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Le cadre de cette chronique ne permet pas de commenter dans son ensemble le projet de loi déposé par le ministre des Finances du Québec la semaine dernière. En effet, il est impossible de commenter intégralement, dans un format digeste et dans l’espace qui m’est alloué, un projet de loi de 485 pages, 741 articles, qui modifie, abroge ou remplace 60 lois et en crée deux nouvelles.

Je me contenterai donc de cibler certains aspects biens précis du projet de loi, me doutant fort bien qu’il est possible que j’y revienne dans une prochaine chronique ou d’une autre manière.

Commençons par admettre que nul ne peut remettre en doute la prémisse que le ministre invoque pour justifier son action : plusieurs lois encadrant notre secteur devaient avoir une révision quinquennale et n’avaient jamais été revue depuis près de 20 ans, le monde a changé pendant ce temps et il était impératif de revoir certains éléments obsolètes.

Mais cette prémisse ne saurait justifier la quasi-absence de consultation sur les sujets abordés dans le projet de loi et l’opacité du ministre quant aux consultations privées qui ont eu lieu. Le secret nous permet de redouter bien des choses et le résultat qui a été déposé la semaine dernière laisse croire que le ministre a eu une oreille bien plus attentive à certaines entreprises, organisations ou, appelons un chat un chat, coopérative.

Il est déplorable qu’une loi qui viendra bouleverser de nombreux secteurs de l’économie du Québec ne soit pas la source de vastes consultations, études et concertations. Il est pourtant reconnu qu’à plusieurs têtes on peut arriver à un meilleur résultat. Il est encore plus déplorable de noyer ensemble dans un même projet de loi mammouth une foule de sujets disparates au seul motif qu’ils relèvent tous du ministre des Finances.

En ce cas, la cohérence de l’ensemble ne me semble pas être la motivation tant le courtage immobilier, la Loi sur les assurances, les lois encadrant Desjardins et l’encadrement de la discipline chez les professionnels sont des sujets différents qui n’ont pas de liens si évidents entre eux.

Il est alors permis de suspecter, outre la volonté du ministre de tout régler en même temps, une stratégie politique maintes fois utilisée : noyer le poisson, complexifier les enjeux pour éviter de mettre l’attention sur un seul sujet et, ultimement, invoquer la lourdeur et la lenteur du processus pour justifier le recours au bâillon, mettant ainsi fin aux consultations et débats pour adopter à toute vapeur le projet de loi.

Je laisse au ministre le loisir de me donner tort et de mener de véritables consultations sur son projet de loi, de l’améliorer et de répondre véritablement, et non rhétoriquement, aux critiques et inquiétudes soulevées.

Sincèrement, j’en serais ravi.

Alors je lui en donnerai la chance et soumettrai pour son bénéfice un premier élément de réflexion : l’indépendance des professionnels du secteur financier est un élément essentiel à la protection du public.

Un professionnel agit avec compétence, indépendance d’esprit et dans l’intérêt de son mandant : son client. Il est assujetti à un Code de déontologie et doit, dans le cadre de ses fonctions, faire preuve d’une intégrité et d’une moralité bien plus élevée que la masse.

Au Québec, il toujours été reconnu que l’autoréglementation des professionnels était la voie pour assurer leur encadrement et que la discipline par les pairs devait primer afin de rendre justice en respectant toutes les subtilités et particularités de la profession.

L’indépendance des professionnels passe également par l’administration de leur organisation professionnelle. On ne peut, en effet, se prétendre indépendant si on n’a pas le contrôle sur ses structures décisionnelles, sur ses dirigeants et sur les finances de son organisation.

Bien qu’au Québec, il faille un Ordre pour prétendre au statut de professionnel, je soumets que, dans les faits, nous en avions un ou presque. C’est celui que le projet de loi nous retire en l’intégrant à l’Autorité des marchés financiers.

Et ici, je ne souhaite pas jeter la pierre à cette dernière. Bien que j’aille des réserves importantes sur la possibilité d’intégrer, dans le respect du professionnel et de son indépendance, la Chambre de la sécurité financière à l’Autorité des marchés financiers (réserves dont je traiterai ultérieurement) je crois qu’il ne faut pas inutilement tirer sur celui qui reçoit le ballon mais plutôt sur celui qui l’a lancé.

Donc, en matière d’indépendance du professionnel, ce projet de loi serait un pas de recul important : la perte de l’administration de ses structures décisionnelles. Le professionnel serait directement assujetti à une structure étatique, la même qui rédige la réglementation du secteur financier.

Pourtant, l’importance de l’indépendance n’a jamais été si grande que maintenant. À l’heure où il est de plus en plus reconnu que le secteur financier est parfois sujet à des pressions ou pratiques douteuses en matière de vente, de conseil ou de prestation, l’indépendance du professionnel, son jugement et son intégrité constituent un rempart capital dans la protection du consommateur.

C’est un élément fondamental d’un bon système de conformité qui repose sur l’ensemble des éléments dans la hiérarchie d’une organisation.
Ce rempart est encore plus important au sein de certaines organisations de notre secteur qui ont été maintes fois pointées du doigt pour leurs pratiques commerciales douteuses.

Le projet de loi devrait miser sur le renforcement de cette indépendance et du professionnalisme individuel plutôt que de fondre des structures ensemble.

De plus grosses structures ne génèrent pas toujours plus d’économie et de cohérence. Souvent, la main droite ignore ce que fait la main gauche et les mécanismes de contrôle, nécessaires considérant la taille de la bête, finissent par coûter plus cher que les économies d’échelle (encore à prouver) permettent. Déjà vu vous dites?

L’intégration de la CSF à l’Autorité représenterait un recul important de l’indépendance des professionnels qui y perdraient leur capacité à s’encadrer et se concerter dans un but de protection du public. Le champ de pratique s’éloignera de l’encadrement, avec les difficultés que cela entraînera.

Alors que l’Ontario s’inspire de la CSF dans ses réflexions sur l’encadrement de son secteur, nous prendrions le chemin opposé. C’est absurde.

Au motif de la simplification et du guichet unique, on intègre la CSF et la CHAD à l’Autorité. Que fait-on de l’OCRCVM et du MFDA? Le guichet ne sera pas unique et l’idée devient caduque. Serait-ce parce que ce sont des organismes pancanadiens? Moi qui croyait que le gouvernement défendait la compétence du Québec en ces matières… Ça aussi c’est absurde.

Cela dit, il est clair que la CSF a des choses à améliorer. Elle-même arrive à le reconnaître. Ses membres et ses structures sont au travail en ce sens depuis des mois et il reste du boulot à accomplir.

Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Et bien que j’ai été (et que je sois encore) critique de la CSF sous certains aspects, j’ai choisi de faire ma part pour améliorer les choses et de m’y impliquer plutôt que de chialer, de rester sur les lignes de côté et de réclamer sa disparition.

Parce qu’au moins, je peux encore choisir mes représentants au conseil d’administration, participer à l’assemblée générale, voter le montant de ma cotisation de membre et prendre part aux décisions.

Le projet du ministre ne prévoit rien de cela. Et peut-être que c’est vraiment ce que certains veulent…