Si une prime d’assurance vie est payée avec des liquidités provenant de la société et ayant été imposées à un taux moindre, elle sera moins lourde à supporter pour l’entrepreneur et sa famille.

Pour obtenir chaque dollar utilisé pour effectuer un tel déboursé, la société doit gagner un revenu net avant impôts de 1,23 $ en posant l’hypothèse que tous les revenus de la société sont admissibles à la déduction accordée aux petites entreprises (« DPE »), soit 1 $ / (1 – 19 %). L’entrepreneur doit gagner personnellement un revenu net avant impôts de 2,00 $ en utilisant le taux marginal maximum des particuliers, soit 1 $ / (1 – 49,97 %) pour arriver au même résultat. Compte tenu du fait qu’il est souvent très avantageux de veiller à ce que la société et non l’entrepreneur soit propriétaire des assurances vie, la question suivante se pose rapidement aux conseillers : peut-on faire de même avec les contrats ayant comme assurés le conjoint ou la conjointe de l’entrepreneur et ses enfants?

INTÉRÊT ASSURABLE

Tout d’abord, cette question soulève la notion d’intérêt assurable lors de la souscription d’une assurance. Pourquoi une personne aurait-elle le désir de souscrire une assurance sur la tête de son conjoint et de ses enfants? Selon les articles 2418 et 2419 du Code civil du Québec, le contrat d’assurance individuelle est nul si, au moment où il est conclu, le preneur n’a pas un intérêt susceptible d’assurance dans la vie ou la santé de l’assuré, à moins que ce dernier n’y consente par écrit.

Il y est stipulé qu’une personne a un intérêt d’assurance dans sa propre vie et sa propre santé, ainsi que dans celle de son conjoint, de ses descendants et des descendants de son conjoint ou des personnes qui contribuent à son soutien ou à son éducation. Elle a aussi un intérêt dans la vie et la santé de ses préposés et de son personnel, ou des personnes dont la vie et la santé présentent pour elle un intérêt moral ou pécuniaire. Ainsi, une société contrôlée par l’entrepreneur pourra sans problème souscrire une assurance sur la vie du conjoint ou des enfants ou même des petits-enfants de ce dernier ou acquérir une assurance déjà existante.

Un bon exemple pour illustrer l’utilisation de l’assurance sur la vie de jeunes enfants ou d’un conjoint serait dans le cadre d’un gel successoral en faveur d’une fiducie familiale ayant pour bénéficiaires, notamment, le conjoint et les enfants mineurs de l’entrepreneur. Selon la situation, les enfants pourraient un jour devenir actifs au sein de l’entreprise et souhaiter détenir des actions en leur propre nom. L’attribution d’actions en leur faveur pourrait être une façon d’atteindre cet objectif. Dans la plupart des cas, l’attribution des actions aux bénéficiaires de la fiducie en règlement total ou partiel de leur participation au capital s’effectue sans conséquence fiscale, la fiducie étant réputée avoir disposé de ces biens au coût indiqué et le bénéficiaire étant réputé avoir acquis les biens aux mêmes montants en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »).

Cela signifie donc qu’un jour, les enfants pourraient avoir une facture d’impôts à provisionner. Également, il pourrait être stipulé à l’acte de fiducie qu’au moment d’acquérir les actions, les enfants devront conclure entre eux une convention entre actionnaires. Ces deux raisons justifient la souscription immédiate d’assurance vie sur la tête des enfants. Habituellement, les enfants sont en bonne santé et les taux d’assurance sont intéressants. Il est donc judicieux de leur procurer des protections immédiates qui serviront pour les besoins à venir.

Également, dans un contexte de gel successoral effectué en faveur d’une fiducie familiale, la disposition présumée des immobilisations, amortissables ou non, détenues par la fiducie à la fin du jour qui tombe 21 ans après le jour où la fiducie a été constituée et à la fin du jour qui tombe tous les 21 ans après le dernier jour de disposition par la suite doit également être prise en considération. Plusieurs planifications peuvent être envisagées à cet égard et, dans certains cas, les actions de la société pourraient être remises aux bénéficiaires pour éviter l’application de ces dispositions.

Cela veut donc dire que les enfants pourraient voir leur valeur personnelle augmentée de façon importante. La nécessité de souscrire à de l’assurance vie pour couvrir alors les nouveaux besoins créés par leur statut d’actionnaires serait donc réglée, si les parents ont pris soin de souscrire les assurances au préalable à des coûts intéressants.

RISQUE D’AVANTAGE IMPOSABLE OU D’INCLUSION D’UN MONTANT AUX REVENUS

En avril 2011, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») mentionnait dans le numéro 44 du bulletin Impôt sur le revenu – Nouvelles techniques que le paragraphe 15(1) L.I.R. est applicable lorsqu’une transaction ou une série de transactions entraîne un appauvrissement d’une société et un avantage économique pour un actionnaire et citait la décision Del Grande c. La Reine (93 D.T.C. 133, 137 (C.C.I.)), dans laquelle le tribunal avait indiqué que : « [TRADUCTION] L’alinéa 15(1)c) envisage l’octroi d’un véritable avantage économique à l’actionnaire. Le terme « accorder » sous-entend l’octroi de dons ou de largesses qui procurent un avantage économique au bénéficiaire en entraînant un désavantage économique correspondant pour la corporation. » L’ARC s’est dit d’avis que Filialeco confère un avantage à son actionnaire, Mèreco, en payant les primes relatives à la police d’assurance vie dont Mèreco est le bénéficiaire.

Toutefois, l’ARC a mentionné à plusieurs reprises que lorsque la société est à la fois la propriétaire et la seule bénéficiaire de l’assurance sur la vie de l’un de ses actionnaires et que cette même société supporte les primes y afférentes, aucun avantage n’est conféré à l’actionnaire en vertu du paragraphe 15(1) L.I.R., même si la prime d’assurance vie est non déductible. Revenu Québec a également publié en 1999 un mémoire d’opinion sur la question et considère qu’un particulier dont la vie est assurée en vertu d’une police dont le titulaire et le bénéficiaire est une société dont il est actionnaire ne reçoit aucun avantage au sens de la loi puisqu’il ne détient aucun intérêt dans la police. Il s’agit d’un point de départ intéressant qui permet de croire que, si le conjoint et les enfants de l’entrepreneur sont actionnaires de la société, cette dernière peut souscrire à un contrat d’assurance sur leur vie, dans la mesure où elle en est aussi la bénéficiaire et en supporte les primes, sans engendrer l’application du paragraphe 15(1) L.I.R. Toutefois, plusieurs autres questions peuvent être soulevées.

LES ACTIONS SOUSCRITES DOIVENT-ELLES AVOIR DES CARACTÉRISTIQUES PARTICULIÈRES?

Dans le cadre de l’interprétation technique 2012-0446491E5, datée du 25 juillet 2012, l’ARC a été appelée à commenter une situation où la vie de deux actionnaires, des conjoints, est assurée en vertu d’une police de type « premier décès ». M. A est détenteur des actions avec droit de vote de la société et Mme A détient, par l’entremise d’une société de gestion, les actions privilégiées de la société.

Les faits présentés ne permettent pas de déterminer qui de M. A ou de Mme A détient les actions avec droit de participation de la société. Malgré cela, l’ARC a conclu que le paragraphe 15(1) L.I.R. ne devrait pas s’appliquer à la situation décrite. Les commentaires relatifs à l’application du paragraphe 15(1) L.I.R. impliquent évidemment des situations où les assurés sont actionnaires, directement ou indirectement. Les caractéristiques ou la valeur des actions ne devraient pas modifier les conclusions dans la mesure où la société est à la fois propriétaire et bénéficiaire de la police d’assurance vie pour laquelle elle supporte les primes, autrement nous croyons que l’ARC en aurait fait mention dans ses commentaires ou aurait nuancé sa conclusion.

EST-CE QUE L’ASSURÉ DOIT NÉCESSAIREMENT ÊTRE UN ACTIONNAIRE DE LA SOCIÉTÉ?

Lors de la Table ronde sur la fiscalité des stratégies financières et des instruments financiers tenue au cours du Congrès 2011 de l’Association de planification fiscale et financière, l’ARC a commenté une situation où plusieurs individus qui exercent maintenant leur profession par le biais d’une société professionnelle constituée souhaitent transférer un certificat d’assurance vie temporaire collective qu’ils détenaient à titre d’adhérent et dont le preneur et le titulaire du contrat est une association professionnelle dont l’adhérent est membre (p. 46:1-48, question 11, aux pages 46:34-36). À la suite du transfert, la société professionnelle en aurait payé les primes et aurait été nommée bénéficiaire du produit d’assurance au décès de l’assuré. Sans surprise, l’ARC a mentionné que l’application du paragraphe 15(1) L.I.R. est une question de fait, mais a également ajouté qu’il est possible que les opérations décrites dans la question soient réalisées seulement pour des raisons autres que des raisons d’affaires ou, autrement dit, pour des raisons personnelles (incluant la réduction du fardeau fiscal des particuliers) et qu’il est possible que le paragraphe 15(1) L.I.R. soit applicable, en fonction des faits. La prudence demeure de mise et une raison d’affaires devrait justifier la détention de la police d’assurance vie par la société.

La détermination d’un avantage est une question de fait qui ne peut être résolue qu’après une analyse complète de la situation particulière. Il serait faux d’affirmer que la société qui supporte les primes liées à une assurance vie subit un appauvrissement lorsqu’elle est propriétaire de la police et bénéficiaire du capital-décès. Le fait que les sommes puissent être remises aux actionnaires sans impôts, grâce au compte de dividende en capital, ne change rien à la donne. Dans la mesure où l’assureur constate un intérêt assurable et permet la souscription au contrat d’assurance vie, la détention du contrat à titre d’investissement pourrait à notre avis constituer une raison d’affaires suffisante. Il ne serait donc pas nécessaire que l’assurance ait été souscrite pour couvrir un besoin découlant du statut d’actionnaire de l’assuré.

ET S’IL S’AGISSAIT EN SUBSTANCE D’UNE POLICE PERSONNELLE DE L’ACTIONNAIRE ?

Par ailleurs en 2004, l’ARC avait été appelée à commenter la possibilité d’avantage conféré à un actionnaire relativement aux primes d’assurance vie payées par une société dans un contexte où la police d’assurance aurait pu être considérée en substance comme une police personnelle de l’actionnaire. Selon les faits décrits, la société Opco, une société privée sous contrôle canadien (« SPCC ») exploitant activement une entreprise au Canada est preneur, titulaire et bénéficiaire d’une police d’assurance sur la vie de M. A, détenteur des actions à droits de vote multiples du capital-actions de la société. La société paie les primes relatives à ladite police, mais ne les déduit pas dans le calcul de son revenu aux fins fiscales.

Une fiducie personnelle discrétionnaire détient la totalité des actions avec droit de participation et en circulation du capital-actions d’Opco. Le constituant de la fiducie est une tierce partie et les fiduciaires sont M. A et son comptable. Les bénéficiaires de la fiducie sont les enfants de M. A, l’épouse de M. A, une société de gestion « Gesco » et M. A. Gesco est une SPCC ayant M. A pour seul actionnaire. Opco déclare de temps à autre des dividendes sur les actions de son capital-actions qui sont détenues par la fiducie qui attribue ces sommes à Gesco. Ainsi, les fonds détenus par Gesco proviennent principalement d’Opco et Gesco ne détient pas de passif important.

Gesco est preneur, titulaire et bénéficiaire d’une police d’assurance sur la vie de M. A. Gesco paie les primes relatives à la police, mais ne les déduit pas dans le calcul de son revenu aux fins fiscales. M. A ou ses proches ne détiennent personnellement aucune police d’assurance sur la vie de M. A. Il a été clairement souligné qu’il ne semble pas évident que Gesco ait un intérêt commercial pour détenir une telle police d’assurance vie et payer les primes y afférentes et qu’il est probable que la prestation d’assurance qui sera payable à Gesco au décès de M. A sera acheminée aux héritiers de M. A au moyen du paiement d’un dividende en capital par Gesco. Malgré tout, l’ARC a mentionné être d’avis que, dans le cadre de la situation décrite et compte tenu notamment du fait que Gesco serait preneur, titulaire et bénéficiaire de la police d’assurance sur la vie de M. A, le paiement par Gesco des primes reliées à cette police ne devrait généralement pas être considéré comme un avantage que Gesco conférerait à M. A et qui serait visé par le paragraphe 15(1) L.I.R.

Considérant que les enfants des entrepreneurs auront à leur tour des obligations financières telles qu’une hypothèque, des enfants à charge, etc., plusieurs parents désirent protéger l’assurabilité de leurs enfants en leur offrant un montant d’assurance qui leur servira de point de départ pour leurs propres besoins de protection. Leur intention est alors de transférer éventuellement la propriété du contrat d’assurance vie à l’enfant et ainsi de contribuer à la création et à la préservation de son patrimoine. Selon le paragraphe 148(8) L.I.R., un parent peut transférer à son enfant à titre gratuit la propriété d’un contrat d’assurance vie dont l’enfant est l’assuré. Il est primordial de se souvenir que cette règle ne s’applique pas lorsque le contrat d’assurance vie est détenu par le biais d’une société. En cas de transfert de propriété de la société à l’enfant, le paragraphe 148(7) L.I.R. s’appliquera et le transfert ne pourra se faire sans conséquence fiscale. Pour cette raison, tout comme pour les contrats sur la vie de l’entrepreneur même, la pérennité de la société doit donc être assurée.

Plusieurs raisons peuvent motiver une société à souscrire ou à acquérir une assurance sur la vie d’un individu qu’il soit ou non l’un de ses actionnaires. Dans la mesure où la société est à la fois titulaire et bénéficiaire de la police d’assurance pour laquelle elle paie les primes, nous sommes d’avis que le paragraphe 15(1) L.I.R. ne devrait généralement pas s’appliquer, que l’individu dont il est fait mention ci-dessus soit lié ou non à l’actionnaire dirigeant. Puisque la prime d’assurance vie payée avec des liquidités provenant de la société est moins lourde à supporter pour l’entrepreneur et sa famille, il est intéressant de détenir les polices au sein de la structure de la société, mais la pertinence de cette décision demeure une question de fait.

* Texte paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 20, numéro 2, du mois de juin 2015.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Valérie Ménard, CPA, CA, LL. M. fisc., associée .