

Dans cette nouvelle distribution, la richesse totale des régions a beaucoup changé. Toutes classes confondues, la richesse du monde a augmenté de 10,4 % en 2021, atteignant 233 billions d’euros – un peu moins que la dette mondiale de 270 billions d’euros, selon l’Institut International de la Finance. De cette cagnotte, l’Amérique du Nord accapare une portion de 47 %, où le Canada se réserve une part étonnante de 6,1 %. Sans surprise, grâce surtout à la Chine, l’Asie a connu une montée de sept points de pourcentage, se réservant maintenant une part de 20 % du magot.

L’année 2021 marque un point tournant dans l’évolution de la classe pauvre (low wealth class). Depuis 2001, celle-ci a connu une montée de 25 % dans les économies avancées, beaucoup plus rapide que la croissance de 11 % de leur population. Cependant, l’évolution de cette tendance est inversement proportionnelle entre pays en développement et pays développés. Dans les économies émergentes, la classe pauvre a reculé en termes relatifs : alors que la population dans ces économies a crû de 21 %, la classe pauvre a progressé de seulement 12 %.

C’est en Europe de l’Ouest surtout que le bât blesse. La classe pauvre est passée de 105 millions de personnes en 2001 à 140 millions en 2021, la part de cette classe dans la population européenne étant passée de 27 % à 34 %. Cette tendance de fond jette un éclairage particulier sur l’apparition des « gilets jaunes » en France.

Un frein à l’émergence?

Au cours des deux dernières décennies, l’avancée des pays émergents a été spectaculaire. En 2000, l’actif financier per capita était 84 fois plus élevé dans les pays développés; en 2016, ce ratio a atteint un creux de 19, mais il a depuis remonté à 22. Surtout, on a assisté à une montée de la classe moyenne dans les pays émergents, classe qui compte maintenant 700 millions de participants, dont 56 % résident maintenant hors des pays développés, une majorité en Chine.

Cependant, les auteurs du rapport d’Allianz croient que l’avancée des pays émergents sera freinée à l’avenir par trois facteurs majeurs qui diminueront leur apport à l’économie mondiale: la dé-globalisation, la numérisation et la transition énergétique.

Il reste que la classe pauvre gagne en richesse. Alors que cette classe a crû de 13 % depuis 2000, plusieurs de ses membres ont été happés par la classe moyenne qui a progressé de 49 %.

Malheureusement, c’est dans les économies avancées que la pauvreté gagne. On a vu déjà l’appauvrissement qui a sévi en Europe, tandis qu’aux États-Unis on assiste à une éviscération de la classe moyenne et à une concentration de richesse inégalée au sommet. Ainsi, de 2011 à 2021, la part de la classe moyenne dans les actifs financiers nationaux a reculé de quatre points de pourcentage à 25 %, un recul similaire qu’on voit en Inde (malgré des apparences contraires), au Brésil, en Finlande et au Portugal.

Ceci place les États-Unis pas très loin de leur grand adversaire géostratégique, la Russie, où la part de la classe moyenne a reculé de six points de pourcentage, sous la barre de 20 %. À ce niveau, l’idée même de « classe moyenne » devient questionnable, note l’étude d’Allianz, une question qu’on posera vis-à-vis des États-Unis si la tendance dans ce pays se maintient.

Quant à la concentration de la richesse, selon un rapport de Crédit Suisse, les 10 % de millionnaires, ultra-millionnaires et milliardaires aux États-Unis accaparent 69,4 % du total, les 1 % au sommet, 30,7 %. En bas, où patauge 50 % de la population, la part est de 2,65 %.

Chez ce phare de la démocratie, les chiffres sont très près des abîmes d’inégalité qu’on trouve sur l’ensemble de la planète, où 10 % de la population accapare 82 % de la richesse totale, tandis que 50 % s’arrange avec une part de 1 %. À l’autre extrémité, le 1 % supérieur détient 45,6 % du trésor. Il faut dire que depuis 2000, les inégalités planétaires s’adoucissaient. En 2000, les 10 % nantis tenaient en main 88,8 % de la richesse, les 1 %, 48,2 %. Depuis 2019, la tendance semble se renverser.

À l’apex de la pyramide d’argent, on compte 62,5 millions d’individus dans le monde dont la valeur nette dépasse 1 M $US. Au-dessus de 50 M $US, on en compte 264 200. De cette classe nantie, 30 % loge aux États-Unis, 10 % en Chine, 5 % en France et 4 % au Canada.