Certaines structures relatives aux sociétés multipliant l’accès à la DPE pour lesquelles des interprétations techniques favorables avaient été données avant le Budget ne produiront plus les résultats recherchés avec les modifications proposées.

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Ces changements répondent à des préoccupations concernant des structures visant des sociétés de personnes (« SDP ») ou des sociétés qui « multiplient » l’accès à la DPE. Pour les années d’imposition commençant après le 21 mars 2016, la source des revenus actifs d’une société privée sous contrôle canadien (« SPCC ») devra être analysée pour savoir si ce revenu est admissible à la DPE. Il faudra savoir d’où vient ce revenu, qui l’a payé, le lien avec le payeur et la proportion de ce revenu pour la SPCC afin de déterminer le taux d’imposition applicable et s’il faut partager le plafond des affaires avec ce payeur.

Les changements proposés ont été prévus à l’article 54 de l’avis de motion de voies et moyens accompagnant le Budget. Ils n’ont pas fait partie du Projet de loi fédéral C-15, sanctionné le 22 juin 2016, mais ils ont été ajoutés dans les propositions législatives du 29 juillet 2016. Le Québec a déjà indiqué qu’il s’harmoniserait à ces nouvelles mesures.

La DPE – Rappel

La DPE est une réduction du taux d’impôt accordée aux SPCC pour les encourager à exploiter activement une entreprise au Canada. En 2016, pour le revenu d’entreprise exploitée activement (« REEA ») au Québec, cet incitatif permet à une société d’obtenir un taux d’imposition de 18,5 % pour les premiers 500 000 $ de REEA comparativement au taux de 26,9 % (26,8 % en 2017) applicable au revenu d’entreprise. Ce montant limite de 500 000 $, appelé également le « plafond des affaires », est disponible en totalité pour le REEA de toute SPCC dont le capital imposable utilisé au Canada (capital versé pour le Québec) pour la dernière année d’imposition qui se termine dans l’année civile précédente est inférieur à 10 M$. Le plafond des affaires sera réduit progressivement lorsque ce capital imposable utilisé au Canada se situe entre 10 M$ et 15 M$. Cependant, ce calcul du capital versé doit être consolidé et le plafond des affaires doit être partagé avec les sociétés « associées », évitant ainsi la multiplication artificielle de l’accès à la DPE à l’intérieur d’un groupe ayant un certain lien économique.

Les règles sur les sociétés « associées » ont été introduites justement afin de s’assurer que le plafond des affaires soit partagé et ne soit pas multiplié entre les sociétés contrôlées par les mêmes personnes ou le même groupe de personnes. Sommairement, pour que des sociétés soient associées, elles doivent être sous le contrôle d’une même personne (ou du même groupe de personnes), ou de différentes personnes liées si l’une des personnes liées (ou sa SPCC) est propriétaire d’au moins 25 % des actions de l’autre SPCC. Par contrôle, on vise le contrôle légal, économique ou de fait. Une société qui appartient exclusivement à un individu n’est généralement pas associée à une société qui appartient exclusivement à son conjoint, à son frère ou à son fils, ou à un autre particulier lié.

De plus, le revenu de biens généré par une SPCC sera réputé être du REEA s’il provient d’une société associée et que cette dernière déduit ou pourrait déduire ce montant dans le calcul de son REEA au Canada. Cette mesure permet de s’assurer que ces revenus de biens ne soient pas du revenu de placement pour l’une mais que ce revenu conserve sa nature quand le paiement est déductible du revenu du REEA de l’autre société associée. Ces sociétés associées partageront naturellement le plafond des affaires sans l’excéder.

Le Budget fédéral 2016

Le Budget, avec l’objectif principal de mettre fin aux structures mises en œuvre permettant de multiplier l’accès à la DPE en utilisant des SDP et des sociétés non associées, est venu proposer des modifications au revenu admissible à la DPE.
Les nouvelles règles applicables visent le REEA d’une SPCC qui provient de biens ou de services fournis, directement ou indirectement, à une société privée ou à une SDP. Ce REEA sera inadmissible à la DPE si un lien de dépendance existe, de façon très large, sauf si ce REEA représente moins de 10 % de l’ensemble de son REEA de toute provenance pour l’année.

Ces nouvelles règles ciblent la provenance des revenus et la proportion de ce revenu sur l’ensemble du revenu actif généré dans une année. Elles ciblent non seulement le revenu provenant des sociétés associées mais aussi le revenu en provenance de payeurs ayant un lien de dépendance avec le récipiendaire.

La société de personnes

Une règle existait déjà pour empêcher la multiplication de la DPE avec une SDP. Les règles sur le revenu de société de personnes déterminé prévoient que les associés d’une SDP doivent se partager un seul plafond des affaires relativement au REEA d’une SDP. La DPE accordée à une société qui est un associé d’une SDP sera limitée au moindre du REEA reçu à titre d’associé de la SDP et sa part du plafond des affaires théorique de 500 000 $ déterminé au niveau de la SDP. Ce plafond est déterminé par la SDP.

Une société pourrait avoir plusieurs participations dans différentes SDP et partager plusieurs plafonds des affaires. Cependant, le total de ses revenus admissibles à la DPE tirés de ses participations sera limité à son propre plafond des affaires. Si l’une des principales raisons de l’existence de plusieurs SDP est d’augmenter la DPE, une règle antiévitement existe pour limiter la réclamation de la DPE pour une seule des SDP.

Selon le Budget, une des structures préoccupantes visées pour contourner l’application des règles du revenu de société de personnes déterminé est celle où X est un actionnaire d’une SPCC (HOLDCO) et est également un associé d’une SDP. SDP paie HOLDCO pour des biens ou des services en vertu d’un contrat d’entreprise. Par conséquent, HOLDCO réclame la DPE pour son REEA provenant des honoraires facturés à SDP. HOLDCO aura droit à la totalité du plafond des affaires plutôt qu’à une fraction du plafond des affaires théorique de la SDP si HOLDCO avait été un associé et aurait eu le REEA sous forme de distribution.
 

Les modifications proposées élargissent la définition du revenu de société de personnes déterminé pour inclure le revenu de biens et de services fournis à une SDP lorsque, à un moment donné au cours de l’année, la SPCC ou un actionnaire de la SPCC est un associé de la SDP ou encore a un lien de dépendance avec un associé de la SDP.

Une SPCC sera réputée être un associé (« Associé désigné » selon la nouvelle définition prévue au paragraphe 125(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu) d’une SDP donnée tout au long d’une année d’imposition si :

a) elle n’est pas, par ailleurs, un associé de la SDP;

b) elle fournit des biens ou des services à la SDP à un moment donné dans l’année;

c) la SPCC ou un actionnaire de la SPCC a un lien de dépendance avec un associé qui détient une participation directement ou indirectement dans la SDP donnée; et

d) il ne s’avère pas que la totalité ou la presque totalité (soit 90 % ou plus) du REEA de la SPCC pour l’année d’imposition provient de biens et de services fournis à des personnes, autres que la SDP, n’ayant pas de lien de dépendance.  

Une SPCC qui est un associé d’une SDP, y compris un associé réputé ou désigné, verra son REEA provenant de biens ou de services fournis à la SDP être un REEA de SDP où la DPE est calculée au niveau de la SDP et partagée avec les associés. Le plafond des affaires d’un associé réputé ou désigné de SDP sera nul initialement (puisqu’il ne reçoit aucune répartition du revenu de la SDP) mais l’associé qui a un lien de dépendance avec l’associé réputé aura le droit d’attribuer de façon théorique la partie de la DPE à laquelle il a droit comme associé. Si cet associé est un particulier, il pourra attribuer la partie à laquelle il aurait eu droit s’il avait été une société.

Si la société XCO reçoit des revenus de SDP et que M. X, personne liée à Mme X, détient une participation, directement ou indirectement, dans SDP, XCO sera un associé désigné et ne pourra réclamer la DPE sur ce revenu sauf si le revenu de SDP ne constitue pas la totalité ou presque des REEA de XCO ou que M. X lui attribue sa partie du plafond des affaires.

La société

Les règles relatives à la DPE ont également été modifiées pour les fournitures de biens et de services entre des sociétés non associées entre elles. En effet, le REEA d’une SPCC qui provient de biens et de services fournis, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, dans son année d’imposition à une société privée sera inadmissible à la DPE si, à un moment donné au cours de l’année, la SPCC, un de ses actionnaires ou une personne ayant un lien de dépendance avec un tel actionnaire a une participation directe ou indirecte dans la société privée.

Par contre, si la totalité ou la presque totalité du REEA de la SPCC pour l’année d’imposition provient de services ou de biens fournis à des personnes sans lien de dépendance autre que la société privée, l’inadmissibilité à la DPE ne s’appliquera pas pour cette source de REEA.

Une SPCC aura le droit d’attribuer la totalité ou une partie de son plafond des affaires à une ou plusieurs SPCC qui sont inadmissibles à la DPE en vertu de cette règle. Le montant du REEA d’une SPCC provenant de services ou de biens fournis à la société privée admissible à la DPE (sous réserve du plafond des affaires de la SPCC) sera le moins élevé :

a) du revenu de la SPCC provenant de services ou de biens fournis à la société privée;

b) du montant du plafond des affaires inutilisé de la société privée pour l’année qui est attribué à la SPCC;

c) du montant que la ministre du Revenu national juge raisonnable dans les circonstances.

Si XCO paie des honoraires à la société de son frère et qu’il s’agit des seuls revenus de la société FrèreCo, il faudra partager le plafond des affaires même si les deux sociétés ne sont pas associées entre elles mais plutôt parce que le revenu de FrèreCo provient, en totalité ou presque, de la fourniture de biens ou de services à une société ayant un lien de dépendance.

Commentaires

Ces nouvelles règles visent le partage du plafond des affaires avec des sociétés ayant un lien de dépendance incluant donc les personnes non liées qui agissent de concert ou de façon très interdépendante, soit le lien de fait. Le partage du plafond ne vise plus simplement le contrôle direct, indirect ou de quelque manière que ce soit, mais aussi l’interdépendance dans la provenance des revenus. Le fait d’avoir une source exclusive de ses revenus pourrait faire en sorte de perdre le droit de réclamer la DPE. Le problème résidera sûrement dans l’administration et l’application pratique de ces mesures.

L’épargne d’impôts maximale de la DPE pour une SPCC au Québec en 2017 sera de 41 500 $, soit (26,8 % – 18,5 %) × 500 000 $. Puisque le taux d’imposition des particuliers des dividendes déterminés qui proviennent du compte de revenu à taux général (« CRTG ») prend en considération le taux d’imposition des sociétés et vise une meilleure intégration, le fait de perdre son droit à la DPE sera amoindri lorsque la société sortira des dividendes de son CRTG.

De plus, avec les nouvelles règles au Québec sur le nombre d’heures travaillées pour avoir droit à la DPE (Québec seulement), il faudra maintenant savoir non seulement d’où viennent le revenu et sa proportion mais aussi par combien de personnes (ou plutôt combien d’heures travaillées) l’exploitation de l’entreprise se fait. Par conséquent, la réclamation de la DPE pour les SPCC du Québec sera un sport pour adulte.

Il ne faut pas oublier que la qualification des dividendes déterminés est effectuée au fédéral. Il sera donc possible de ne pas avoir droit à la DPE au Québec parce que les conditions sur les heures travaillées ne sont pas remplies, et que le dividende ne provient pas du CRTG puisqu’au fédéral on a droit à la DPE. Mais comme le démontre le tableau ci-dessous, la pertinence de réclamer la DPE au fédéral devra donc être évaluée au cas par cas.

Conclusion

Le Budget 2016 a surpris les praticiens avec de nouvelles mesures. Ces mesures ont apaisé les préoccupations des autorités fiscales relativement au fractionnement du REEA et à la multiplication de la DPE et ont rendu caduques des interprétations favorables récentes.

Le revenu admissible à la DPE doit déjà être du REEA, mais aussi il doit provenir d’une personne sans lien de dépendance ou s’il provient d’une personne avec un lien de dépendance, il ne doit pas représenter la totalité ou presque du REEA. Autrement, il faudra partager le plafond des affaires. Avec l’intégration et le taux d’imposition du dividende déterminé, l’accès à la DPE vaudra peut-être moins la peine dans certains cas. Nous verrons si ce projet de loi, dans son chemin vers la sanction royale, subira d’autres modifications.

*Texte paru dans le Stratège, volume 21, no 23, du mois de septembre 2016

 

 

 

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Benoît Malboeuf.