L'AMF satisfaite des débuts du programme de dénonciation
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Le programme lancé en juin dernier a déjà recueilli près d’une trentaine de dénonciations dont la majorité sont de bonne qualité, a indiqué Éric René, directeur des services des enquêtes à l’AMF lors de la 11e édition, du Rendez-vous avec l’AMF, lundi : « Ce sont de bons résultats, malgré le fait que le programme est assez nouveau. »

« Nous sommes heureux de l’information que nous avons reçue jusqu’à maintenant. Pas toutes les dénonciations, mais la majorité des dénonciations nous ont donné de l’information que nous n’avions pas et que nous n’aurions par été en mesure d’avoir avec nos outils habituels. Sans le dénonciateur, nous n’aurions jamais entendu parler de la situation. Jusqu’à maintenant, nous sommes contents. »

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De plus, malgré le fait que certaines informations ne tombaient pas dans la juridiction de l’AMF, la plupart des dénonciateurs ont accepté que l’information soit réacheminée au régulateur concerné.

La clé de la réussite d’un programme de dénonciation réside dans l’offre aux dénonciateurs des meilleures conditions de confidentialité et mesures anti-représailles, selon Jean-François Fortin, directeur général du contrôle des marchés à l’AMF.

Sur le plan de la confidentialité, le programme de dénonciation de l’AMF prévoit beaucoup d’effort pour protéger l’identité des dénonciateurs, dont une boite de courriel sécurisée qui ne peut être vue que par une équipe restreinte et apte à accepter les dénonciations.

« Nous expliquons que nous allons protéger l’information, l’identité du dénonciateur, dit Éric René. La grande majorité des dénonciateurs nous ont donné leurs coordonnées et leur noms. »

L’AMF peut faire également appel à diverses protections anti-représailles. « Par exemple, l’immunité de poursuite au civil protège les dénonciateurs contre d’éventuelles poursuites au civil découlant de leur dénonciation », lit-on dans le dépliant sur le nouveau programme.

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Toutefois, l’AMF n’a pas encore mis en place toutes les mesures anti représailles qu’elle souhaiterait voir sur pied, a noté Éric René : « Pour l’instant, la Loi sur l’AMF prévoit qu’on ne peut pas être poursuivi au civil pour dénoncer une situation à l’AMF. »

L’AMF a discuté avec le ministère des Finances du Québec obtenir des mesures anti-représailles aussi étendues que celle de son homologue ontarien. Éric Gagné espère que celles-ci se retrouvent dans le projet de loi sur l’encadrement du système financier, qui doit être déposé d’ici le 9 décembre, selon Carlos Leitao, ministre des Finances du Québec.

« On a eu des discussions positives avec le ministère. On s’attend à avoir les mesures anti représailles qu’on a demandé assez rapidement », a dit Éric René.

Pas de récompense

Éric René a expliqué pourquoi l’AMF n’offre pas de récompense aux dénonciateurs, contrairement aux programmes de dénonciation de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et de la Securities and Exchange Commission (SEC).

Se basant sur plusieurs études universitaires et conversations avec d’autres régulateurs étrangers, Éric René a conclu que « la majorité des programmes de dénonciations en place qui n’offraient pas de récompense et donnaient quand même d’excellents résultats. Les gens semblaient motivés par le fait de dénoncer des comportements illégaux. Les gens sont honnêtes et de bonne foi et ils vivent mal les situations ambigües ou illégales », a-t-il dit. Selon lui, avoir un programme structuré de dénonciation avec confidentialité et mesures anti-représailles suffit.

L’absence de fonds permettant de verser des récompenses significatives et l’absence de volonté de gérer « le fardeau » de l’attribution de récompenses ont aussi motivé sa décision.

À la SEC des États-Unis, l’attribution des récompenses se fait souvent au cas par cas et le degré d’implication du dénonciateur dans les malversations joue sur l’importance de la récompense.

L’AMF n’a pas tenu de consultation publique avant de lancer son programme, ce qui peut sembler inhabituel. Éric René a souligné qu’il s’est cependant basé sur l’ensemble des commentaires recueillis lors de la consultation de la CVMO.

Critique rejetée

L’une des principales critiques découlant de cette consultation est que la dénonciation aux régulateurs vient court-circuiter la possibilité au département de conformité interne des entreprises de réagir.

« Plusieurs commentateurs auraient voulu que ce soit obligatoire pour les dénonciateurs de dénoncer les irrégularités avant ou au même moment qu’ils les dénoncent à la CVMO. La société aurait l’occasion de faire sa propre investigation », a indiqué Heidi Franken, chef du Bureau de dénonciation et directrice adjointe (par intérim) de la direction de l’application de la loi de la CVMO.

Le régulateur ontarien n’a pas donné suite à cette proposition en se basant sur une étude universitaire qui analysait les entreprises qui ont formulé le même commentaire à la SEC, lors du lancement de son programme.

« Je généralise ici, mais les sociétés qui étaient les plus bruyantes sur le fait de se plaindre que le programme de dénonciation nuirait à leur système de conformité interne avant les pires systèmes de conformité », a indiqué Heidi Franken.

Aux États-Unis, parmi les dénonciateurs qui étaient employés des entreprises fautives, 80 % avaient déjà soulevé le problème à l’interne avant de faire appel à la SEC, a indiqué Jane Norberg, chef du bureau de dénonciation de la division de l’application de la loi, à la SEC.

« 80 %, c’est un chiffre élevé. Croyez-le ou non, mais la plupart aiment leur compagnie et aiment y travailler et s’attendent à ce que l’entreprise fasse la bonne chose. Ils deviennent très frustrés quand ils rapportent le problème à l’interne et le traitement est mauvais, ou n’ont aucune nouvelle, ou se font dire qu’il n’y a absolument rien de mal et qu’ils doivent continuer leur travail, tête baissée », a-t-elle dit.