Et les courtiers font tout pour que l’opération soit harmonieuse. En général, les directeurs de succursale préparent le terrain, puisqu’ils sont évalués entre autres sur la présence et la qualité des plans de relève des conseillers. «Le directeur de succursale est vraiment le point d’ancrage», signale Charles Martel, directeur exécutif – Québec chez CIBC Wood Gundy.

La gestion de la relève les préoccupe souvent davantage que les conseillers eux-mêmes, selon Sylvain Brisebois, directeur général et premier vice-président chez BMO Nesbitt Burns : «Les conseillers disent toujours y avoir pensé, mais qu’ils ont encore du temps devant eux.»

Il reste que la qualité du programme de relève de leur courtier est importante aux yeux des conseillers, selon notre sondage. Les répondants accordent une note de 7,9 points sur 10 à l’importance de ce critère, mais une note moyenne de 6,6 points à leur firme, ce qui témoigne d’insatisfactions.

BMO Nesbitt Burns interpelle les conseillers de 45 à 50 ans sur leur relève au moins une ou deux fois par an, note Sylvain Brisebois.

CIBC Wood Gundy offre plutôt des séminaires aux conseillers de 60 ans et plus, ou à ceux qui envisagent de quitter la profession. On ne veut pas leur montrer la porte, mais les préparer, d’après Charles Martel : «Un de mes top courtiers a 86 ans. Il est allumé, droit et peut faire la barbe à des courtiers de 40 et 50 ans. J’en voudrais 150 comme lui. Malgré tout, il est important de planifier sa succession.»

Généralement, la collaboration est bonne entre les conseillers lors d’un transfert de bloc, et ceux-ci profitent du soutien du courtier.

«C’est très rare qu’on impose un candidat. On ne rachète pas la pratique d’un conseiller afin de la revendre ensuite. Ce n’est pas un bon scénario», dit Paul Balthazard, directeur général régional, Québec, chez RBC Dominion valeurs mobilières. Le courtier peut néanmoins refuser le candidat proposé.

Selon Sylvain Brisebois, un conseiller pourrait demander l’aide de son directeur de succursale pour trouver sa relève. Mais dans «la grande majorité des cas, le futur retraité voudra bien [la] connaître et l’observer durant un certain temps».

Dans tous les cas, les dirigeants du courtier ont le processus à l’oeil. «Dans le cas où le mariage fonctionne bien, c’est facile, mais si ça va moins bien, il faut trouver une façon de rétablir une indépendance au sein des deux conseillers concernés, qui deviendraient alors deux équipes distinctes», illustre Sylvain Brisebois.

Non aux enchères

Les courtiers tentent d’éviter qu’un conseiller essaie de gonfler son prix de vente en proposant son bloc d’affaires au plus offrant au sein de sa succursale ou auprès d’un concurrent.

«Nous recherchons toujours une convention qui convienne à toutes les parties, dit Charles Martel. Nous ne voulons pas qu’il y ait un encan pour les books, car c’est malsain.»

«On a notre veto», confirme Luc Papineau, vice-président et directeur général chez Valeurs mobilières Desjardins (VMD). Il a déjà bloqué une transaction «car on trouvait que c’était trop cher. L’acheteur doit être capable de rembourser». Il souligne qu’une éventuelle crise financière pourrait réduire les revenus générés par un bloc d’affaires.

Plusieurs formules peuvent donner un mariage heureux pour un conseiller qui vend son bloc d’affaires. Celui-ci peut segmenter sa clientèle et la vendre à plus d’un conseiller ou plus d’une équipe. Il peut se lier à un conseiller nouvellement débauché auprès d’un courtier concurrent.

Dans tous les cas, le but est le même : que la transition nuise le moins possible à la clientèle, même si une légère attrition est normale. Selon Paul Balthazard, les conseillers séniors considèrent souvent leurs clients comme des amis et veulent que ça se passe bien.

Chez RBC Dominion, une transition s’étend généralement sur une année, alors que chez CIBC Wood Gundy, ce processus s’échelonne sur deux ans. Ce dernier courtier privilégie le mentorat, selon lequel les nouveaux conseillers sont jumelés à un conseiller d’expérience ou à une équipe.

Le directeur de succursale travaillera autant avec le futur retraité qu’avec sa relève. «Bien que les conseillers aient accès aux mêmes outils et ressources, chaque succursale va être imprégnée du leadership de son directeur», analyse Charles Martel.

Risques du financement

Pour établir la valeur d’une clientèle, chaque firme a sa propre grille d’évaluation. Les principaux critères restent les mêmes, par exemple les revenus générés, la proportion de comptes à honoraires, la taille des comptes et l’âge des clients. Plus un bloc génère des revenus récurrents et appelés à croître, plus le prix de vente est élevé.

En règle générale, le prix d’une clientèle varie de 80 à 125 % des revenus générés la dernière année, selon le mode de rémunération et l’importance de l’actif géré.

Si les courtiers ont un droit de veto sur la valeur d’un book, c’est souvent parce qu’ils encourent un risque financier. Le vendeur reçoit de l’acheteur un paiement échelonné sur quelques années, lequel est prélevé à même les revenus bruts de l’acheteur. Le courtier agit alors comme un banquier, qui fait l’intermédiaire entre les deux parties.

Par exemple, chez VMD, le vendeur se fait payer sur 36 mois, alors que l’acheteur peut rembourser sur 60 mois. Cet écart engendre un risque pour le courtier.

Chez CIBC Wood Gundy, le vendeur se fait payer d’un seul coup, alors que l’acheteur remboursera en moyenne sur quatre ans.

Chez RBC Dominion, «l’achat est en général payable sur trois ans», affirme Paul Balthazard. Pour que le conseiller puisse l’absorber, «il est assez rare chez nous qu’un junior prenne la relève. Ça va surtout être un conseiller plus sénior», dit-il.