Une histoire qui fait date
mediagram_123RF

Les auteurs font ressortir que l’agent d’assurance a joué un rôle déterminant dans le décollage de l’industrie. Au milieu du 19e siècle, la vente d’assurance se faisait en plaçant des publicités dans des journaux et des almanachs. Les clients intéressés devaient se présenter aux bureaux des agences ou communiquer leur intérêt en envoyant une lettre par la poste.

Ottawa intervient

Les assureurs américains viennent changer les règles du jeu : leurs agents sollicitent activement la clientèle et se déplacent partout, dans les villes et les villages. En conséquence, les ventes d’assurance vie prennent leur envol. Et les parts de marché des assureurs américains explosent.

Toutefois, dès 1868, l’État canadien intervient afin de freiner la progression des assureurs vie américains et de favoriser l’essor de compagnies de propriété canadienne. Le paysage de l’assurance de personnes – et même le visage des grandes villes – change radicalement.

À la suite de nouvelles règles imposées par le gouvernement fédéral, la plupart des assureurs américains et britanniques quittent le pays. La région de Toronto en sort gagnante, car elle attire la majorité des sièges sociaux des nouvelles compagnies canadiennes. Et Montréal sera la grande perdante, puisque la métropole hébergeait les sièges sociaux des assureurs américains et britanniques.

À la fin du 19e siècle, Ottawa commence également à poser des balises pour encadrer les ventes, parfois trop agressives. Par exemple, de 1870 à 1875, les taux de résiliation des polices d’assurance vie oscillaient entre 25 % et 44 %, probablement en raison des fortes commissions de vente de première année.

Les auteurs tentent également d’expliquer la dynamique de la création de produits. La démonstration est parfois laborieuse, mais on comprend que vers la fin du 19e siècle, les classes moyennes et les salariés sont dans la ligne de mire des assureurs de personnes. C’est le début des produits sans examen médical, des polices participantes, de l’assurance collective et des pensions viagères.

Points de vue discutables

Cela dit, l’histoire écrite par des universitaires n’est jamais synonyme de «neutralité» ou «d’objectivité». Ainsi, les auteurs de l’Histoire de l’assurance de personnes ont leurs partis pris et leurs opinions, parfois très tranchées.

Par exemple, ils affirment que la croissance des compagnies d’assurance vie québécoises a été «un instrument économique au service du développement de la bourgeoisie canadienne-française».

Ce point de vue typique des années 1970 est très réducteur, car il postule que la motivation première des fondateurs des compagnies d’assurance vie québécoises est de s’enrichir afin d’habiter dans de somptueuses résidences (comme celle de Guillaume-Narcisse Ducharme, fondateur de La Sauvegarde, dont la photo apparaît en page 148).

Or, comme l’a montré Claude Cardinal dans son livre De la fraternité au conglomérat 2, publié en 2010, les choses sont plus complexes. Les compagnies québécoises, montre-t-il, sont nées dans la foulée de la pendaison de Louis Riel à la fin du 19e siècle. Elles ont ensuite pris de l’ampleur parallèlement à l’assimilation des francophones dans l’Ouest canadien et en Ontario.

Ainsi, les compagnies d’assurance vie québécoises, dit Claude Cardinal, se sont développées «comme si de leur succès dépendait l’avenir de notre société, québécoise et francophone».

Autre exemple de raccourcis explicatifs, les auteurs de l’Histoire de l’assurance de personnes jugent que l’assurance collective était «au service des intérêts des patrons des grandes entreprises». Selon les deux historiens, l’assurance collective n’aurait eu pour but que d’«augmenter la productivité, limiter les salaires et freiner le développement du syndicalisme». On a déjà vu des explications moins caricaturales que celle-ci.

Le lecteur devra ignorer ces points de vue très particuliers, ainsi que l’emploi d’anglicismes (fonds mutuels et fonds de pension au lieu de fonds communs de placement et régimes de retraite), les fréquentes fautes d’orthographe (Sodercan et ManuVie au lieu de Sodarcan et Manuvie) et l’usage de termes spécialisés mal définis comme la «tontine».

À ces conditions, tous apprendront quelque chose, car, pour avoir défriché 150 ans d’histoire en assurance de personnes, les auteurs n’ont certes pas chômé.