«Nous sommes heureux de l’information que nous avons reçue jusqu’à maintenant. La majorité des dénonciations nous ont donné de l’information que nous n’avions pas et que nous n’aurions pas été en mesure d’avoir avec nos outils habituels. Sans le dénonciateur, nous n’aurions jamais entendu parler de la situation.»

De plus, bien que certaines informations ne soient pas sous la juridiction de l’AMF, la plupart des dénonciateurs ont accepté que l’information soit réacheminée au régulateur concerné.

La clé de la réussite d’un programme de dénonciation réside dans l’offre aux dénonciateurs des meilleures conditions de confidentialité et des mesures anti-représailles, selon Jean-François Fortin, directeur général du contrôle des marchés à l’AMF.

Sur le plan de la confidentialité, le programme de dénonciation de l’AMF prévoit beaucoup d’effort pour protéger l’identité des dénonciateurs, dont une boîte de courriel sécurisée qui ne peut être vue que par une équipe restreinte et apte à accepter les dénonciations.

«Nous expliquons que nous allons protéger l’information ainsi que l’identité du dénonciateur, dit Éric René. La grande majorité des dénonciateurs nous ont donné leurs coordonnées et leurs noms.»

L’AMF peut également faire appel à diverses protections anti-représailles. «Par exemple, l’immunité de poursuite au civil protège les dénonciateurs contre d’éventuelles poursuites au civil découlant de leur dénonciation», lit-on dans le dépliant sur le nouveau programme.

Toutefois, l’AMF n’a pas encore mis en place toutes les mesures anti-représailles qu’elle souhaiterait, a noté Éric René : «Pour l’instant, la Loi sur l’Autorité des marchés financiers prévoit qu’on ne peut pas être poursuivi au civil pour dénoncer une situation à l’AMF».

L’AMF a échangé avec le ministère des Finances du Québec afin d’obtenir des mesures anti-représailles aussi étendues que celles de son homologue ontarien. Éric Gagné espère que celles-ci se retrouveront dans le projet de loi sur l’encadrement du système financier, qui doit être déposé prochainement par Carlos Leitão, ministre des Finances du Québec.

«On a eu des discussions positives avec le ministère. On s’attend à avoir assez rapidement les mesures anti-représailles qu’on a demandées», a dit Éric René.

Pas de récompense

Éric René a expliqué pourquoi l’AMF n’offre pas de récompense aux dénonciateurs, contrairement aux programmes de dénonciation de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et de la Securities and Exchange Commission (SEC).

Se basant sur plusieurs études universitaires et conversations avec d’autres régulateurs étrangers, Éric René a conclu que «la majorité des programmes de dénonciation en place qui n’offraient pas de récompense donnaient quand même d’excellents résultats. Les gens semblaient motivés par le fait de dénoncer des comportements illégaux. Les gens sont honnêtes et de bonne foi, et ils vivent mal les situations ambigües ou illégales», a-t-il dit. Selon lui, le fait d’avoir un programme structuré de dénonciation avec confidentialité et mesures anti-représailles suffit.

L’absence de fonds permettant de verser des récompenses significatives et l’absence de volonté de gérer «le fardeau» de l’attribution de récompenses ont aussi motivé sa décision.

À la SEC des États-Unis, l’attribution des récompenses se fait toujours au cas par cas, et le degré d’implication du dénonciateur dans les malversations joue sur son admissibilité à la récompense ainsi qu’à l’importance de celle-ci. «C’est un processus qui demande beaucoup de ressources au bureau du dénonciateur», a admis Jane Norberg, chef du bureau de dénonciation de la division de l’application de la loi, à la SEC. Celle-ci a soutenu que les amendes sont essentiellement financées par les pénalités recueillies des firmes sanctionnées, et non par l’argent des investisseurs floués.

L’AMF n’a pas tenu de consultation publique avant de lancer son programme, ce qui peut sembler inhabituel. Éric René a souligné qu’il s’est cependant basé sur l’ensemble des commentaires recueillis lors de la consultation de la CVMO.

Critique rejetée

L’une des principales critiques découlant de cette consultation est que la dénonciation aux régulateurs vient court-circuiter la possibilité que le service de conformité interne des entreprises réagisse.

«Plusieurs commentateurs auraient voulu que les dénonciateurs aient l’obligation de dénoncer les irrégularités avant ou au même moment à leur service de conformité et à la CVMO. La société aurait l’occasion de faire sa propre investigation», a indiqué Heidi Franken, chef du Bureau de dénonciation et directrice adjointe (par intérim) de la direction de l’application de la loi de la CVMO.

Le régulateur ontarien n’a pas donné suite à cette proposition en se basant sur une étude universitaire qui analysait les entreprises ayant formulé un commentaire semblable destiné à la SEC, lors du lancement de son programme.

«Je généralise ici, mais les sociétés qui se plaignaient le plus que le programme de dénonciation nuirait à leur système de conformité interne avaient les pires systèmes de conformité», a indiqué Heidi Franken.

Aux États-Unis, parmi les dénonciateurs qui étaient employés des entreprises fautives, 80 % avaient déjà soulevé le problème à l’interne avant de s’adresser à la SEC, a indiqué Jane Norberg.

«80 %, c’est un chiffre élevé. Croyez-le ou non, mais la plupart aiment leur entreprise et aiment y travailler, et ils s’attendent à ce que l’entreprise fasse la bonne chose. Ils deviennent très frustrés quand ils rapportent le problème à l’interne et que le traitement est mauvais, ou n’ont aucune nouvelle, ou se font dire qu’il n’y a absolument rien de mal et qu’ils doivent continuer leur travail, tête baissée», a-t-elle dit.

Depuis 2011, le programme de la SEC a permis à l’organisme de recueillir plus de 18 000 informations, en provenance des États-Unis mais aussi de 95 autres pays. Les dénonciateurs canadiens sont nombreux, figurant bon an mal an au top 3 des pays qui fournissent le plus d’information à la SEC.

Jane Norberg a noté certains défis que son programme de lanceurs d’alerte a dû affronter. Par exemple, certains employeurs font signer des codes de conduite à leurs employés leur interdisant de collaborer avec les autorités de réglementation.

De plus, s’assurer que le programme demeure connu du public et de l’industrie demeure «fondamental pour le succès du programme», selon l’AMF.