Dans le meilleur intérêt, mais de qui?
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En effet, après une première consultation sur le sujet en 2012, un avis des ACVM en 2013 et plusieurs démarches effectuées par l’un ou l’autre des régulateurs membre en 2014 et 2015 ces derniers reviennent consulter l’industrie à propos de leurs observations, de leurs ambitions et, dans le cas de certains, de leurs projets.

Il est intéressant de remarquer que, dès les premières pages du document de consultation, lesquelles sont consacrées à une mise en contexte factuelle, un certain nombre de réserves sont émises par et au nom de certains régulateurs. Aux premiers rangs des régulateurs sceptiques : la Colombie-Britannique, l’Alberta et… le Québec.

En effet, ces régulateurs (et d’autres) ont, chacun sur des enjeux spécifiques ou sur la pertinence même de la consultation, émis de sérieuses réserves qui laissent deviner que le sujet ne fait pas consensus chez les membres des ACVM et que la fameuse question du devoir fiduciaire pourrait être une obsession propre à certaines provinces bien ciblées.

L’une des principales réserves de certains régulateurs porte sur le fait que de nombreuses réformes sont en cours d’implantation ou viennent tout juste d’être mise en place. Pensons à MRCC2 ou encore à l’information au moment de la souscription. Certains croient qu’il serait préférable de terminer le cycle de réformes entamé et de mesurer les impacts avant d’en commencer un autre. Je ne saurais être plus d’accord sur ce point!

Ceci dit, bien que la divergence de certains régulateurs ne soit pas un enjeu de conformité ou de réglementation à proprement parler, il a son importance puisque chaque province demeure maître de sa règlementation et que des jeux de coulisse pourraient avoir lieu. L’issue de la consultation, quelles que soient les mémoires déposés, est donc hautement imprévisible.

Mais assez de politique! Essayons de passer rapidement en revue les principaux éléments de la consultation afin de vous permettre d’identifier vos enjeux propres et de vous permettre de vous positionner car, oui, votre humble chroniqueur caresse l’ambition de vous voir prendre la plume et de vous faire entendre. Si vous ne le faites pas, soyez assurés que d’autres le feront pour vous.

Le devoir fiduciaire

La déclinaison du devoir fiduciaire est multiple dans la pratique du courtier ou du conseiller. À son plus petit dénominateur commun, elle prend la forme suivante : le client d’abord et avant tout.

La norme de devoir fiduciaire suppose que le courtier et le conseiller agissent, à tout moment, dans le meilleur intérêt du client et uniquement dans ce meilleur intérêt.

S’il est difficile d’être contre ce principe, comme il est difficile d’être contre la tarte aux pommes, son application comporte un certain nombre d’écueils.

En effet, comment concilier la norme du devoir fiduciaire avec les impératifs du monde des affaires dans lequel nous évoluons? Les entreprises de courtage et les professionnels qui agissent comme conseillers, bien qu’ils ont à cœur l’intérêt de leurs clients, ne sont pas là que pour leurs beaux yeux et vont chercher, légitimement, à gagner leur vie avec leurs activités de courtage et de conseil.

La ligne est mince entre toujours agir dans le meilleur intérêt du client, agir dans l’intérêt du client et agir correctement pour le client. Mince, imprécise et changeante dans la réalité.

Certaines questions soulevées dans le document ou littéralement certains exemples utilisés laissent croire que la norme sera difficile à concilier avec plusieurs modèles d’entreprises du secteur financier et pourrait heurter fortement les habitudes de plusieurs conseillers.

Par exemple, le document de consultation suggère que le conseiller, au moment de recommander un produit ou un titre au client, s’assure que ce titre ou ce produit est « le plus susceptible de satisfaire les besoins et objectifs de placement du client, compte tenu de sa situation financière et de son profil de risque, et d’un examen de la structure, des caractéristiques, de la stratégie, des coûts et des risques des produits figurant sur la liste de la société. »

Autrement dit, si vous agissez pour le compte d’un courtier indépendant qui vous laisse une totale liberté sur le titre ou le produit à recommander au client, vous devrez, au moment de faire une recommandation vous assurer que c’est le meilleur produit disponible et non pas que c’est un produit adéquat.

Bien entendu, nous souhaitons tous n’utiliser que les meilleurs produits. Mais l’obligation d’y arriver implique une très grande responsabilité qui pourrait, avec raison, faire peur à plusieurs tant les conséquences pourraient être importantes.

Les titres

Un autre élément sous la loupe de cette consultation touche les titres professionnels utilisés dans les disciplines de valeurs mobilières.

S’il est heureux d’enfin se pencher sur la question, tellement certains se sont accoutrés de titres vides de sens et dégoulinant de marketing, les suggestions des ACVM laissent tout de même place à une surprise de taille qui pourrait en faire sursauter plusieurs.

En effet, les ACVM proposent, de manière générale, de départager les titres en fonctions des responsabilités réelles de l’inscrit et de sa liberté de recommander un produit ou un autre à ses clients.

Ainsi, selon l’une des propositions du document de consultation, vous pourriez, dans le cas où vous êtes indépendant et avez des responsabilités et des pouvoirs étendus, porter le titre de « conseiller en valeurs mobilières-gestion de portefeuille ». Disons-nous tout de suite, c’est un titre que beaucoup chercheront à avoir.

À l’autre bout du spectre, si vous agissez pour le compte d’une société qui a une liste de produits exclusifs (lire « réseau captif » ou « liste maison ») vous porteriez le nom de « vendeur de valeurs mobilières ».

À une époque où nous recherchons la professionnalisation de l’industrie, l’accès au conseil et la valorisation de ce dernier, je me demande bien qui voudra se faire affubler du glorieux titre de vendeur. Imaginez si vous gagnez un concours de vente et faites partie d’un « club du président »… le portrait serait complet!

Pour conclure…

Les 94 pages de la consultation auraient permis que je vous entretienne du sujet pendant encore un bon moment.

Cependant, mon idée n’est pas de le faire mais de vous donner envie de vous informer sur le sujet. Suivez mon conseil et prenez une heure (ou deux) de votre temps pour lire le document.

Si, comme moi, vous avez à cœur l’avenir de notre profession et l’intérêt de vos clients, vous aurez peut-être envie de prendre la plume et de faire entendre votre voix.

Tous gagneront à ce que notre industrie soit plus saine, plus compétitive et plus efficace. Le client au premier chef. Mais n’oublions pas que le mieux et parfois l’ennemi du bien et qu’une bonne dose de pragmatisme et de réalité fait rarement de tort.