«Ce sont des pratiques que nous constatons encore. Nous préparons d’ailleurs notre rapport annuel qui doit sortir en juin, et chaque fois, elles font partie des principaux manquements cités», indique le président sortant de la Chambre de la sécurité financière (CSF), Luc Labelle.

Sa successeure intérimaire, Marie Elaine Farley, ne veut pas alarmer les chefs de conformité. Selon elle, ces pratiques sont loin d’être monnaie courante, bien que quelques représentants ayant fait du churning aient déjà été sanctionnés.

Pointage des régulateurs – édition 2015 

«Les représentants ont en général de bons comportements et travaillent de manière éthique pour leurs clients, mais un seul cas de churning est un cas de trop, car il engendre des frais pour le client», considère-t-elle.

Marie Elaine Farley souligne que non seulement cette pratique n’est pas éthique, mais qu’elle est illégale : «Un représentant n’agit pas contre la loi s’il vend un fonds, mais il est dans l’illégalité s’il le fait uniquement pour en tirer un profit grâce aux commissions».

Bref, plus un acte normal s’éloigne de l’intérêt du client, plus il tend à frôler la frontière entre le manque d’éthique et l’illégalité.

La bougeotte sur le radar

Le churning représente un «des risques importants dans une firme» qui justifie une surveillance accrue, selon Jean Carrier, vice-président, conformité, du Groupe Financier Peak.

«Nos systèmes informatiques nous permettent maintenant de détecter ce type d’opérations. Tous les mois, nous recevons un rapport mensuel sur les transactions qui mettent en évidence, par exemple, les commissions qui sont au-dessus de 1 500 $. Nous voyons ainsi les comptes où ça bouge trop», explique Jean Carrier.

Il affirme ne pas avoir vu beaucoup de cas chez Peak. «J’ai l’impression que les conseillers qui font cela sont ceux qui veulent faire de l’argent rapidement et/ou des gens trop endettés», dit le vice-président.

«Je considère que c’est une pratique qui se produit plus souvent en valeurs mobilières qu’en fonds communs, mentionne, quant à lui, Gino Savard, président de Mica Services financiers. En fonds communs, la majorité des changements que nous effectuons se font sans commission, tandis qu’en valeurs mobilières, un conseiller malveillant peut vendre un peu de Bombardier, un peu d’Air Canada et aller passer une fin de semaine à Tremblant.»

Il admet néanmoins qu’un représentant en épargne collective qui «bouge et roule son portefeuille d’une famille de fonds à une autre sans autre objectif que de générer des commissions» manque d’éthique.

Gino Savard soutient qu’en général, les représentants en épargne collective effectuent des opérations afin de faire un sain rééquilibrage d’un portefeuille avec des ventes sans frais.

«Personne n’est contre la vertu, mais ce n’est pas parce qu’il y a eu quelques transactions que c’est nécessairement du churning. Des rééquilibrages de portefeuille peuvent être justifiés par des changements de besoins, par les marchés, par plein de choses…», mentionne aussi Marylène Royer, avocate, directrice conformité, distribution, assurance de personnes et épargne (Est du Canada), pour le Mouvement Desjardins.

Agir en professionnel

Cette dernière met ainsi l’accent sur l’importance d’une prise de notes pour les conseillers qui va au delà de la mise à jour du formulaire «Connaître votre client (CVC)». «Le document n’explique pas le fondement propre du changement de portefeuille et le consentement du client. On pourrait prétendre que ce dernier a été influencé par une recommandation non justifiée de son représentant», fait-elle remarquer.

Marie Elaine Farley pèse aussi ses mots sur la nécessité pour les conseillers de tenir des dossiers détaillés. «Prenez le temps de bien expliquer à vos clients les changements que vous effectuez. Ne présumez pas qu’ils comprennent ce que vous dites. Confirmez avec eux leur compréhension. Vous devez pouvoir démontrer que vous avez bien travaillé», conseille-t-elle.

La présidente intérimaire de la CSF demande aux professionnels du placement d’éviter le piège de sentir qu’ils ont moins de comptes à rendre parce qu’ils sont devenus proches de leurs clients après plusieurs années de relation d’affaires.

D’ailleurs, la mauvaise tenue des dossiers clients et les manquements liés aux obligations de convenance figurent en tête des irrégularités les plus fréquemment rencontrées par l’Autorité des marchés financiers (AMF) lors d’une inspection, indiquait Sylvie Lacroix, inspecteure à l’AMF, lors du 8e colloque de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ), au printemps 2014.

Prix controversés

Par ailleurs, les concours de ventes demeurent controversés, selon les répondants du sondage. Ils ne sont pas permis en épargne collective, mais demeurent autorisés de manière restreinte en assurance de personnes, précise Marie Elaine Farley.

En effet, depuis octobre 2013, le Règlement sur l’exercice des représentants de l’AMF fait en sorte que les concours de ventes ne sont légaux que s’ils ne portent pas préjudice aux clients.

«Je ne peux pas affirmer qu’une plainte a déjà été déposée en raison d’un concours de ventes. Cependant, plusieurs conseillers ont été traduits en justice pour avoir vendu un produit qui n’était pas dans l’intérêt de leur client, car il a été démontré que celui-ci générait plus de commissions», remaque Marie Elaine Farley.

Même si les concours de ventes ont été éliminés en épargne collective, une forme d’avantages demeure : les conventions organisées par les compagnies d’assurance et par les cabinets.

«En général, je trouve éthique la manière dont les cabinets fonctionnent dans la mesure où il n’y a aucun incitatif que ce soit à vendre un produit ou un autre ou à le faire sous un modèle ou un autre. De mon côté, j’offre des suppléments à mes 40 meilleurs conseillers quels que soient les produits qu’ils vendent ou leur modèle d’affaires afin de souligner leur performance», indique Gino Savard.

Il admet néanmoins que la question des avantages offerts par les compagnies d’assurance est plus délicate. «En assurance, les conventions, je ne déteste pas ça, mais elles pourraient inciter un conseiller à concentrer le total ou la majorité de ses affaires avec un seul assureur», dit-il.

Gino Savard rappelle qu’en assurance de personnes, un représentant doit tout de même faire signer à son client un document de divulgation (requis par l’AMF) de son modèle d’affaires et des conflits d’intérêts potentiels, sur lequel il indique les principales compagnies avec lesquelles il fait affaire, son mode de rémunération et le fait qu’il peut être admissible à des concours en vendant des produits.

«Je dis à mes clients que naturellement, je ne travaille pas bénévolement et que si je fais beaucoup de commissions, ça peut me permettre de partir en voyage, et ils me répondent : « On sera bien contents pour toi, Gino ! »»

Marylène Royer ramène la préoccupation à un point central : «La question principale reste celle du conflit d’intérêts. Est-ce que le boni du concours de ventes incitera le conseiller à privilégier ses propres intérêts ou ceux de son client ?»

En petits caractères

Des répondants au sondage se sont également plaints des publicités trompeuses. Quoiqu’ils les déplorent, les intervenants interrogés ne les considèrent pas comme un fléau.

«Depuis les Earl Jones et Vincent Lacroix, ce genre de publicités dans lesquelles on retrouve de belles promesses a pas mal disparu», dit Gino Savard. Son cabinet s’assure que la publicité de ses représentants soit adéquate en leur fournissant des outils pour présenter leur offre de services et les frais qui y sont reliés.

«Les publicités sont encadrées. Nous ne parlons pas tant de publicité trompeuse, mais plutôt de publicité qui fournit une information mauvaise ou incomplète», mentionne Marie Elaine Farley. Par exemple, certaines publicités qui promettent des rendements au client précisent en petits caractères que le rendement peut contenir un remboursement de capital.

Jean Carrier n’a pas retenu d’exemples flagrants de publicités malhonnêtes. «Parfois, certains ne donnent pas l’information complète. On promet un rendement X, mais on ne précisera pas pour quelles années. Je n’ai pas vu de choses extraordinaires. Les problèmes se voient davantage chez les gens qui ne sont pas inscrits», observe-t-il.

Il reste que les pratiques de commercialisation sont la septième plus fréquente irrégularité rapportée par l’AMF à la suite de ses inspections. Selon Sylvie Lacroix, les publicités ne sont pas toujours révisées ni approuvées. «On en trouve qui sont trompeuses et manquent de rigueur», avait-elle affirmé lors du colloque du CFIQ.