La détention des polices d’assurance vie ne fait pas exception à ce principe. On peut notamment penser à la situation où le propriétaire d’entreprise étudie la possibilité de vendre maintenant sa société exploitante ou encore au fait qu’il se préoccupe de plus en plus de la protection de ses éléments d’actif. On peut aussi penser au cas où il y a suffisamment de liquidités excédentaires dans la structure pour, d’une part, procéder au paiement des impôts au décès et, d’autre part, assurer le maintien du niveau de vie des successibles. Finalement, le transfert de la police pourrait s’avérer nécessaire afin que la société se qualifie à titre de société exploitant une petite entreprise au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »).

Afin de répondre à ces nouveaux besoins, il pourrait être opportun de transférer la propriété des polices d’assurance vie à une autre société du groupe, à une fiducie familiale ou encore directement dans les mains du contribuable. Également, comme nous le verrons, il peut être fiscalement avantageux pour un individu de transférer la propriété d’une police qu’il détient personnellement à une société qu’il contrôle.

L’objectif du présent texte n’est pas d’effectuer une revue exhaustive des règles légales et fiscales applicables lors du transfert de la propriété d’une police d’assurance vie, mais de cerner quelques écueils potentiels et quelques avantages à saisir dans ce contexte. Pour une analyse plus en profondeur des différentes règles applicables, nous vous référons au cas pratique de la famille Bellehumeur, que nous avons analysé dans le cadre du Congrès 2014 de l’Association de planification fiscale et financière (« APFF ») (Anne-Marie GIRARD-PLOUFFE et Julien GIRARD-BEAUCHAMP, « Planification fiscale et successorale impliquant des fiducies et de l’assurance vie : une histoire de famille qui traverse le temps », dans Congrès 2014, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2015).

Règles applicables dans le cadre d’un transfert de propriété d’une police

Le transfert de la propriété d’une police d’assurance vie constitue une disposition aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu et le montant du produit de disposition varie selon que le transfert s’opère entre personnes ayant un lien de dépendance ou non.

La disposition d’un intérêt dans une police d’assurance vie entraîne une inclusion dans le revenu à titre de revenu de bien, d’un montant qui est égal à l’excédent du produit de disposition sur le coût de base rajusté (« CBR ») de ladite police. Il n’est pas possible de rouler une police d’assurance vie à une société, puisqu’il ne s’agit pas d’une immobilisation.

Le montant du produit de disposition est généralement égal à la valeur indiquée dans le contrat de vente, à moins que le cédant et le cessionnaire n’aient un lien de dépendance, dans lequel cas la valeur de la disposition sera réputée égale à la « valeur » de la police (sauf dans le cas des transactions qui interviennent à la juste valeur marchande (« JVM »)).

La « valeur », à un moment donné, d’un intérêt dans une police d’assurance vie est, lorsque l’intérêt comprend un intérêt dans la valeur de rachat de la police, la somme y afférente que le titulaire de l’intérêt aurait le droit de recevoir si la police était rachetée à ce moment; dans les autres cas, nulle.

Cette « valeur » devient le CBR pour l’acquéreur de la police, et ce, sans qu’il soit tenu compte de la JVM de la police ou de la contrepartie payée.

La JVM d’une police d’assurance vie prend en considération une multitude de facteurs, tels que l’état de santé et l’âge de l’assuré, la valeur de rachat, le coût de remplacement, les privilèges de conversion, etc. (pour plus de détails, voir AGENCE DU REVENU DU CANADA, Circulaire d’information IC89-3, « Exposé des principes sur l’évaluation de biens mobiliers », 25 août 1989, par. 40).

Transfert à une société d’une police détenue par un individu  

Transfert à une société d’une police détenue par un individu

Un individu sera réputé transférer sa police d’assurance pour un produit de disposition égal à la valeur nette (valeur de rachat moins certains rajustements) de ladite police, et ce, nonobstant le fait qu’il pourra recevoir de la société une contrepartie égale à la JVM de la police. Ainsi, si la JVM est supérieure à la valeur de rachat, il s’agira d’une planification à privilégier afin de sortir des sommes à moindre coût de la société exploitante.

Également, le CBR de la police pour la société sera égal à la valeur de rachat et non au montant payé à l’actionnaire, ce qui signifie que la réduction du montant qui sera ajouté au compte de dividendes en capital (« CDC ») en cas de décès de l’assuré sera potentiellement moindre que si la police avait été détenue dès le départ par la société.

Cette transaction présente donc un intérêt certain lorsque la JVM et/ou le CBR de la police sont supérieurs à sa valeur de rachat. Les autorités fiscales sont au fait de cette anomalie et il n’est donc pas improbable qu’elle fasse l’objet de modifications législatives.
Transfert pur et simple à l’actionnaire et/ou à l’employé d’une police détenue par une société

Ce transfert engendre un revenu de bien pour la portion de la valeur de rachat qui excède le CBR. Il n’y aura aucun montant ajouté au CDC de la société cédante, car la disposition n’entraîne pas un gain en capital. Le CBR de la police pour le cessionnaire (actionnaire et/ou employé) sera également égal à la valeur de rachat de la police.

Le cessionnaire devra inclure dans son revenu un avantage en vertu de l’alinéa 6(1)a) ou du paragraphe 15(1) L.I.R., selon le cas, pour la portion de la JVM de la police qui excède la contrepartie payée pour celle-ci. L’Agence du revenu du Canada (ARC) prévoit dans ce cas que la portion de l’avantage qui excède la valeur de rachat s’ajoutera au CBR de la police pour l’acquéreur (interprétation technique 2005-0110941E5).

Toutefois, si la contrepartie effectivement payée pour les polices était égale à la JVM desdites polices, alors il ne résulterait de cette opération aucun avantage et le CBR des polices ne serait donc pas augmenté. Il découlerait potentiellement de ce scénario une double imposition.

Prenons l’exemple suivant : la JVM de la police est de 100 $, son CBR de 50 $ et sa valeur de rachat de 75 $. L’actionnaire paie à sa société une contrepartie de 100 $ pour acquérir la propriété de la police. La société devra inclure à son revenu une somme de 25 $ (valeur de rachat – CBR). Le CBR pour l’actionnaire sera de 75 $ (valeur de rachat) et ne sera pas augmenté à 100 $, puisqu’aucun avantage ne lui a été conféré.

Transfert d’une police par une société exploitante à une société de gestion par le versement d’un dividende en bien

La détention d’une police d’assurance par le biais d’une société de gestion alors que la société exploitante est bénéficiaire du produit de l’assurance a pour effet que le CBR de la police ne réduira pas la portion du produit de l’assurance qui sera ajoutée au CDC. Cet avantage tend à disparaître en même temps que le CBR s’estompe avec le temps qui passe.

Il est important toutefois de noter que l’absence de motifs commerciaux légitimes justifiant la détention de la police par le biais d’une société de gestion pourrait entraîner, entre autres, l’application de la règle générale antiévitement. L’organisme Conference for Advanced Life Underwriting préconise même que le CBR de la police détenue par la société de gestion soit pris en considération lorsqu’on cherche à déterminer le montant à créditer au CDC de la société exploitante, et ce, afin d’enlever toute incertitude quant à l’application de la règle générale antiévitement ou d’autres règles antiévitement spécifiques, comme celle prévue au paragraphe 246(1) L.I.R.

Lorsqu’on transfère une police sous forme de dividende en bien, il est suggéré de faire référence à la JVM de la police plutôt que d’établir un chiffre précis dans la résolution des administrateurs. En effet, si notre évaluation est inférieure à la JVM déterminée par les autorités fiscales, alors le bénéficiaire du dividende devra s’imposer sur un avantage conféré à un actionnaire suivant l’application du paragraphe 15(1) L.I.R.

L’excédent de la JVM sur le CBR de la police ne sera pas ajouté au CBR de la police pour l’acquéreur, puisque la nature du revenu pour le bénéficiaire est celle d’un dividende plutôt que celle d’une somme relative à la disposition d’un intérêt dans la police (interprétation technique 2000-0056205). Cela pourrait entraîner potentiellement une double imposition dans le cas où le dividende serait pleinement imposable pour son récipiendaire.

Évidemment, dans le cas d’un transfert de police d’assurance vie par le biais d’un dividende en bien, il est important de vérifier l’application de l’impôt de la partie IV et du paragraphe 55(2) L.I.R.

Transfert d’une police par une société exploitante à une société sœur

Dans le cas où deux sociétés sont contrôlées par un actionnaire commun, l’ARC a indiqué, lors d’une table ronde (voir « Table ronde sur la fiscalité des stratégies financières et des instruments financiers », dans Congrès 2006, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2007, p. 51:1-26), que le fait que l’une d’elles transfère la propriété de la police à l’autre société pourrait faire en sorte que le paragraphe 15(1) L.I.R. s’applique dans le cas où la société aura subi un appauvrissement et que son actionnaire se trouve enrichi suivant la transaction.

Le paiement des primes

Lorsqu’on cherche à déterminer qui sera responsable du paiement des primes au sein d’un groupe lié, il faut prendre en considération i) si le paiement des primes est fait à même des sommes d’argent imposées aux taux des sociétés ou personnels, ii) s’il y a une certitude que les primes seront payées et iii) si le partage du paiement des primes entre les actionnaires est équitable (les primes peuvent varier grandement selon l’assuré).

Nonobstant la structure de détention qui sera choisie, il est important de s’assurer que le paiement des primes ne confère pas un avantage à l’un ou l’autre des membres du groupe lié.

Plusieurs autres considérations doivent être prises en compte dans l’analyse du scénario optimal de détention d’une assurance vie dans un groupe lié. On doit notamment considérer l’application des règles sur la minimisation des pertes et des stratégies disponibles afin d’en réduire l’impact au minimum, telle que l’utilisation de seulement 50 % du CDC lors d’un rachat d’actions suivant le décès ou encore le transfert au conjoint par roulement fiscal avant de procéder au rachat.

Quel que soit l’objectif du financement au décès au moyen d’une assurance vie, le choix du produit et la source du paiement des primes auront une incidence sur le taux de rendement effectif au décès ainsi que sur l’accès à des valeurs du vivant de l’assuré, le cas échéant. La flexibilité demeure le meilleur atout étant donné les incidences fiscale et légale que toute modification implique dans le temps, sans compter le maintien de l’assurabilité et les changements inévitables aux critères de tarification.

* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 20, numéro 2, du mois de juin 2015.

 

 

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Anne-Marie Girard-Plouffe .