«Si on place les fonds excédentaires dans le CELI de l’entrepreneur plutôt que de les garder dans la société, on se retrouve généralement avec une plus grande somme d’argent à long terme», indique Jamie Golombek, directeur gestionnaire Planification fiscale et successorale chez Gestion privée de patrimoine CIBC.

C’est ce que prouvent les calculs qu’il a effectués l’an passé à partir du taux maximal d’imposition et de la contribution annuelle maximale au CELI alors en vigueur. Or, le nouveau gouvernement fédéral vient de hausser ce taux marginal d’imposition pour les contribuables ayant un revenu imposable de 200 000 $ et plus. De surcroît, ce même gouvernement a abaissé la contribution annuelle au CELI à 5 500 $, soit son ancien plafond.

Finance et Investissement a demandé au fiscaliste de refaire ses calculs afin de vérifier si son hypothèse tenait toujours la route. Et la conclusion reste la même. «La principale raison qui explique ma réponse est le fait que les placements à l’intérieur d’un CELI sont exonérés d’impôt», précise-t-il.

L’entrepreneur se retrouve gagnant bien qu’il ait une plus petite somme à investir dans son CELI. En effet, son capital à réinvestir sera amputé des impôts personnels qu’il devra payer sur le versement de dividende que lui attribuera son entreprise. L’entreprise, elle, aura une plus grande somme à investir, mais ses revenus de placement seront réduits des impôts que la société aura à payer, ce qui diminue du coup le potentiel de croissance.

Comment procéder

La première étape à franchir consiste à déterminer le revenu brut que la société doit générer avant impôt afin de verser à l’entrepreneur les fonds nécessaires pour que ce dernier encaisse 5 500 $ après impôts. Pour les fins du calcul, Jamie Golombek a supposé que les sommes distribuées par la société étaient admissibles à la déduction pour petite entreprise (la DPE allouée aux sociétés privées sous contrôle canadien qui touchent un bénéfice inférieur à 500 000 $) et qu’elles étaient versées sous la forme de dividendes plutôt que de salaires.

Ainsi au Québec, pour l’année d’imposition 2016, la société devra dégager un bénéfice de 12 015 $ sur lesquels seront prélevés 2 223 $ d’impôt sur les sociétés pour une remise au propriétaire de 9 792 $ (voir le graphique 1). Cette somme sera alors imposée de nouveau entre les mains du propriétaire. Sur les 9 792 $ ainsi touchés par le propriétaire, 4 292 $ iront au fisc. Le propriétaire aura ainsi le revenu net désiré de 5 500 $ qu’il allouera à son CELI.

Mais à quoi bon investir 5 500 $ après impôt dans le CELI du propriétaire, alors que la société aurait pu investir elle-même 9 792 $ après impôt si aucun retrait n’avait été effectué ? Parce que l’entrepreneur aura en poche 5 775 $ l’année suivante si l’on présume un rendement de 5 %, et ce, peu importe le type de revenu touché. Si l’entreprise avait conservé un an de plus les 9 792 $ plutôt que de les distribuer immédiatement à l’entrepreneur, ce dernier aurait en poche, après avoir acquitté un an plus tard les impôts de la société et ceux sur ses revenus personnels, 5 720 $ si l’entreprise obtient le même rendement de 5 % en intérêt. L’entrepreneur serait donc perdant de 50 $.

Une vision à long terme

Toutefois, l’entrepreneur aurait gagné s’il s’était montré plus patient et que l’entreprise avait obtenu un dividende admissible ou un gain en capital de 5 %. Dans ce cas, il aurait touché, respectivement, une somme de 5 795 $ et 5 855 $, toujours compte tenu des impôts sur les bénéfices de la société et des impôts sur le revenu du propriétaire de l’entreprise (voir le graphique 2).

Cependant, le portrait change radicalement si l’on allonge l’horizon de placement. Ainsi, sur une période de 30 ans, l’entrepreneur aurait accumulé plus d’argent s’il avait investi annuellement 5 500 $ dans son CELI plutôt que de laisser à son entreprise le soin de placer ces sommes dans des placements rapportant des intérêts ou des dividendes admissibles. (Voir le graphique 3)

Un rendement de 5 % sur 30 ans dans le CELI aurait permis de rapporter 23 800 $ de revenus nets de placement par rapport à seulement 15 100 $ si l’entreprise avait touché un rendement de 5 % en intérêt et 19 700 $ en dividendes admissibles (voir le graphique 3)

Les conclusions diffèrent cependant pour ce qui est des placements procurant plutôt un gain en capital. En effet, après 30 ans, l’entrepreneur aurait touché 24 600 $ si l’entreprise avait investi dans des placements lui procurant un rendement de 5 % en gain en capital réalisé régulièrement chaque année. C’est un gain relativement modeste de 800 $ par opposition au CELI.

Toutefois, si l’entreprise avait obtenu le même rendement de 5 % en gain en capital, mais différé sur toute la période (aucun intérêt, dividende ou disposition du placement), alors le placement à l’intérieur de l’entreprise aurait été nettement plus avantageux avec des revenus nets de placement totalisant 29 100 $ par rapport à 23 800 $ pour le CELI. L’attrait du CELI est donc nettement moindre si l’entrepreneur a l’intention de privilégier les gains en capital.

Cependant, il est peu probable que le gain en capital soit différé sur 30 ans. «L’investisseur moyen possède un portefeuille équilibré, par exemple 70 % en obligations et 30 % en actions. Il touchera donc souvent des intérêts et des dividendes. De plus, il est probable qu’il procède à des réallocations de son portefeuille qui entraîneront la réalisation de gains en capital. Un gain en capital différé sur 30 ans ne se présente que rarement», observe Jamie Golombek. Le CELI est donc la voie à privilégier selon lui.

Le CELI est saisissable

Des fiscalistes rappellent toutefois que d’autres facteurs doivent être considérés avant de conclure que le CELI est plus avantageux. Francys Brown, associé, fiscalité, chez Demers Beaulne, observe qu’il serait intéressant de refaire l’exercice pour différents taux d’imposition. Le fiscaliste fait également remarquer que le CELI se démarque principalement pour les placements qui rapportent des revenus d’intérêt. «Considérant que les entrepreneurs investissent rarement dans des placements 100 % en revenus d’intérêt, je me demande si l’écart est suffisamment important pour qu’on puisse appeler cela une stratégie ?» s’interroge-t-il.

Alain Bertrand, CPA et CA, constate lui aussi que l’avantage semble assez faible. Il tient à apporter des précisions. «Je vois cette décision comme celle du choix entre le versement d’un salaire ou le versement d’un dividende. C’est une décision annuelle qui dépend des faits et circonstances de l’année courante», constate le fiscaliste de Blanchette Vachon.

Parmi les facteurs dont il faut tenir compte, Alain Bertrand fait quelques suggestions. «Vu les possibilités de fractionnement qu’offre une société par actions, le CELI peut devenir moins intéressant. Il faut aussi considérer le niveau de protection recherché. Le CELI est saisissable alors qu’une société de portefeuille détenue par une fiducie constitue probablement une meilleure protection contre les créanciers», prévient-il.