Oh! fisc, comme tu as de grandes dents!

Les témoignages de contribuables ou de leurs représentants qui font état de dérapages ou d’abus de la part des autorités fiscales ou qui se disent victimes d’acharnement de la part de ces dernières semblent de plus en plus fréquents.

Il n’est plus rare d’entendre parler de demandes de renseignements totalement démesurées à l’occasion de certaines vérifications fiscales, de délais consentis pour répondre à ces demandes tout à fait inadéquats, de dossiers fiscaux qui accaparent des ressources à un niveau tel qu’un contribuable n’a plus de temps pour s’occuper de son entreprise ou de ses clients, d’entêtement des autorités fiscales à défendre des positions sans bases légales ou à maintenir des positions contraires à la jurisprudence, de l’émission de cotisations arbitraires uniquement pour faire pression sur un contribuable, de pénalités injustifiées, de saisies abusives et même, dans certains cas, de perte ou de destruction de documents.

Au Québec, dans son rapport annuel 2012-2013, le Protecteur du citoyen note d’ailleurs que le nombre de plaintes reçues à l’encontre de Revenu Québec pour lesdites années, de même que le nombre de plaintes jugées fondées, est en hausse par rapport à la moyenne des cinq années précédentes.

Deux côtés de la médaille

La lutte acharnée contre l’évasion fiscale que mènent les autorités fiscales depuis quelques années ne semble pas étrangère à cette situation. La pression sur les agents du fisc pour faire entrer de l’argent dans les coffres de l’État est énorme.

À l’occasion de cette lutte et pour atteindre ses objectifs de récupération fiscale, le fisc se transformerait-il lentement en grand méchant loup, croquant dans tout ce qui lui passe sous la dent, sans discernement et parfois même sans fondement? Il serait fort hasardeux de l’affirmer.

La perception qu’ont les uns ou les autres d’une même situation peut être totalement différente selon qu’on analyse celle-ci du point de vue du contribuable ou de celui du fisc. Tout n’est pas vice d’un côté et vertu de l’autre. De plus, on ne doit nullement contester au fisc le droit de faire appliquer les lois fiscales et de veiller à ce que chacun paie sa juste part d’impôt.

Cela étant dit, en présence d’erreurs flagrantes, de négligence ou de comportements considérés comme étant abusifs de la part de certains agents du fisc, et il y en a, il ne faut aucunement s’abstenir de dénoncer la situation. Certains contribuables vont plus loin et réclament à l’État des indemnités pour dommages pour certains actes ou omissions commis par des agents des autorités fiscales. Il s’agit toutefois d’un chemin parsemé d’embuches.

Ceux qui s’y risquent font face à une énorme machine qui ne recule devant rien et qui utilise tous les moyens à sa disposition pour faire rejeter ces demandes. Rares sont donc ceux qui, lors de tels recours, ont gain de cause. La ténacité et la résistance sont parfois les seuls outils à la disposition des contribuables qui s’engagent dans cette voie.

Jurisprudence

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Photo Flickr – Tambako the Jaguar

Jurisprudence

Au fédéral, l’État est assimilé à une personne pour tout dommage causé par la faute de ses préposés. Toutefois, sa responsabilité n’est pas engagée pour tout acte ou omission commis dans l’exercice d’un pouvoir conforme à une disposition législative.

La jurisprudence est encore incertaine quant aux actes ou aux omissions des agents de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») qui peuvent entraîner la responsabilité civile de cette dernière. Bien que plusieurs contribuables aient été autorisés, par jugements rendus lors de procédures intérimaires, entre autres des procédures pour rejet d’action ou pour radiation d’allégations, à maintenir leur poursuite contre l’État, les jugements sur le fond sont encore peu nombreux.

Nous référons le lecteur aux décisions suivantes, notamment pour les procédures intérimaires : Swift c. La Reine, 2004 D.T.C. 6651 (C.A.F.); Heckendorn c. Canada, 2009 D.T.C. 5154 (C.S. C.-B.); Humby c. Canada, 2010 D.T.C. 5019 (C.F.); Grand River Enterprises Six Nations Ltd. c. Canada, 2010 ONSC 2911; Leroux c. Canada Revenue Agency, 2012 D.T.C. 5050 (C.A. C.-B.) (« Leroux »); Samaroo c. Canada Revenue Agency, 2013 D.T.C. 5073 (C.S. C.-B.); Gardner c. Canada, [2013] 5 C.T.C. 210 (C.A. Ont.); Gordon c. La Reine, 2013 D.T.C. 5112 (C.F.) (« Gordon »), et McCreight c. Canada, 2013 ONCA 483 (« McCreight »). Des demandes d’indemnités pour dommages ont été accueillies dans les causes Chhabra c. La Reine, 89 D.T.C. 5310 (C.F.) (« Chhabra »), et Longley c. MRN, 99 D.T.C. 5549 (C.S. C.-B.) (« Longley »).

Dans la décision Chhabra, l’État a été condamné à verser au demandeur les sommes de 1 000 $ à titre de dommages généraux et de 10 000 $ à titre de dommages exemplaires pour des abus de pouvoir commis avec malveillance, selon la Cour, par des agents de la cotisation et du recouvrement de l’ARC.

Les agents de l’ARC auraient notamment manqué à leur devoir de rechercher la vérité en utilisant, au détriment du demandeur, des documents volontairement remis par ce dernier et qui selon lui, motifs probants à l’appui au moment de leur remise, devaient être considérés comme suspects.

Les agents de recouvrement auraient également abandonné leur responsabilité en prenant des mesures de recouvrement contre le demandeur au motif qu’une cotisation avait été émise contre ce dernier, tout en ignorant totalement les représentations et la situation particulière de ce dernier, allant ainsi à l’encontre des lignes directrices publiées par l’ARC, mais plus encore, en sachant que ladite cotisation serait renversée et remplacée par une nouvelle cotisation dont le montant était alors inconnu.

Finalement, toujours selon la Cour, les agents de recouvrement auraient été malhonnêtes et malveillants en opérant une saisie-arrêt de 75 % du revenu mensuel brut de profession du demandeur, alors que la législation provinciale, bien que non applicable à la situation mais mentionnée par la Cour à titre indicatif, ne permettait pas d’effectuer une saisie-arrêt de plus de 30 % du salaire d’un employé.

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Dans la décision Longley, l’État a été condamné à verser au demandeur les sommes de 5 000 $ à titre de dommages généraux et de 50 000 $ à titre de dommages exemplaires. Tout en sachant que c’était le cas, des agents de l’ARC auraient refusé de confirmer au demandeur que des planifications fiscales mises de l’avant par ce dernier pour lui permettre, de même qu’à d’autres contribuables, de bénéficier du crédit pour contributions politiques étaient conformes aux dispositions de la loi.

Afin de décourager l’utilisation de ces planifications, les agents auraient même intentionnellement donné des renseignements trompeurs au demandeur en lui indiquant ne pas avoir en leur possession d’opinion sur la conformité de ladite planification avec les dispositions de la loi, alors qu’ils en avaient.

Par contre, des demandes d’indemnité pour dommages ont notamment été rejetées dans les causes Canus Fisheries Ltd. c. Canada, 2005 NSSC 283, et Leighton c. Canada, 2012 D.T.C. 5123 (C.S. C.-B.) (« Leighton »). Dans ces deux décisions, la Cour a conclu que les agents de l’ARC n’étaient pas soumis à un devoir de diligence envers les contribuables. Dans l’affaire Leighton, la Cour a même affirmé que « […] des considérations politiques résiduelles militeraient en l’espèce à l’encontre de la reconnaissance d’une obligation de diligence », ajoutant « […] qu’une telle reconnaissance serait incompatible avec l’obligation générale incombant à l’ARC, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, de veiller à ce que le montant de tous les impôts légalement exigibles soit correctement perçu […] ».

La poursuite de procédures fondées sur la négligence d’agents de l’ARC a toutefois été autorisée dans les causes Leroux, Gordon et McCreight. Par ailleurs, dans la cause Foote c. Canada, 2011 D.T.C. 5139 (C.S. C.-B.), la Cour a conclu que l’ARC et ses agents n’avaient pas d’obligation de diligence à l’égard des contribuables, leur seule obligation de diligence étant à l’égard de l’État. La Cour a toutefois autorisé la poursuite des procédures également fondée sur des actes de malveillance.

Au Québec, la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions de Revenu Québec et de ses agents peut être engagée conformément aux articles 1457, 1463 et 1464 du Code civil du Québec. Il faut démontrer l’existence d’une faute de la part de Revenu Québec ou de ses agents dans l’exécution de leurs fonctions, l’existence d’un dommage et l’existence d’un lien de causalité entre cette faute et ce dommage.

Ces éléments ont notamment été démontrés dans les causes Construction M.D.G.G. inc. c. SMRQ, 2012 QCCS 3777 (« M.D.G.G. »), Joncas c. Agence du revenu du Québec, 2012 QCCQ 5096 (« Joncas »), et Groupe Énico inc. c. Agence du revenu du Québec, 2013 QCCS 5189 (« Groupe Énico »).

Dans l’affaire M.D.G.G., Revenu Québec a été condamné à verser au demandeur les sommes de 67 863 $ à titre de dommages généraux, de 10 000 $ à titre de remboursement d’honoraires extrajudiciaires et de 5 000 $ à titre de dommages pour troubles et inconvénients pour avoir recouvré des pénalités que le tribunal lui avait ordonné d’annuler.

En défense, Revenu Québec soutenait qu’il n’avait pas à se conformer au dispositif du jugement annulant les pénalités, au motif que celui-ci comportait une erreur. La Cour a considéré que Revenu Québec avait commis une faute en ne respectant pas le dispositif du jugement annulant les pénalités ou en ne portant pas celui-ci en appel. Le jugement accordant les dommages est présentement en appel.

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En ce qui concerne l’affaire Joncas, dans un jugement annulant des cotisations émises contre le demandeur, la Cour avait conclu de façon non équivoque à une faute flagrante de Revenu Québec, un vérificateur s’étant réfugié derrière des prémisses qu’il savait fausses et ayant systématiquement refusé de voir ce qu’il devait voir avant d’émettre des cotisations. À la suite de ce jugement, le demandeur avait mis Revenu Québec en demeure de lui verser une somme totale de 38 664 $ à titre de remboursement d’honoraires extrajudiciaires et de déboursés, de même que pour dommages.

Devant le refus de Revenu Québec d’obtempérer à la mise en demeure, le demandeur a poursuivi Revenu Québec. Dans son jugement, la Cour conclut à une conduite répréhensible du vérificateur de Revenu Québec, engageant ainsi la responsabilité de Revenu Québec.
La Cour reconnaît l’abus d’ester en justice de Revenu Québec, d’où une condamnation au remboursement d’honoraires extrajudiciaires et de déboursés pour une somme de 28 634 $. Elle accorde également au demandeur le remboursement des frais de notaire – 995 $ – engagés pour la préparation d’une hypothèque que le demandeur a dû prendre sur sa résidence afin d’acquitter les honoraires professionnels engagés à l’occasion des procédures, de même que le remboursement des intérêts sur ce prêt, soit 6 352 $. Une somme de 3 000 $ pour troubles, dommages et inconvénients et une somme de 5 000 $ pour dommages exemplaires sont également accordées au demandeur.

Finalement, dans la décision Groupe Énico, les contribuables Groupe Énico inc. et M. Jean-Yves Archambault réclamaient plus de 12 M$ à Revenu Québec et au Procureur général du Québec à la suite d’une vérification bâclée entreprise par un vérificateur malhonnête et ayant ultimement entraîné la ruine des demandeurs après l’émission de multiples cotisations non fondées pour des sommes totalisant plus de 1,8 M$. Dans un jugement de plus de 200 pages rendu le 23 octobre 2013, le juge Reimnitz de la Cour supérieure du Québec leur accorde une compensation de près de 4 M$ (plus intérêts), dont 2 M$ à titre de dommages punitifs.
Il serait trop long de résumer les faits de cette cause dans le cadre du présent article. Il convient toutefois de noter que les reproches adressés aux défendeurs par les demandeurs et les faits sur lesquels ces reproches sont basés et qui sont relatés dans le jugement sont si nombreux et si invraisemblables que l’on s’imagine presque lire un roman de science-fiction.

Dans ce jugement, le juge Reimnitz est particulièrement sévère à l’endroit de Revenu Québec, parlant de cotisations faussement gonflées, d’un employé qui aurait « planté de la preuve », de choix fautif, d’inflexibilité de la part de la vérification de Revenu Québec, d’abus de pouvoir, d’approche non raisonnable, de saisie abusive, d’acharnement administratif fautif, injustifié et peu commun, de malveillance, de faute caractérisée, d’incurie grave, de conduite téméraire équivalant à de la mauvaise foi et d’atteinte illicite à la propriété et à la dignité des demandeurs.

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Le jugement de la Cour supérieure a été porté en appel par Revenu Québec le 22 novembre 2013. Le 10 janvier 2014, à la suite d’une requête de M. Jean-Yves Archambault, le juge Morissette de la Cour d’appel du Québec a ordonné l’exécution provisoire partielle du jugement de la Cour supérieure pour un montant de 450 000 $ à être versé à M. Archambault pour lui éviter une faillite immédiate et pour lui permettre de mandater des avocats en appel.

Quant à Groupe Énico inc., à cette même date, il n’avait toujours pas comparu en appel, étant à court de ressources pour rémunérer des avocats, et ceux qui le représentaient pendant le procès ne sont plus en mesure de le faire.

Reste maintenant à voir si le jugement de la Cour supérieure sera maintenu. Le cas échéant, la portée de ce jugement obligera certainement Revenu Québec et probablement même l’ARC à revoir certaines méthodes de travail de leurs agents. Du côté des contribuables, bien qu’il soit basé sur des faits propres à la situation des demandeurs, le jugement servira assurément de balise lors de futures réclamations d’indemnités pour dommages à l’encontre des autorités fiscales.

* Ce texte se veut un résumé d’un article paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 19, numéro 1, du mois de février 2014.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Michel Durand.