Trump pose ses jalons vers une dérèglementation du secteur financier
mikhailleonov / 123RF Banque d'images

Les allégations de collusion avec la Russie pendant la campagne électorale américaine et les difficultés à faire adopter des mesures législatives par le Congrès qui marquent le mandat du président semblent avoir peu d’impact pour l’instant sur les actions visant la dérèglementation. « Cela s’explique essentiellement par le fait que beaucoup de changements réglementaires ne nécessitent pas l’approbation du Congrès », écrit Angelo Katsoras dans l’édition de juin du bulletin Géopolitique en bref.

La déréglementation de la loi Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act est la principale cible de l’administration Trump. Entrée en vigueur en juillet 2010 sous l’administration Obama, elle représente quelque 2 300 pages et que 111 de ses 390 « exigences de réglementation » n’ont pas encore été parachevées, font valoir les tenants de la dérèglementation.

Ils évoquent aussi les coûts importants pour les banques que nécessite sa mise en conformité. De 2010 à 2016, les banques américaines auraient consacré 73 millions d’heures et dépensé 36 milliards de dollars (G$) pour s’y conformer. « Le nombre de personnes travaillant directement au contrôle chez JP Morgan Chase, la plus grande banque des États-Unis, est passé de 24 000 en 2011 à 43 000 en 2015. Cela représente un employé sur six », illustre Angelo Katsoras.

À l’inverse, les défenseurs de la loi Dodd-Frank estiment que ces coûts sont minimes en comparaison des dommages infligés par la crise financière. Ils font aussi remarquer « que les six plus grandes banques ont augmenté leurs niveaux de fonds propres de moins de 8 % de l’actif total en 2007 à environ 14 % aujourd’hui ».

Officiellement, la révocation ou la modification de la loi Dodd-Frank « est quasi impossible », mentionne Angelo Katsoras. Mais pour y apporter des changements réglementaires, « il n’est pas nécessaire que le congrès donne son approbation », prend-il soin d’ajouter. La Réserve fédérale, l’Office of the Comptroller of the Currency, la SEC et la Federal Deposit Insurance Corporation « ont des pouvoirs considérables pour donner forme à la réglementation inspirée par la loi Dodd-Frank et la modifier ».

De fait, Donald Trump a demandé, en février, aux diverses autorités de réglementation financières « de trouver des moyens d’alléger le fardeau de la réglementation du secteur financier ».

Nominations « temporaires » en série

Pour mener à bien ses projets de déréglementation, le président Donald Trump a notamment nommé à la tête d’organismes de réglementation, des personnes issues du secteur privé, réputées pour avoir combattu pendant des années ces mêmes organismes. C’est ce que le stratège du président Trump, Steve Bannon, appelle la « déconstruction de l’État administratif », mentionne Angelo Katsoras.

À titre d’exemple, Keith Noreika, un ancien avocat financier, a été nommé chef temporaire de The Office of the Comptroller of the Currency, l’un des trois principaux organismes de réglementation responsables de la supervision des banques à charte nationales.

Il faut dire que les nominations temporaires ne nécessitent pas l’approbation du Sénat, ce qui permet à l’administration Trump de progresser dans son projet de déréglementation sans avoir encore nommé un dirigeant permanent devant être approuvé par le Sénat.

Autre exemple : Jay Clayton, ex-avocat ayant conseillé Goldman Sachs et d’autres institutions financières, a été nommé à la présidence de la Securities and Exchange Commission. « Il a fait voeu de se concentrer sur l’augmentation du nombre de premiers appels publics à l’épargne en allégeant la réglementation », indique Angelo Katsoras.

Christopher Giancarlo, nommé président intérimaire de la Commodity Futures Trading Commission dès l’élection de Donald Trump, attend l’approbation du Sénat pour être nommé de manière permanente. « Le chef de cet organisme a le pouvoir de réviser les règles de négociation, particulièrement pour les swaps. Avant d’accepter ce poste. M. Giancarlo avait passé des années à faire pression sur la commission au nom de clients pour atténuer ces règles » dit Angelo Katsoras.

Aussi, Randal Quarles, ancien associé de la société de capital-investissement Carlyle Group, pourrait être nommé à la vice-présidence chargée de la supervision des banques à la Réserve fédérale, en remplacement de Daniel Tarullo qui a supervisé la mise en oeuvre de règles bancaires plus strictes à la suite de la crise financière de 2007. Randal Ouarles, qui a aussi travaillé au département du Trésor sous la présidence de George W. Bush, pourrait tenter d’annuler « un certain nombre de règlements, notamment en abaissant les réserves de fonds propres obligatoires pour les banques », estime Angelo Katsoras. Il précise : « Les exigences de fonds propres relèvent de la compétence de la Réserve fédérale, ce qui implique qu’elles peuvent être ajustées sans l’approbation du Congrès ».

Il s’agit en effet de changements devant être approuvés par le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale. Toutefois, au cours de la prochaine année, le président Trump « sera en mesure de pourvoir cinq des sept sièges du Conseil, y compris la présidence, une fois que le mandat de Janet Yellen prendra fin au début de l’an prochain », souligne Angelo Katsoras.

Celui-ci est d’avis que les chances sont bonnes d’assister alors à des nominations de « personnes issues du secteur privé favorables à un allégement de la réglementation. Celles-ci joueront aussi un rôle de première importance dans la fixation des taux d’intérêt ».

Toutes choses étant égales par ailleurs et nonobstant les préoccupations concernant les effets à long terme pour l’environnement, « l’effet combiné d’un allégement de la réglementation des secteurs financier et énergétique des États-Unis pourrait placer les sociétés canadiennes en désavantage par rapport à leurs concurrentes américaines », analyse Angelo Katsoras.

Il note toutefois que si le parti Républicain s’incline lors de l’élection présidentielle de 2020, « bon nombre de ces décrets ou changements réglementaires seront probablement renversés ».